ANALYSES

OTAN : l’heure des comptes ?

Interview
3 décembre 2019
Le point de vue de Jean-Pierre Maulny
 


L’OTAN est dans une situation particulière : les présidents français et américain se sont montrés, chacun à leur manière, assez critiques de l’organisation tandis qu’Angela Merkel a déclaré que l’OTAN avait « plus que jamais besoin d’être préservée ». Comment imaginer le futur de l’organisation, qui célèbre ses 70 ans ce mois-ci ? Le point de vue de Jean Pierre Maulny, directeur adjoint de l’IRIS.

Quelles conséquences peuvent avoir les déclarations de Macron très critiques vis-à-vis de l’OTAN, qui a rencontré le secrétaire général de l’OTAN Jens Stoltenberg il y a quelques jours ? Le chef de l’État français était-il dans son rôle ?

Après son interview à The Economist, et lors de son entretien avec le secrétaire général de l’OTAN, Emmanuel Macron a parlé de « wake-up call ». L’objectif était donc plus d’alerter les membres de l’alliance sur le rôle politique de l’organisation qui est un peu flou. Le contexte stratégique a, il est vrai, bien évolué depuis la fin de la guerre froide. Les intérêts de sécurité de la Turquie au Proche-Orient ne sont pas ceux des Européens. Les États-Unis se désengagent du Proche-Orient tout en conduisant une politique contraire aux intérêts de sécurité européens vis-à-vis de l’Iran. Or le Proche-Orient c’est le voisinage de l’Union européenne et c’est donc la sécurité des Européens qui est directement en jeu. Il faut donc s’interroger sur le rôle futur de l’alliance et tout le monde devrait gagner à conduire cette réflexion. Le deuxième message est qu’il faut que les Européens prennent en main leur destin. D’une part, c’est demandé par les États-Unis qui ne veulent plus payer pour la sécurité de l’Europe ; c’était demandé par Barack Obama, ça l’est également par Donald Trump, certes dans des termes plus crus, mais la problématique est la même. Cette demande est légitime et il faut que ce message soit bien compris dans l’Union européenne.

Le chef d’État français est donc parfaitement dans son rôle. Cela étant dit, il est dommage que l’on n’ait retenu de cette interview à The Economist que cette expression de « brain death » à propos de l’OTAN. Le discours était beaucoup plus subtil, beaucoup plus précis et portait sur bien d’autres sujets. Mais il a été perçu comme une accusation en règle de l’OTAN. Or celle-ci représente pour nombre de pays de l’Union européenne à l’Est et au Nord de notre continent la garantie de sécurité ultime notamment grâce aux Américains. Le propos d’Emmanuel Macron n’était pas de remettre en cause l’OTAN en tant qu’outil militaire, mais de s’interroger sur sa portée politique. Aujourd’hui, le débat est désormais ouvert et il doit se dérouler de manière apaisée en évitant les invectives inutiles comme l’a fait le président turc Recep Erdogan ou comme le fait désormais le président Donald Trump : Emmanuel Macron n’a pas insulté l’OTAN, il a simplement posé des questions.

Alors qu’Emmanuel Macron et Angela Merkel ne semblent pas sur la même ligne vis-à-vis de l’OTAN, quid des autres membres de l’Union européenne ? Quel avenir pour l’autonomie stratégique européenne dans ces conditions ?

La divergence entre le président français et la présidente allemande sont des divergences de forme, pas des divergences de fond. L’armée allemande a été reconstituée après la Seconde Guerre mondiale à partir de 1954 dans le cadre de l’OTAN, car personne ne voulait d’une armée nationale allemande. L’Allemagne ne peut donc accepter que l’on attaque l’OTAN frontalemen,t or c’est le sentiment qu’a donné le président Macron avec son interview à The Economist : toujours cette petite phrase sur le « brain death ». Les deux pays ont en réalité une position très proche sur le fond. Ainsi la chancelière Angela Merkel a tenu dans le passé des propos encore plus forts sur la nécessité pour les Européens de prendre en main leur sécurité et de ne plus compter éternellement sur les États-Unis. Lors de son discours devant le Parlement européen en novembre 2018, elle a déclaré : «L’époque où nous pouvions sans problème compter sur d’autres est terminée ». Or, « les autres » ce sont les Américains, et l’OTAN sans les Américains, c’est peu ou prou les pays membres de l’Union européenne.

Après on peut toujours gloser sur la notion d’autonomie stratégique, mais peu importe : l’important c’est de développer dans un cadre européen les capacités militaires qui nous manquent, ainsi que les capacités industrielles et technologiques de défense des pays membres de l’Union européenne. Cela veut dire les capacités industrielles de tous les pays de l’Union européenne sous-entendu que tous les pays européens en bénéficieront. Quant aux technologies, l’objectif n’est pas de réinventer la roue ou le cheval-vapeur : quitte à développer des technologies dans un cadre européen, autant développer des technologies de pointe et de rupture. Et tout ceci ne fera que renforcer l’alliance atlantique.

Dans ce contexte plus que tendu, qu’attendre du sommet de l’OTAN, qui se tient à Londres ces 3 et 4 décembre ?

Cela commence par des petites phrases : chacun essaie de créer un rapport de force. Il est certain que cela ne sera pas la grande fête du 70e anniversaire espérée. Maintenant il faut savoir ce que l’on cherche : une grande messe à la gloire de l’OTAN qui masquerait les failles de cette organisation ou un vrai débat sur son rôle qui permettrait de refonder le socle de solidarité entre les alliés. Les ministres des Affaires étrangères allemand et français, Heiko Maas et Jean-Yves le Drian, ont fait des propositions : qu’on les écoute, qu’on travaille sérieusement et qu’on cesse les invectives. Reste une chose essentielle qu’il faut avoir en tête : aujourd’hui le centre de gravité politique est à l’Union européenne, il n’est pas à l’OTAN. De ce sommet de l’OTAN sortira sans doute quelques mesures techniques, mais sur le plan politique, c’est le Conseil européen des 12 et 13 décembre qui est important.

 
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