ANALYSES

Élection américaine 2020 : une campagne sans programme ni idées

Tribune
14 octobre 2020
 


Pour des raisons différentes, aucun des candidats à l’élection présidentielle américaine n’ a décidé de faire campagne sur des propositions précises. Pour Joe Biden, la stratégie de campagne vise à faire de l’élection un référendum contre Donald Trump ; tandis que pour D. Trump, en l’absence de programme et de stratégie, différentes tactiques de diversion et de division adoptées au gré de l’actualité tiennent lieu de plan de campagne pour éviter le débat autour de son bilan à l’heure du Covid-19.

Attaques personnelles, débat inaudible, mensonges répétés, coups bas, comportement erratique – surtout de la part du président sortant –, la campagne présidentielle américaine, qui s’achèvera le 3 novembre, a été marquée jusque-là par à peu près tout ce qui peut rebuter des électeurs de voter et par l’absence de ce qui pourrait, au contraire, les inciter à se mobiliser et à se déterminer, des idées et des programmes électoraux. Il faut donner crédit à Joe Biden et au parti démocrate de disposer d’un certain nombre de propositions, plus ou moins précises (augmentation des impôts pour les plus riches, extension de l’offre du système de protection de santé avec l’instauration  d’une option publique, investissements dans les énergies vertes et renouvelables, etc.), qui, en comparaison au vide proposé par le parti républicain et la campagne de Donald Trump, font figure de véritable programme de gouvernement. Cependant, il convient de remarquer qu’à quelques exceptions, comme l’extension de la protection de santé, les propositions démocrates s’apparentent, bien souvent, à des propositions générales, des principes et des orientations, dont les modalités et le chiffrage budgétaire restent relativement vagues. Quand les montants des programmes envisagés sont mentionnés, leurs sommes apparaissent tellement faramineuses et sans réalité pour le commun des Américains – il est question pour Joe Biden d’investissements de 2 000 milliards de dollars dans la lutte contre le changement climatique, pour les énergies vertes et les infrastructures par exemple – que bien souvent celles-ci sont immédiatement traduites en nombre d’emplois qui seront potentiellement créés – 10 millions d’emplois bien payés espérés du fait des investissements dans les énergies vertes et renouvelables. La référence au nombre d’emplois escomptés sert souvent de baromètre à l’aune duquel juger les engagements économiques, les promesses et… les extravagances des candidats.

Depuis que la campagne est entrée dans sa phase active, durant l’été, aucun candidat ne fait véritablement campagne sur un programme précis de mesures et de politiques publiques à mettre en place. Même dans le camp de Joe Biden, qui a au moins le mérite de disposer d’une plateforme électorale, le programme n’occupe pas le centre de la stratégie de campagne. Les raisons pour lesquelles les idées et propositions ne sont pas au cœur de l’élection varient d’un candidat à l’autre et expliquent pour beaucoup les tournures prises par leur campagne respective.

Sans programme, sans stratégie, les tactiques désespérées de Trump

Les slogans de campagne 2016 de Donald Trump, qui lui avaient jusqu’à lors servi de programme politique (construire le mur de séparation avec Mexico, stopper l’immigration, démanteler le plan d’assurance santé d’Obama, réduire les impôts, etc.), ont été délaissés. Après quatre ans d’exercice du pouvoir, toute référence à ses mots d’ordre soumettrait immédiatement l’action du président Trump à évaluation. Ne pouvant plus se prévaloir d’être nouveau en politique et donc sans passé politique, le président sortant doit désormais faire face à son bilan, et au regard de ses promesses de 2016 et de l’état du pays en 2020, celui-ci n’est guère reluisant. Faire campagne sur les thèmes de 2016 ne ferait que mettre en lumière son échec à tenir ses engagements. Et si cela importe peu pour les supporters convaincus du président, qui voteront pour lui quoi qu’il puisse faire ou dire, il n’en est pas de même pour les citoyens indépendants qui entendaient bousculer l’ordre politique traditionnel en 2016 ou lancer un signal aux démocrates ou encore « essayer une offre politique nouvelle », et qui, exaspérés par le comportement et les politiques du président, ne revoteront pas pour lui. Enfin, quant à l’idée de faire campagne sur de nouvelles propositions, elle ouvre la voie à un commentaire auquel tout élu en campagne pour sa réélection fait face, « pourquoi ne pas l’avoir fait au cours des quatre ans de mandat ? ».

