ANALYSES

L’Amérique latine réactive la guerre froide

Tribune
11 janvier 2019


Le 10 janvier 2019 le président vénézuélien, Nicolas Maduro, élu le 20 mai 2018, est entré en fonction. Delenda es Venezuela ! Maduro démission ! À bas le communisme ! Les petites filles en rose et les petits garçons en bleu !  De Lima à Buenos Aires, de Brasilia à Santiago du Chili, l’Amérique latine a dépoussiéré depuis quelques mois les règles antagonistes de la guerre froide. La crise économique et sociale de ces dernières années en Amérique latine, l’accession à la présidence des États-Unis de Donald Trump, ont ravivé et libéré l’égoïsme des plus riches.

Lima, capitale du Pérou, a accueilli dans le salon d’honneur de sa chancellerie, le 4 janvier 2019, 13 ministres des affaires étrangères d’Amérique latine et du Canada. Avec un seul point à l’ordre du jour, exiger du président Nicolas Maduro qu’il renonce à assumer ses fonctions présidentielles le 10 janvier. 13 ministres ont effectivement adopté une résolution proclamant l’illégitimité du président vénézuélien. Le Mexique, seul, s’étant abstenu.

Rien d’étonnant à ce que le 4 janvier, il n’ait été question que du Venezuela. Le groupe dit de Lima a été créé le 8 août 2017, pour gérer un voisinage considéré comme incongru. Celui de pays majoritairement dirigés par des autorités de droite, tournées vers les États-Unis, avec un Venezuela qui se définit « bolivarien », ami de la Chine et de la Russie[1].

La résolution est tout à la fois incohérente et révélatrice de la marche du monde. Elle est factuellement incohérente. Il est absurde d’attribuer aux autorités de Caracas la décision prise par une partie de l’opposition de ne pas présenter de candidat aux élections du 20 mai 2018. D’autres secteurs ont participé à cette consultation. Les conditions de la campagne n’ont sans doute pas été équitables. Mais le scrutin s’est déroulé de façon correcte, comparable à ce que l’on peut constater dans d’autres pays d’Amérique latine.

La résolution est incohérente dans la mesure où elle est unilatérale. Aucun des gouvernements latino-américains représentés à Lima n’a condamné le coup d’État parlementaire ayant destitué la présidente élue du Brésil, Dilma Rousseff en 2016. Aucun gouvernement latino-américain, présent à Lima, ne s’est ému des conditions constitutionnelles douteuses ayant accompagné l’élection du président hondurien, Juan Orlando Hernandez en 2018. Aucun de ces gouvernements latino-américains ne s’est inquiété de la bataille engagée par le président guatémaltèque, Jimmy Morales, contre la « Commission internationale contre l’impunité ». Il est vrai que Brésil, Guatemala et Honduras sont membres du groupe de Lima…

La résolution, enfin, est incohérente aussi du point de vue de ses initiateurs. La partialité de la condamnation du Venezuela surprend. La Bolivie, Cuba et le Nicaragua sont liés au Venezuela idéologiquement comme diplomatiquement. Ces pays sont en effet membres de l’Alliance bolivarienne de notre Amérique, dont le siège est à Caracas. Leurs ministres des affaires étrangères n’étaient certes pas invités à Lima. Mais ces pays alliés du Venezuela n’ont pas fait l’objet de la moindre allusion critique. Alors que Cuba non seulement est membre de l’ALBA, mais aussi se définit comme un pays socialiste.

Mais telle qu’elle est, cette résolution est révélatrice de l’air du temps. Un air du temps rappelant dans son expression celui des années de guerre froide. Les gouvernements ayant accédé au pouvoir en Amérique latine ces derniers temps ont affiché sans pudeur un discours violemment antisocial, sous couvert de défense des libertés contre le communisme. Le plan de gouvernement de Jair Bolsonaro, chef de l’État brésilien entré en fonction le 1er janvier dernier, est truffé de références anti-communistes, au nom de la liberté d’entreprendre. Il valorise le rejet des mesures visant à réduire les inégalités entre hommes et femmes au nom des valeurs traditionnelles défendues par les églises pentecôtistes, acteurs essentiels avec les médias, de la captation du vote populaire.

Ces gouvernements soucieux de défendre les intérêts étrangers avant ceux de leurs peuples ont privilégié leurs relations bilatérales avec les États-Unis. Ils ont défait, en tout ou partie, les institutions collectives construites dans le passé, CELAC, MERCOSUR, UNASUR. Le Venezuela, qui a mené dans les années 2000/2013 une diplomatie agressive à l’égard des États-Unis et de leurs alliés, qui a signé des accords de coopération avec la Chine, l’Iran et la Russie, aujourd’hui affaibli est paradoxalement devenu le bouc émissaire de gouvernements conservateurs et libéraux en mal de dénominateur partagé.

La morale n’a pas grand-chose à voir avec une résolution qui permet de serrer les rangs et les allégeances d’intérêt. Comme pendant la guerre froide, il n’y aura pas d’opérations militaires concertées pour réduire l’adversaire commun. Le Venezuela est l’ennemi commode qui permet d’entretenir les liens sous couvert de critiques. Et à ce titre, doit continuer à jouer ce rôle. Paradoxe ? La crise migratoire vénézuélienne, génératrice d’un exode massif posant de graves problèmes humanitaires, a fait l’objet d’un point 10, d’une résolution qui en compte 13…

[1] Font partie du groupe de Lima, l’Argentine, le Brésil, le Canada, le Chili, la Colombie, le Costa Rica, le Guatemala, le Guyana, le Honduras, le Panama, le Paraguay, le Pérou, Sainte-Lucie.
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