ANALYSES

Réforme du Conseil de sécurité de l’ONU, la bonne blague

Correspondances new-yorkaises
3 décembre 2020


Les cinq membres permanents du Conseil de sécurité des Nations unies (États-Unis, Chine, Russie, France et Royaume-Uni) ont été récemment accusés, lors d’un débat sur l’avenir de cet organe organisé par l’Assemblée générale de l’ONU, de le paralyser par leurs « intérêts concurrents » et leurs incessantes menaces de veto.

De nombreux pays ont profité de l’occasion pour exiger à nouveau la réforme du Conseil, notamment concernant sa représentativité et l’utilisation tant décriées du droit de veto par les cinq membres permanents, plus communément appelés les P5.

« Revoilà une fois de plus ce fameux serpent de mer dont on parle depuis des décennies ! » se serait écrié un diplomate britannique. Il est vrai que déjà en 1995, Boutros-Boutros-Ghali, alors secrétaire général de l’ONU, déclarait : « Le Conseil de sécurité va devenir illégitime s’il n’est pas profondément réformé ».

Le 16 novembre dernier donc, lors de ce débat à l’Assemblée générale, son président, l’ex-ministre turc Volkan Bozkir, a dénoncé avec virulence le comportement des cinq grands : « À de nombreuses reprises, le Conseil a failli à sa responsabilité de maintenir la paix et la sécurité internationale. Ce sont les intérêts concurrents de ses membres permanents et leurs recours fréquents au droit de veto qui limitent l’efficacité du Conseil de sécurité, le rendant impuissant ». Les cinq membres permanents, étant les seuls à disposer de ce droit.

Bien qu’il y ait beaucoup de vrais dans ces déclarations, on peut quand même se demander, dans le contexte international actuel, si ces propos n’ont pas été soufflés à Volkan Bozkir par Ankara…

Bref, dans tous les cas, la légitimité du Conseil de sécurité dans son format actuel se pose donc à nouveau. Interrogé sur le sujet, Emmanuel Macron, qui aime les formules du style « l’OTAN est en état de mort cérébrale », en a par ailleurs rajouté en déclarant que l’ONU qui n’a pas été réformée depuis des décennies en dépit de l’évolution du monde, ne produisait « plus de solutions utiles ».

Encore du vrai ici. Mais aussi pas mal d’hypocrisie. Personne au fond ne veut réellement réformer le Conseil de sécurité. Surtout ce qui toucherait à l’augmentation du nombre des membres permanents et au droit de veto. Éventuellement, un élargissement modeste des membres non permanents du Conseil pourrait être accepté, mais bon… 

Le Conseil de sécurité, qui peut donc décider de sanctions internationales et d’un recours à la force dans le monde, compte aujourd’hui au total quinze membres : outre les cinq permanents, dix non permanents pour un mandat de deux ans, dont la moitié est renouvelée tous les ans.

La représentativité du Conseil a toujours été la question la plus débattue en raison des immenses responsabilités de cette instance.

Conçue sur les décombres de la Seconde Guerre mondiale, l’Organisation des Nations unies reflète les rapports de forces de l’époque. La création d’une catégorie de membres permanents du Conseil de sécurité traduit la prééminence des Alliés contre le nazisme en Europe et le Japon dans la zone Asie-Pacifique : États-Unis, Russie, Royaume-Uni, France et Chine. Cette structuration ne reflète bien évidemment plus l’état actuel des relations internationales. L’aberration la plus visible tient au fait qu’aucun pays africain ne dispose d’un siège de membre permanent alors que 8 opérations de maintien de la paix sur 10 ont lieu en Afrique -d’où l’importance des passerelles entre le Conseil de sécurité et le Conseil paix et sécurité de l’Union africaine. Même si elle demeure divisée et entravée par son faible financement, l’organisation panafricaine, repensée en 2002, fait preuve d’une très grande réactivité dans le traitement des crises qui affectent le continent noir. Elle attend donc une reconnaissance de ses efforts par l’ONU.

D’une manière générale, les pays dits émergents ne sauraient demeurer dans un statut de second rang alors que leur importance économique et politique ne cesse de croître. Il faudrait cependant que chaque continent se mette d’accord sur son champion, ce qui n’est pas chose facile comme l’illustrent les divergences persistantes entre les pays africains à ce sujet…

Si on admet assez aisément -sur le papier ! – l’extension du nombre de membres permanents, l’épineuse question du droit de veto, elle, demeure. C’est la reconnaissance du droit de veto aux P5 qui a emporté l’adhésion des États-Unis au projet de Nations unies après la guerre. Sans veto, pas d’ONU. La suppression pure et simple de cette formule n’est donc pas forcément la solution magique en l’absence de réflexion globale sur les structures de l’ONU. Sauf à souhaiter un retour à la Société des Nations avec les résultats que l’on connaît. Le veto n’est pas une simple question technique ; c’est une question éminemment politique qui doit refléter un accord politique entre les grandes puissances sur les équilibres internationaux. Il paraît illusoire d’envisager son extension ou sa réduction sans discussion d’ensemble et un partage des priorités comme ce fut le cas en 1945. On en est loin. En outre, toute réforme du Conseil de sécurité nécessitera une révision de la Charte c’est-à-dire l’aval des cinq membres permanents et une majorité des 2/3 à l’Assemblée générale.

