14.10.2024
De Donald Trump à Joe Biden, une approche différenciée de la pandémie de Covid-19 aux États-Unis
Interview
16 novembre 2020
Telle une ombre sur les élections, le Covid-19 a été à la fois un sujet et un ressort de la guerre culturelle aux États-Unis. Le président sortant a été très critiqué sur sa gestion de la pandémie, qui devrait être abordée de toute autre manière par Joe Biden qui vient d’être élu à la tête du pays. L’analyse Marie-Cécile Naves, directrice de recherche à l’IRIS spécialiste des États-Unis.
Quel a été l’impact du Covid-19 sur les élections américaines ?
Le Covid-19 est à la fois un sujet et un ressort de la guerre culturelle aux États-Unis, le pays étant très polarisé politiquement dans la population comme au sein du champ politique. La pandémie est devenue peu à peu un sujet majeur de la campagne. Néanmoins, elle l’a beaucoup plus été pour les électeurs et électrices démocrates que pour les républicains qui, de leur côté, ont placé l’économie en tête de leurs préoccupations – mais la crise économique actuelle découle de la crise sanitaire.
En outre, les résultats de l’élection ont montré que, comme prévu, le vote par correspondance a été massivement utilisé par les démocrates. Dans des États fédérés décisifs comme le Michigan, le Wisconsin, la Pennsylvanie ou le Nevada, et tout particulièrement dans les grandes villes et leurs banlieues résidentielles, l’avantage donné à Joe Biden par les bulletins arrivés par la US Postal a été déterminant pour remporter le collège de grands électeurs. A contrario, celles et ceux qui se sont déplacés dans les bureaux de vote le 3 novembre sont majoritairement des partisanes et partisans de Donald Trump.
Pendant la campagne (et même depuis le 3 novembre), ce dernier a, de manière continue, minimisé la pandémie, d’une part, et critiqué le vote par correspondance, d’autre part, accusant les démocrates de fraude massive via ce mode de scrutin. Ce message semble avoir pris chez les électrices et électeurs républicains, mais pas chez les démocrates qui, inquiets des conditions sanitaires dans les bureaux de vote, se sont largement tournés vers le vote à distance.
En termes de stratégie de communication, Trump a privilégié le déni de la gravité de la pandémie et rejeté le prisme de la vulnérabilité individuelle et collective, alors que Joe Biden a choisi une rhétorique de l’empathie, du souci de l’autre, de la protection sanitaire. Les campagnes des deux candidats étaient, du reste, radicalement différentes : grands meetings et faibles précautions d’un côté, prise de risque minimum et choix de la distanciation physique et port du masque de l’autre.
Que compte faire le nouveau président élu pour combattre la pandémie ?
L’un des premiers messages de Joe Biden après son élection a été de vouloir « guérir le pays » (« heal the country »). Cette formule est polysémique : elle renvoie évidemment au Covid-19, mais aussi à une volonté de permettre au pays de retrouver une unité, de se réconcilier alors qu’il est en proie à de profonds clivages sociaux, raciaux, genrés et territoriaux. Il a aussi annoncé vouloir s’appuyer massivement sur la science et les scientifiques et à s’engager à dépolitiser le débat.
Au-delà du message, les premières propositions d’action ont été dévoilées. Elles se déclinent aux niveaux national et local. Biden a mis sur pied un conseil d’experts sur le Covid-19 : treize spécialistes, dont certains sont des anciens responsables administratifs des présidences Obama ou Clinton, sont mobilisés pour que le plan de Biden soit opérationnel dès le 20 janvier, date d’entrée en fonction du nouvel exécutif.
Sur le site « Build Back Better » (« reconstruire en mieux »), Biden annonce d’ores et déjà une longue liste de mesures pour lutter contre le Covid-19. Au niveau fédéral, il s’agirait notamment de garantir à tous les Américains un accès gratuit aux tests, d’investir dans des tests de dernière génération, de demander au Congrès de voter un budget d’urgence pour les écoles, de s’appuyer sur la loi Defense Production Act afin de produire en masse des masques, de fournir informations et ressources pour les écoles, les PME, les familles, de s’appuyer sur les agences de santé pour déterminer les risques dans les restaurants, les entreprises et les écoles, de créer un groupe de travail pour cibler les populations les plus vulnérables, de remettre sur pied le Conseil de sécurité nationale sur la santé et les maladies infectieuses créé par Obama pour Ebola et supprimé par Trump, ou encore de renforcer Medicare (l’assurance-santé des plus de 65 ans).
Est également envisagée la création d’un corps de volontaires et de bénévoles de 100 000 personnes pour cibler les populations les plus vulnérables dans les communautés locales. Et, parce que beaucoup de mesures et de décisions incombent aux États fédérés et aux municipalités, Joe Biden envisage de demander aux gouverneurs de rendre le masque obligatoire et, en contrepartie, de créer un fonds national pour les États fédérés, notamment pour les PME afin qu’elles puissent acheter des équipements de protection pour leurs salariés.
De nombreux Américains s’inquiètent par ailleurs – et ce, d’autant plus que le taux de chômage est élevé –, du maintien de leur protection sociale et de l’avenir de l’assurance-santé, l’Obamacare, conditionnée au fait d’avoir ou non un emploi. Or, l’Obamacare, déjà très affaiblie par Trump, revient actuellement devant la Cour suprême, les républicains souhaitant son abrogation. Si celle-ci advenait, ce sont plus de vingt millions d’Américains qui ne seraient plus assurés. Or les inégalités sociales et raciales dans ce domaine sont immenses. Biden souhaite maintenir et renforcer l’Obamacare, voire faire voter une nouvelle grande loi si la Cour suprême l’abrogeait. Mais, sans majorité au Sénat – deux sièges sont encore à pourvoir en janvier -, sa marge de manœuvre législative sera cependant étroite et il devra négocier avec les Républicains, mais aussi de l’autre côté avec son aile progressiste à la Chambre des représentants qui exige une extension des dispositions publiques de l’assurance santé – « Medicare for all ».
Quels enjeux géopolitiques la pandémie de Covid-19 pose-t-elle à Joe Biden ?
Au niveau international, Biden souhaite renouer avec le multilatéralisme, autrement dit la coopération interétatique. Il a ainsi annoncé le retour rapide des États-Unis dans l’Organisation mondiale de la santé (OMS) que Trump, qui accusait la Chine d’y exercer une trop forte influence, avait décidé de quitter au début de l’année 2020.
De fait, ce choix de Trump a non seulement isolé les États-Unis sur la scène internationale à l’heure de la pandémie, mais a, de manière contreproductive, renforcé le soft power de la Chine (« diplomatie du masque », par exemple). La course aux vaccins est également majeure, le laboratoire américain Pfizer ayant pris un temps d’avance sur ses concurrents mondiaux, russe, chinois et européen. Le Covid-19 est donc une question tout autant locale que nationale et internationale.
Alors que fait rage une comparaison entre les « bons » (Nouvelle-Zélande, pays d’Europe du Nord, Allemagne) et les « mauvais » élèves (États-Unis, Brésil) à l’échelle planétaire, l’enjeu géopolitique est d’autant plus crucial pour la future administration Biden. Il demeure donc très politique.
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Cet article est publié dans le cadre de l’Observatoire (Dés)information & Géopolitique au temps du Covid-19 de l’IRIS.