ANALYSES

Argentine : les armées se questionnent après la disparition d’un sous-marin

Tribune
15 février 2018


Le 15 novembre 2017 le sous-marin argentin ARA-San Juan[1] disparaissait des écrans et des radios. À ce jour en dépit d’intenses recherches, rien n’a permis d’en retrouver la trace. L’implosion probable du submersible et la mort de son équipage ont mis de façon dramatique le doigt sur l’institution militaire, laissée en déshérence volontaire depuis le rétablissement de l’ordre démocratique. Une bonification budgétaire et des contrats ont été annoncés dans l’urgence par des autorités bousculées par le drame.

La réponse est financière. Elle ne répond pas, ou pas encore, au sens que peut avoir pour l’Argentine, puissance régionale, une défense nationale. Que faire d’une Grande muette ayant pendant sept ans, de 1976 à 1983, quitté les casernes pour gérer le pays de façon autoritaire et brutale ? Que faire de soldats ayant torturé, assassiné plusieurs milliers de leurs concitoyens ? Que faire d’une armée ayant perdu une guerre contre un ennemi extérieur, le Royaume-Uni, en 1982 ?

La réponse des démocrates à partir de 1983 a été radicalement civile. Les tortionnaires ont été jugés, et condamnés. La nouvelle Constitution a renvoyé les militaires dans les casernes. Toute intervention sécuritaire intérieure leur a désormais été interdite. Les crédits budgétaires affectés à leur département ont été réduits de 7% du PIB à 0,8%. Réponse accompagnée de moments d’interrogations. Une amnistie avait été accordée pendant les années Menem. Puis reprise sous le mandat des époux Kirchner. Un livre blanc avait donné en 1999 comme mission aux armées de la démocratie, au-delà de la défense des frontières, et de la souveraineté, de participer aux opérations de paix des Nations unies. Sans pour autant accroître les dotations. Les Casques bleus argentins sont équipés à Chypre, par l’ONU. Et, hier, ceux déployés en Haïti au sein de la MINUSTAH (Mission des Nations unies pour la stabilité de Haïti), par le Brésil.

L’économie et le social ont imposé leurs priorités avec l’accord de tous les acteurs de la vie politique argentine. Le service militaire, jugé impopulaire et porteur de dépenses inutiles, a été supprimé en 1994. Pourtant, l’existence de forces armées, bien que privées de dotations leur permettant de remplir quelques fonctions, n’a pas été remise en cause. Mais la tragédie du sous-marin San Juan a mis à nu les limites de l’exercice. Faute de pouvoir, ou vouloir, supprimer les forces armées, c’est la question des conditions de leur perpétuation qui a été brutalement posée. Les marins disparus ont des familles et des proches. Leur angoisse a été rapportée par les médias d’Argentine et du monde. Le sparadrap de la question militaire a ressurgi.

Elle a été pour l’instant contournée budgétairement. Mais sera-t-il possible de faire l’économie d’une réflexion prospective ? Plusieurs annonces en effet ont été faites, qui relèvent de l’urgence médiatique plus que de décisions répondant à une action planifiée.

Le 24 novembre 2017, le ministre de la Défense, Oscar Aguad, signalait une forte augmentation d’un budget en capilotade, +14%.  De quoi permettre la remise en service du brise-glaces « Almirante Irizar » à quai depuis 2007, et maintenir à flot la « Fabrica argentina de Aviones (FADeA). Le 26 janvier 2018, la marine argentine officialisait l’achat de cinq avions Super-Etendard français, retirés du service actif par la Marine nationale française en juillet 2016.  La négociation languissait depuis plus d’un an. Pour assurer une meilleure surveillance de l’espace maritime, exploité depuis longtemps sans contrôle réel par les pêcheurs chinois, coréens, espagnols et autres russes. Le ministre a également annoncé le 7 février 2018, que les forces armées allaient être mobilisées contre le trafic de stupéfiants. Une force d’intervention rapide, intégrant des unités des trois armes, pourrait être créée à cet effet. La livraison par Israël de quatre vedettes de surveillance côtière « Shaldag » a été, au même moment, confirmée. Ainsi que celle à partir d’avril 2018, de quatre avions-écoles, « Beachcraft, T6, Texan II ».

D’autres contrats laissés en sommeil concurrentiel depuis plusieurs mois pourraient être débloqués par la conjoncture créée par la disparition du sous-marin, mais aussi par la nécessité d’assurer la sécurité du prochain G-20 qui va se réunir en Argentine, les 30 novembre et 1er décembre 2018. Les deux contrats en attente concernent l’achat éventuel de quatre patrouilleurs de type OPV, et celui d’avions de chasse permettant la relève de Mirages IIIEA et VP Mara en fin de vie. Chinois, Coréens, Espagnols, Français, Russes piaffent sur la ligne de départ … mais pour l’instant rien ne bouge. La conjoncture économique des plus médiocres n’ouvre en effet que peu de marges budgétaires. Restera, d’autre part, à vérifier la constitutionnalité de l’engagement des forces armées dans la lutte contre le trafic de stupéfiants, dans la sécurité intérieure donc, ce que ne permet pas la « Loi fondamentale » …

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[1] ARA= Armada Republica Argentina / Marine République Argentine
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