Et, comme on dit, ce n’est pas demain la veille que cela risque d’arriver !

En effet, lors du débat du 16 novembre dernier à l’assemblée générale, les 193 membres de l’ONU n’ont fait, malgré des doléances communes, qu’exposer leurs divergences.

Florilège :

– Pour l’Algérie, tout nouveau membre d’un Conseil élargi devrait pouvoir disposer du droit de veto. La Russie, qui l’a utilisé à quinze reprises depuis 2011 dans le seul dossier syrien, ne veut pas en entendre parler. « Les propositions entraînant l’érosion des prérogatives des membres permanents du Conseil de sécurité, notamment du droit de veto, sont inacceptables », a répondu l’ambassadrice russe adjointe à l’ONU, Anna Evstigneeva.

– Selon un diplomate, le Pakistan préférerait quitter les Nations unies plutôt que de voir l’Inde accéder à un siège permanent. De toute façon, « la Chine s’opposerait de tout son poids à cela », mais souhaiterait néanmoins, selon son représentant permanent, Zhang Jun, « voir accéder au sein de l’organe exécutif des Nations unies plus de petits et moyens pays, notamment africains » -peut-être l’ambassadeur chinois a-t-il en tête ceux qui ont adhéré à la stratégie des nouvelles routes de la soie…

– Autres candidats à un siège permanent, le Japon et le Brésil. Mais ce dernier s’opposerait à ce que le Mexique en obtienne un. L’Afrique quant à elle, cherche pour sa part à en obtenir deux, sans avoir encore pu décider des futurs bénéficiaires potentiels, etc.

Quant à l’Allemagne, candidate elle aussi, elle est officiellement soutenue par l’Élysée. Mais qui peut sérieusement croire que la France qui n’existe encore sur la scène internationale en tant que puissance que grâce à sa dissuasion nucléaire et à son siège permanent au Conseil de sécurité soit prête à céder quoi que ce soit sur ce terrain à une Allemagne qui n’en finit pas de gagner en importance en Europe et dans le monde ?

Non, ne nous leurrons pas, le serpent de mer de la réforme du Conseil de sécurité ne va pas tarder à replonger, cette fois-ci peut-être pour toujours, au fond des océans, où de toute façon l’ONU politique, elle-même emportée par la crise du multilatéralisme et le manque de bonne volonté de ses États membres, devrait bientôt le rejoindre.

Quant à ceux qui pensent que l’équipe diplomatique de Joe Bien pourrait aider à relancer la machine des réformes onusiennes, dont celle du Conseil de sécurité, qu’ils ne s’attendent pas à des miracles.

Certes, Linda Thomas-Greenfield, prochaine ambassadrice américaine à l’ONU, est une femme compétente, mais n’oublions pas qu’Antony Blinken, future secrétaire d’État, et Jake Sullivan, futur conseiller à la sécurité nationale, sont les deux faucons démocrates qui ont tout fait pour que Joe Biden soutienne la guerre d’Irak de 2003. Guerre jugée illégale par Kofi Annan, alors secrétaire général des Nations unies, et que pourtant au final l’homme qui va prêter serment le 20 janvier prochain comme président des États-Unis a soutenue avec force et enthousiasme.

Il y a quelque temps, je discutais avec Jean Chrétien, l’ancien premier ministre canadien, un analyste pertinent des enjeux internationaux. Lorsque je l’interrogeais sur l’élargissement du Conseil de sécurité de l’ONU, sa réponse fut claire et sans appel : « Je n’ai pas de temps à perdre à parler de quelque chose qui n’arrivera jamais ».

______________________________________

Essayiste et chercheur associé à l’IRIS, Romuald Sciora vit aux États-Unis. Auteur de plusieurs ouvrages sur les Nations unies, il a récemment publié avec Anne-Cécile Robert du Monde diplomatique « Qui veut la mort de l’ONU ? » (Eyrolles, nov. 2018). Son ouvrage, « Pauvre John ! L’Amérique du Covid-19 vue par un insider » vient de paraître en Ebook chez Max Milo.
Sur la même thématique