30.10.2024
Elections régionales au Venezuela : un retour en force du chavisme ?
Interview
20 octobre 2017
Alors que le Venezuela est confronté à une crise politique entre l’opposition et le gouvernement qui a dégénéré en violences au printemps-été 2017 et à une crise économique et sociale d’ampleur du fait de l’effondrement des recettes de l’Etat consécutif notamment à la chute des cours pétroliers, le scrutin de dimanche a déjoué les pronostics donnant une large victoire pour Nicolas Maduro et ses partisans. Le point de vue de Christophe Ventura, chercheur à l’IRIS, spécialiste de l’Amérique latine.
Le scrutin régional de dimanche a donné la victoire au parti du gouvernement avec 18 Etats remportés sur 23 contre 5 pour l’opposition ; initialement le rapport de force était de 20 Etats pour les chavistes contre 3 pour l’opposition. Comment interpréter ces résultats ? Est-ce une victoire pour Nicolas Maduro ?
Effectivement, les résultats ne sont pas ceux prédits par les sondages, ni par la presse internationale, l’Union européenne ou les Etats-Unis. Ils font d’ailleurs l’objet d’un silence gêné de la plupart des médias, pourtant très mobilisés sur le Venezuela ces derniers mois, notamment en France. La participation a été très forte puisque plus de 61% de la population est allée voter. Le parti chaviste, le Parti socialiste uni du Venezuela (PSUV), a obtenu 54% des suffrages au niveau national contre 45% pour la Table de l’unité démocratique (MUD en espagnol). Ces chiffres sanctionnent un nouveau rapport de forces favorable au chavisme.
Ce vote confirme plusieurs choses. Tout d’abord que le chavisme est en premier lieu une force sociologique dominante dans le pays. Ensuite que l’opposition connaît un reflux depuis l’élection de l’Assemblée nationale constituante. Fondamentalement, elle est associée aux troubles et aux violences qui ont secoué le pays cette année. Ce vote la sanctionne pour cela. Déjà, lors de primaires qu’elle avait organisées le 10 septembre dans la perspective de ces élections, la MUD avait reçu de premiers signaux de son affaiblissement. En effet, ces primaires avaient mobilisé très peu de gens dans le pays – fait à l’époque peu commenté par la presse internationale – et la coalition avait étalé ses dissensions internes entre ses secteurs les plus radicalisés (Volontad Popular, Primero Justicia notamment), hostiles à la participation aux élections et favorables à la continuité de l’affrontement insurrectionnel, et ceux – notamment Action démocratique (AD, sociaux-démocrates) – souhaitant rompre avec cette stratégie. En effet, AD considère que la stratégie de la tension a échoué et affecté l’image de l’opposition dans le pays, notamment auprès des classes populaires et moyennes.
Le vote du 16 octobre a confirmé l’analyse et amplifié la réalité du phénomène.
En fait, l’opposition vient de connaître ce que le chavisme a vécu en 2015 lors des élections législatives, à savoir un « trou électoral » puisqu’une partie importante de ses électeurs ne s’est pas rendue aux urnes, sans doute déstabilisée par la stratégie de la MUD et ses divergences, désillusionnée par la situation générale et pour sanctionner plus spécifiquement la direction de cette opposition qui a mené une stratégie qui a échoué et semé le trouble au sein de la population. Pour sa part, l’électorat chaviste s’est quant à lui fortement mobilisé, d’abord pour exprimer son rejet de l’opposition en général. C’est un message très dur qui lui est envoyé et dont le gouvernement va profiter, ouvrant une nouvelle séquence pour le pays.
De ce point de vue, cette séquence ouverte avec l’élection de l’Assemblée nationale constituante et ces élections constitue une indéniable victoire tactique et stratégique de Nicolas Maduro sur ses adversaires, aujourd’hui affaiblis et divisés.
Quel est l’état de l’opposition ?
L’opposition est en crise ouverte après ce scrutin. En quelques mois, elle a perdu la bataille de la rue et celle du champ électoral. Elle n’a plus de voix unifiée, les cadres les plus radicaux, partisans de la stratégie de la « sortie » (salida) de Nicolas Maduro depuis son élection en 2013, ont été sanctionnés. La seule formation qui ressort gagnante est Action démocratique (AD), vieux parti de la social-démocratie vénézuélienne qui assume une ligne plus modérée.