L’absence de programme du président Trump et l’absence d’idées nouvelles au parti républicain s’illustrent également par la décision du parti républicain de ne pas adopter de nouvelle plateforme électorale pour l’élection présidentielle 2020 et de s’en remettre à celle adoptée en 2016, dominée par l’agenda America First. Ces absences de programme et de vision à offrir au pays expliquent pour une large part l’absence de réelle stratégie de campagne du président Trump et le recours à des tactiques disparates et désordonnées, adoptées au gré de l’actualité, pour atteindre le seul but après lequel le président Trump court désormais, être réélu coûte que coûte. Dans l’incapacité de s’appuyer sur son bilan économique du fait de l’impact socio-économique de la crise sanitaire, le président multiplie, depuis l’été, des contre-feux pour échapper au bilan de sa gestion calamiteuse de la crise du Covid-19. Lorsqu’à l’été, le pays a fait face à de nombreuses manifestations, souvent pacifiques, parfois violentes, contre les violences policières envers la communauté afro-américaine, le président a pris le parti des forces de l’ordre et orienté sa campagne autour du slogan « la loi et l’ordre », n’hésitant pas à attiser les violences entre communautés. Une fois le cycle médiatique autour de ce sujet terminé, le président s’en est remis aux fraudes liées au vote par correspondance et au thème de l’élection truquée ; puis la nomination d’un nouveau juge à la Cour suprême pour satisfaire les attentes de l’électorat conservateur, puis le déni du Covid-19 à nouveau, sans compter les attaques personnelles contre Joe Biden et Kamala Harris, etc.

À moins de trois semaines de l’élection présidentielle, toutes ces tactiques désespérées pour rester dans la compétition se sont révélées sans effet si l’on en croit les enquêtes d’opinion, en particulier celles menées dans les États clés.

Référendum contre Donald Trump : la stratégie « gagnante » de Biden ?

La plateforme électorale adoptée par le parti démocrate lors de sa convention nationale, en août 2020, aborde un large éventail de sujets, offrant des propositions, des idées et des orientations, qui pourraient servir de base à de futurs projets législatifs si le parti démocrate remportait l’élection présidentielle et le Congrès. Les sujets couverts par les quatre-vingt-onze pages du document concernent l’économie (augmenter le salaire minimum, créer des millions d’emplois, protéger les travailleurs américains et leur famille, réformer le code fiscal, en terminer avec la pauvreté, etc.), la protection santé (instaurer une offre de santé publique, réduire les coûts des médicaments, etc.), la réforme du système pénal, la protection des droits des minorités, le combat contre le changement climatique, la réforme du système d’immigration, l’investissement dans l’éducation, etc. Toutefois, à l’exception de quelques mesures concrètes, particulièrement en matière de protection de santé et d’assurance-maladie, le reste du programme décrit les secteurs dans lesquels des politiques publiques ambitieuses devraient être adoptées sans fournir davantage de précisions ou sans formuler de plans détaillés.

Ces propositions générales, que l’on trouve dans la plateforme du parti démocrate, sont le produit d’un vaste compromis entre les différentes composantes du parti démocrate, et en particulier entre les démocrates modérés proches de Biden et l’aile plus progressiste, voire plus radicale, proche du sénateur indépendant Bernie Sanders. À la tête d’une large coalition politique, d’aucuns diront hétéroclite, composée d’organisations politiques représentant différentes franges de l’électorat démocrate, Joe Biden se doit, et la plateforme démocrate le reflète, de prendre en compte les demandes de nombreux groupes sociaux et professionnels, aux idées et aux intérêts parfois divergents.

Cette absence de référence au programme démocrate dans la campagne de Joe Biden s’explique donc en partie par la diversité des orientations prises par la plateforme électorale démocrate (pour satisfaire des exigences multiples), qui rend difficile la promotion d’une orientation particulière, car elle fait courir le risque de s’aliéner certains membres de la coalition. Toutefois, le non-recours systématique au programme électoral démocrate dans la campagne s’explique surtout par la stratégie de Joe Biden de faire de l’élection présidentielle du 3 novembre un référendum contre Donald Trump. L’enjeu n’est donc pas, pour les démocrates, de faire campagne sur des mesures programmatiques qui pourraient créer des débats et des divisions jusqu’au sein du parti démocrate – et ainsi fissurer la coalition Biden –, mais de soumettre à l’électorat le bilan de Donald Trump, en particulier dans sa gestion de la crise sanitaire. Dans la stratégie démocrate, rien ne doit divertir l’électorat de l’enjeu considéré comme central dans cette élection : battre Donald Trump. Pour ce faire, et pour éviter les divisions démocrates autant que pour éviter de rebuter l’électorat indépendant, la stratégie demeure de façonner la campagne sous la forme d’un référendum anti-Trump et d’en appeler à la grande histoire américaine en mobilisant un thème fédérateur comme la restauration de l’âme du pays, plutôt que de mettre en valeur un programme de politiques publiques concrètes, qui ouvrirait débats et discussions en focalisant l’enjeu sur le candidat démocrate lui-même, et non sur son opposant.

Robert Chaouad est également enseignant à la City University de New York (CUNY)
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