ANALYSES

Le Brésil est-il un État de droit ou un État de droite ? Retour sur la condamnation de Lula da Silva

Presse
26 janvier 2018
L’ancien président et candidat présidentiel aux élections d’octobre, Lula da Silva, a été condamné en première instance à une peine de prison de 9 ans par le juge Sergio Moro. En appel devant le tribunal fédéral régional de Porto Alegre, cette peine a été confirmée et alourdie à 12 ans d’emprisonnement par trois juges. Sur simple « conviction » et sans aucune preuve…

Le récit, selon la terminologie utilisée désormais par les médias, présente les auxiliaires de la Loi comme des justiciers, agissant en pleine indépendance pour faire respecter le droit par tout le monde sans tenir compte de leur position sociale. Un ancien président, toujours selon ce discours, ne peut bénéficier d’aucun passe-droit. Il s’agit de justice et non de politique et d’élections. Il est malgré tout permis et même recommandé de s’interroger, même si ce questionnement paraît incongru tant la justice bénéficie en général d’une aura quasi religieuse. On sait pourtant qu’il arrive aux juges de se tromper. On l’a vu en France avec l’affaire d’Outreau. On a peut-être oublié que dictatures et régimes autoritaires de tout poil ont toujours fait appel à la loi et au droit pour sanctifier leurs décisions. C’était le cas au Moyen-âge avec les tribunaux de l’Inquisition. Les tribunaux révolutionnaires condamnaient à mort au nom de la Loi. Le nazisme, le fascisme, le vichysme, le franquisme, ont toujours pris soin de recourir au juge pour faire valider leurs atteintes aux droits de la personne humaine et à la vie. Un autre juge brésilien, Rubens R. R. Casara [1] a récemment rappelé que « l’État fasciste italien, ou l’État nazi allemand se présentaient comme des États de droit [..] Le droit, ajoute-t-il, était utilisé pour masquer les relations de domination et d’exploitation économique ».

Le Brésil n’est pas redevenu un État militarisé et dictatorial, mais…

Mais les conditions de mise en examen de Lula, le contexte de la condamnation, cela dit, ont largement mordu sur les règles communément admises par le droit des pays démocratiques. Rappelons que Lula a été conduit manu militari en mars 2016 à 6 h du matin pour son premier interrogatoire sans avoir reçu au préalable de convocation par voie postale. La presse avait, elle, été informée par la justice. Ses communications téléphoniques, y compris avec la présidente Dilma Rousseff, ont été mises sous écoute hors de toute autorisation préalable du Tribunal suprême. Il a été condamné sur l’intime conviction des juges Victor Laus, Joao Pedro Gebran Neto, Leandro Paulsen, d’avoir bénéficié d’un appartement offert par l’entreprise de travaux publics OAS en échange de contrats de gré à gré. Intime conviction parce que l’appartement n’appartient pas à Lula ou à un membre de sa famille, mais à l’entreprise OAS. Les juges n’ont pu présenter aucun document permettant d’attribuer la propriété de ce bien à l’ancien président. Le principal élément sur lequel s’est appuyée l’accusation est le témoignage d’un ex-cadre condamné de la société OAS, qui a pu ainsi comme le prévoit la loi brésilienne, bénéficier d’une remise de peine. C’est donc la présomption de culpabilité qui a été appliquée et non la présomption d’innocence.

Selon un scénario pour le moins étrangement accéléré, Lula a été condamné en première instance en juillet 2016. Il a fait immédiatement appel devant le Tribunal fédéral de Porto Alegre (TRF4). Selon un magistrat qui connaît bien ce tribunal, les procédures qu’il traite en appel mettent souvent plusieurs années avant d’être inscrites à l’ordre du jour. Qui plus est, le TRF4 a fermé ses portes pour les fêtes de fin d’année jusqu’au 22 janvier 2018. Le dossier de Lula a été l’un des premiers traités en 2018, dès le 24 janvier. Qui plus est, le président du tribunal avait publiquement signalé, contrairement à tous les usages en la matière, que la sentence rendue par son collègue Sergio Moro était exemplaire. Les préjudices financiers attribués à la corruption de l’ex-président et de son parti politique, le PT (Parti des travailleurs), à supposer qu’ils soient fondés dans leur totalité, se monteraient à un milliard de Reais (soit environ 330 millions d’euros). Afin de restituer cet argent au contribuable, la maison, les deux voitures et le plan retraite de Lula ont été saisis.

En parallèle, les affaires de corruption se multiplient

Les affaires de corruption concernant le président Michel Temer (PMDB), le sénateur Aecio Neves (PSDB, candidat aux présidentielles de 2014), ou Gerardo Alckmin, soit n’intéressent pas la justice, soit bénéficient d’une protection politique garantie par le vote des députés et sénateurs PMDB, PSDB et de leurs amis. En revanche, il est clair que cette chasse aux sorcières relayée par le puissant groupe médiatique Globo, les hebdomadaires lus par les « élites » brésiliennes, et les églises évangélistes, fabriquent un discours propagandiste destiné à démoniser le PT et, au-delà, toute forme de démocratie sociale. L’heure, dit-on dans les couloirs du pouvoir actuel, politique comme économique, et dans les médias, est au réalisme. On ne peut pas dépenser plus que ce que l’on gagne. Il faut équilibrer le budget. L’équilibre est recherché en rompant avec les politiques antérieures. Le Code du travail a été « flexibilisé », les budgets sociaux révisés à la baisse, comme les investissements de l’État, un plan de réforme des retraites est en projet. Les universités sont en situation de faillite. Les fleurons de l’économie nationale sont déstabilisés ou bradés aux sociétés étrangères, comme les champs pétroliers de Petrobras ou la société de construction d’avions Embraer. La pauvreté est de retour. La fragmentation sociale est génératrice de violences et d’intolérances. La bourse à l’annonce de la condamnation de Lula a fait un bond révélateur. La sentence permet en effet d’écarter le candidat de gauche le mieux placé pour la présidentielle d’octobre. Il est vrai que la sociologie du corps judiciaire brésilien est plus proche de celle des « élites » économiques que du Brésilien de base. Le quotidien O Globo a publié le 17 décembre 2017 une enquête sur le salaire moyen d’un juge. Le plafond légal déjà élevé est de 33 763 Reais (environ 11 000 euros). Selon cette enquête, 71% des magistrats dépasseraient ce plafond.

[1] Rubens R. R. Casara, « Estado pos-democratico », Rio de Janeiro, éd. Civilizaçao brasileira, 2017, p. 59-60.
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