ANALYSES

Mexique-États-Unis : Tiangui mexicain à la Maison-Blanche

Tribune
10 juillet 2020


Un tiangui, ou tiyanquitzli, mexicain, est un marché traditionnel de rue. On achète, on vend, et bien sûr on marchande. Ce qu’a fait le président aztèque, Andrès Manuel Lopez Obrador (AMLO), le 8 juillet 2020 à Washington, avec Donald Trump, chef des États-Unis. Reste à savoir qui a fait les meilleures affaires.

Donald Trump, à moins de quatre mois des élections présidentielles, avait besoin d’air. Il est mal dans les sondages. Son adversaire démocrate, Joe Biden, l’a doublé, en ramassant la donne des erreurs du Républicain. Donald Trump a, en effet, tout faux sur le coronavirus et le combat contre le racisme. AMLO, lui aussi, est en difficulté. Il avait promis une « 4T », une quatrième transition, porteuse de croissance, d’égalité et de sécurité. Le Mexique a fait du surplace économique depuis sa prise de fonction. La crise du Covid-19 a fait exploser le chômage et les décès par maladie. Le taux d’homicides a fait un bond de 8 % d’une année sur l’autre.

Leur mauvais état de santé politique les a rapprochés. Donald Trump a remisé ses diatribes anti-mexicaines, souvent voisines de l’insulte. AMLO est « un ami, un homme merveilleux » a déclaré, la veille de l’arrivée de son hôte mexicain, le président des États-Unis. Devant les journalistes, Donald Trump a repassé une épaisse couche d’éloges : « C’est pour nous un honneur qu’il (AMLO) ait consacré sa première visite internationale à la Maison-Blanche. Jamais les relations entre les États-Unis et le Mexique n’ont été aussi étroites qu’aujourd’hui (…) À ce grand président je souhaite dire le privilège que j’ai de le voir parmi nous aujourd’hui ». AMLO, qui n’a pas été avare de compliments, a renvoyé la balle de base-ball, activité sportive appréciée par l’un et l’autre, a-t-on appris. « J’ai souhaité être ici pour remercier le peuple américain, votre gouvernement et vous-même pour votre attitude toujours plus respectueuse à l’égard des Mexicains. (…) Vous nous avez traités pour ce que nous sommes, un pays et un peuple digne, libre, démocratique et souverain (…) Les pronostiqueurs se sont trompés, nous ne nous sommes pas disputés, nous sommes de bons amis, et nous allons continuer à l’être ».

La photo avec le président mexicain était manifestement l’objectif recherché par Donald Trump, histoire de gratter quelques votes dans l’imposante communauté des électeurs d’origine mexicaine. Quant à AMLO, il souhaitait être sûr que le nouvel Accord de libre-échange nord-américain (ALENA), négocié, signé et ratifié, était bien sur rail. Officiellement, l’objectif de la rencontre était effectivement de confirmer la mise en œuvre du T-MEC/USMCA, le nouveau traité de libre-échange entre Canada, États-Unis et Mexique. Mais le masque de l’officialité est très vite tombé, quand Justin Trudeau, Premier ministre canadien et partie au traité, a signalé qu’il était retenu à Ottawa. Il a malgré tout souhaité « bonne chance » à son alter ego mexicain.

Dans cette étrange journée qui a été dupe de qui ? Donald Trump, de toute évidence, a tiré un profit immédiat de ce sommet bilatéral. À quatre mois des présidentielles, il a obtenu un coup de pouce électoral de son homologue mexicain. AMLO, qui ne voyage jamais à l’étranger, a fait une entorse à cette règle pour Donald Trump. Lopez Obrador n’a pas – comme cela est souvent l’usage dans ce genre de déplacements officiels – souhaité rencontrer le représentant principal de l’opposition, Joe Biden. Il a également refusé tout contact avec les associations représentatives de l’émigration mexicaine, qu’il avait pourtant courtisées en 2017 lorsqu’il était candidat, en visitant plusieurs villes des États-Unis pour obtenir leurs voix. Son discours du 12 février 2017 à Los Angeles, avait été d’une grande rudesse : « … D’irresponsables gouvernants néo-fascistes veulent construire des murs pour faire des États-Unis un énorme ghetto et traiter les Mexicains et nos concitoyens migrants comme les juifs stigmatisés (…) par Hitler ». [1]

AMLO a très logiquement essuyé de vives critiques du camp démocrate et de Joe Biden. Les migrants mexicains ont appelé à manifester à Washington pour lui signaler ses engagements de 2017. Au Mexique, seul son parti, le MORENA, a considéré que son voyage signalait un profil de grand homme d’État. Plusieurs anciens diplomates mexicains ont condamné ce voyage comme une « grave erreur ». L’ampleur de la crise économique, sécuritaire et sanitaire a contraint AMLO à faire le double pari d’un joueur de poker : celui d’un T-MEC dynamique et appliqué, sans arrière-pensées ; celui en novembre prochain d’une victoire de Donald Trump. Rendez-vous donc le 6 novembre prochain.

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[1] In Andrès Manuel Lopez Obrador, « Oye Trump », Ciudad de México, Planeta, 2017, P 49
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