ANALYSES

Fin de l’ère Castro : est-ce réellement un nouveau départ pour Cuba ?

Interview
20 avril 2018
Le point de vue de Jean-Jacques Kourliandsky


Cuba vit un moment historique. Unique candidat, le numéro deux du régime Miguel Diaz-Canel vient d’être élu par l’Assemblée nationale de l’île en tant président de Cuba. Cette transition marque la fin du pouvoir des frères Castro, Fidel puis Raoul, à la tête du pays depuis 1959. Le système de parti unique, dans lequel Raoul Castro reste cependant le Premier secrétaire général, interroge sur la marge de manœuvre du nouveau chef d’Etat, le castrisme ne semblant pas avoir donné son dernier mot. Pour nous éclairer, le point de vue de Jean-Jacques Kourliandsky, chercheur à l’IRIS.

Peut-on dresser un bilan des dix années au pouvoir de Raul Castro, marquant la fin de la génération historique de la révolution à la tête de l’État ?

Raul Castro a assuré une continuité évidente. Il a succédé à son frère Fidel Castro, sans toucher au gouvernement de parti unique. Cela étant, Raul Castro a durant sa présidence assoupli un certain nombre d’éléments, notamment dans le domaine des droits de l’Homme. Désormais, les Cubains peuvent avoir accès à internet et voyager à l’étranger. Dans le domaine économique, l’ancien chef d’État a favorisé le « secteur privé », sous l’appellation des personnes qui ont des activités personnelles en propre. Il a également favorisé l’accès à la terre, les terres en friche, pour des agriculteurs individuels et pour des coopératives. Il a assoupli le droit de propriété en donnant la possibilité de vendre son appartement.

L’événement marquant de ses années au pouvoir reste évidement le rétablissement des relations diplomatiques avec les Etats-Unis en 2014, confirmé par la visite de Barack Obama sur l’île en 2016.

Cela dit, il n’y a pas eu de changement fondamental dans le système politique cubain, et non plus une évolution clairement affirmée en direction d’une économie de marché, comme ont pu le faire le Vietnam et la Chine, tout en souhaitant préserver l’idéologie communiste.

Miguel Diaz-Canel va-t-il incarner une nouvelle ère ou simplement rester dans la continuité de ses prédécesseurs ? Que reste-t-il finalement de l’esprit révolutionnaire du Parti communiste cubain au sein de la population ?

Le nouveau président va se situer pour l’instant, et jusqu’à au moins 2021, dans la continuité de ses prédécesseurs. Le discours qu’a prononcé Miguel Diaz Canel, bien que né après la révolution et fêtant aujourd’hui son 58e anniversaire, aurait pu être prononcé par Raul Castro. Il devrait prendre la place de son prédécesseur au poste de Premier secrétaire général, Raul Castro souhaitant quitter la tête du parti unique en 2021. Dès lors, il sera opportun de voir à cette échéance si le nouveau président s’inscrit dans une continuité, qui est celle de maintenir l’essentiel du système en pratiquant des réformes économiques à la marge, ou s’il se révèle être un « Gorbatchev » cubain avec de profondes réformes. Pour les trois années à venir, il ne faudra pas s’attendre à quelque chose de fondamentalement nouveau de sa part.

Concernant la ferveur révolutionnaire, les Cubains participent toujours largement à la fête du 1er mai et à l’anniversaire de la révolution, mais cela relève plus du rituel social que d’une adhésion au régime, sans qu’il y ait pour autant une opposition massive à la figure des Castro, ou une remise en cause du processus révolutionnaire.

Quels sont les défis qui attendent Miguel Diaz-Canel ?

A l’heure actuelle, il ne faut pas s’attendre à une modification de la politique ainsi qu’à de grandes décisions de la part du nouveau président. Le pays est dirigé par une sorte de « consulat », Raul Castro restant le Premier secrétaire général du Parti communiste cubain (PCC). Cuba est un régime politique à parti unique, permettant au secrétaire général d’avoir un poids extrêmement important sur la politique du pays. Dès lors, Raul Castro garde les clés des grandes orientations politiques et donc une mainmise sur le futur proche de Cuba.

Les défis vont essentiellement être économiques durant le mandat de Miguel Diaz-Canel. En effet, la préoccupation de la majorité des Cubains n’est pas le changement du système politique, mais concerne davantage une amélioration de la vie quotidienne qui demeure difficile. Le nouveau président a eu un mot dans son discours au sujet de la vie des Cubains, souhaitant que son peuple puisse vivre mieux. Ce qui pose le redoutable défi de mettre un terme au double système monétaire. Au sein de la population, cette inquiétude s’illustre sous différentes formes. Avec la possibilité de sortir du pays qui n’existait pas avant 2013, il y aurait autour de 60 000 jeunes cubains qui quitteraient chaque année leur pays pour rejoindre leur famille, soit aux Etats-Unis, en Espagne ou bien en Amérique latine. Quant à ceux qui restent à Cuba, de nombreuses personnes ont deux professions, la seconde généralement liée au tourisme, pour assurer une vie convenable à leur famille. Les Cubains qui sont dans la plus grande difficulté sont ceux qui n’ont pas de famille à l’étranger qui puisse les aider financièrement, ou ceux qui ne connaissent pas de langues étrangères, les empêchant de bénéficier de la forte présence touristique à Cuba. Les retraités, bien que bénéficiant de cartes alimentaires privilégiées, sont les moins bien lotis, car cette aide ne leur permet pas de s’alimenter correctement les 30 jours du mois.

Dans ce contexte, le nouveau chef d’État va devoir faire des choix de partenariat diplomatique et économique. Il y a quelques temps, Cuba bénéficiait de livraisons de pétrole à des prix préférentiels du Venezuela, que Caracas est de moins en moins en mesure d’assurer. En 2014, La Havane a fait le pari d’une ouverture avec les Etats-Unis et l’arrivée massive de touristes. Ces espérances ont été refroidies depuis la présidence de Donald Trump. Le chef d’État nord-américain ne remet pas en cause le rétablissement des négociations diplomatiques, mais il ne souhaite manifestement pas faciliter la vie des Cubains. Le renforcement des relations avec les pays d’Amérique latine ou d’Europe s’avère également limité. Dès lors, l’option qui paraît la plus probable pourrait être un approfondissement des relations avec la Chine, une Chine affichant de nombreux intérêts dans cette région, et qui est de plus en plus déjà présente sur l’île.
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