ANALYSES

La stratégie de l’hélicoptère

Correspondances new-yorkaises
5 septembre 2019


Ceux d’entre vous qui suivent régulièrement les chaînes d’informations américaines auront peut-être noté ce qui curieusement semble avoir échappé aux chroniqueurs états-uniens. À savoir que depuis quelques temps, sept interventions sur dix en moyenne de Donald Trump se font comme dans l’urgence devant un hélicoptère aux hélices vrombissantes.

La plupart des interventions de ses prédécesseurs avaient lieu dans les jardins de la Maison-Blanche ou dans des endroits qui généralement rendaient la parole présidentielle audible. Et non presque quotidiennement sur une piste d’atterrissage improvisée.

Les esprits malintentionnés n’y verront qu’une mise en scène grossière, une stratégie de communication orchestrée par l’administration Trump et destinée à son électorat de déplorables.  Ces fâcheux refuseront bien évidemment d’admettre que ces images presque quotidiennes ne font que refléter la suractivité du Donald et l’énergie déployée pour conserver à l’Amérique sa grandeur enfin retrouvée ! Ah, la mauvaise foi des progressistes …

Passons.

Plus sérieusement, dans quelques jours débutera la 74e session de l’Assemblée générale des Nations unies. Comme tous les ans, la seule instance plénière où se rassemblent 193 pays, verra défiler à sa tribune la plupart des chefs d’État et de gouvernement de la planète. Comme d’habitude, de longs discours sans grand intérêt se succéderont au fil d’heures interminables. Et comme c’est le cas depuis maintenant 2017, l’intervention la plus attendue sera celle du président américain.

Celui-ci se fera sans doute une fois encore un plaisir de dire tout le mal qu’il pense du système multilatéral, des organisations internationales et des nombreux États selon lui voyous, qui, ourdissant dans l’ombre d’affreux complots, menacent chaque jour un peu plus la paix dans le monde.

Seules quelques personnalités sentant le soufre et donc peu crédibles, comme le président vénézuélien Nicolás Maduro, lui répondront d’une voix forte. Qui oserait parmi les chefs d’État et de gouvernement respectables ? Peut-être la Première ministre du Danemark, Mette Frederiksen, qui, avec au moins un minimum de dignité, avait sèchement répliqué aux dernières élucubrations de Trump concernant l’achat du Groenland qu’elle considérait « tout cela comme une plaisanterie de mauvais goût qui avait assez duré ».

En tout cas sûrement pas Emmanuel Macron et ses homologues européens. Il semble plus aisé pour eux de traiter (avec raison d’ailleurs) Jair Bolsonaro de menteur quant à ses engagements en faveur de l’environnement, que de s’opposer, même en paroles, au chef de la première puissance mondiale.

Sans doute estiment-ils que Trump ne sera pas réélu. Que même s’il l’était, il aura de toute façon disparu de la scène d’ici un peu plus de cinq ans. Alors, à quoi bon envenimer les choses ? Risquer une crise qui pourrait par exemple avoir des répercussions économiques et contribuer à leur faire perdre les prochaines élections ? Courbons plutôt l’échine, comme l’a fait Theresa May après avoir été littéralement insultée par le président américain peu avant son départ de Downing Street, et attendons que ça passe.

Triste politique, car non, cela ne passera pas.

Outre que le silence des démocraties occidentales face à la tentative de « dictature mondiale » de Donald Trump n’aide pas le peuple américain à prendre conscience de l’incompétence de son chef et du danger que celle-ci représente pour l’avenir même des États-Unis, il, ce silence, contribue à banaliser au sein des relations internationales un comportement de gangster et de racketteur.

D’où des situations comme celle lors du G7 de ce mois d’août, où l’on est obligé de faire venir en secret le ministre iranien des Affaires étrangères pour le sortir comme d’une pochette surprise dans l’espoir que le nouvel empereur d’Occident acceptera de renégocier un traité pourtant signé et négocié au préalable par son propre pays.  Traité qu’il a décidé de quitter, non pour des raisons idéologiques ou autres, mais uniquement pour complaire à la frange radicale de son électorat !

Non, cela ne passera pas. L’Amérique comme le monde ne seront plus jamais tout à fait les mêmes après Trump. Et de par leur silence et complaisance aux relents munichois, certains des dirigeants des grandes démocraties alliées des États-Unis y auront largement contribué.

Alors n’attendons pas grand-chose de l’ouverture de la 74e session de l’Assemblée générale des Nations unies. La platitude annoncée de celle-ci ne sera que le reflet d’une ONU devenue un figurant sur la scène internationale et d’un ordre mondial qui n’en finit pas de se liquéfier devant nos yeux.

Bonne rentrée à tous !

Post-scriptum : Je viens d’allumer CNN et le Donald est en train de parler devant son hélicoptère. LOL.




Essayiste et chercheur associé à l’IRIS, Romuald Sciora vit aux États-Unis. Auteur de plusieurs ouvrages sur les Nations unies, il a récemment publié avec Anne-Cécile Robert du Monde diplomatique « Qui veut la mort de l’ONU ? » (Eyrolles, nov. 2018). Son prochain ouvrage, « Pauvre John ! Le cauchemar américain », sortira début 2020 chez Max Milo.

 
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