Aujourd’hui, Action démocratique a remporté 4 des 5 Etats, ce qui la renforce sur le plan politique et institutionnel. De plus, les Etats remportés sont d’une haute importance stratégique pour le pays. Il s’agit des Etats frontaliers avec la Colombie et pétroliers. AD prend aujourd’hui le leadership d’une opposition sonnée. Au sein de la MUD, ce scrutin marque également, de ce point de vue, un nouveau tournant.
De son côté, la partie la plus radicale des opposants continue à ne pas reconnaître les résultats, arguant d’une fraude massive pendant le scrutin. Ce positionnement ne réussira pas à inverser le cours des choses. D’une part, la MUD a participé à tout le processus électoral, elle en a accepté et validé les règles et leur mise en place. L’audit général du vote est en cours, le Conseil des experts électoraux d’Amérique latine (Ceela) – constitué d’anciens présidents de tribunaux électoraux de divers pays latino-américains-, présent sur place, a confirmé la pleine sincérité du vote et la fiabilité du système électoral vénézuélien. Au sein même de la MUD, cette thèse de la fraude est loin de faire l’unanimité. Des voix prennent leur distance, notamment celle du dirigeant d’AD, Henry Ramos Allup, qui pourrait aujourd’hui prétendre devenir le candidat de l’opposition pour la prochaine élection présidentielle. Selon lui, c’est bel et bien l’abstention au sein de l’électorat de la MUD qui explique la défaite et non la qualité du scrutin ou les irrégularités et entorses mentionnées par plusieurs dirigeants de son camp. Pour sa part, Enrique Capriles, autre figure de l’opposition, n’a pas directement relayé la thèse de la fraude même s’il a dénoncé la « corruption générale » du système électoral. L’ancien secrétaire exécutif de la MUD, Jesus Torrealba, rejette aussi cette thèse de la fraude et dénonce l’échec politique général de la direction de la MUD comme raison de la défaite. Il demande un changement global de stratégie et de direction.
Aujourd’hui, AD est en position de force dans l’opposition. L’aile radicale se marginalise. Cette évolution signifie qu’une ligne plus favorable au dialogue avec le gouvernement pourrait prendre le pouvoir. Cet élément est nouveau à quelques mois de nouvelles échéances électorales déterminantes. Les élections municipales pourraient se dérouler en décembre et l’élection présidentielle est prévue fin 2018.
Comment envisager des avancées dans les négociations entre l’opposition et le pouvoir ? Quelles issues à une sortie de crise tant politique qu’économique ?
L’issue ne peut être que politique. Il faut que la démarche de canalisation du conflit dans le cadre électoral progresse. AD semble incarner cet aggiornamento stratégique au sein de l’opposition.
Toutefois, la situation reste fragile et incertaine. Que vont faire les secteurs les plus à droite de l’opposition ? La défiance entre le gouvernement et l’opposition reste béante. Les cinq gouverneurs de cette dernière ne se sont pas rendus devant l’Assemblée nationale constituante pour prêter serment. En effet, l’opposition ne reconnaît pas la légitimité de cette Assemblée. Le blocage est toujours total. Comment cette Assemblée et le gouvernement vont réagir ?
Par ailleurs, les interventions et sanctions des Etats-Unis et de l’Union européenne (cette dernière étudie à son tour la possibilité de sanctions financières et commerciales) risquent de jeter de l’huile sur le feu en permanence et compliquent les possibilités de redressement financier et économique du pays, au détriment de la population. Face à cette situation, le gouvernement renforce ses liens avec la Chine et la Russie (qui ont pleinement reconnu les résultats et félicité le gouvernement pour la tenue de ce scrutin).
L’autre dimension de cette sortie de crise se jouera en effet sur le plan économique et social. Sur ce point, la responsabilité du gouvernement est cruciale car la victoire qu’il a enregistrée ne signifie pas pour autant une adhésion à son action. Détérioration économique et sociale, corruption, sécurité. Ces maux continuent d’affliger la société.
C’est donc sur le volet politique et économique que le gouvernement pourra ou non préparer la reconduction du chavisme au pouvoir. Cette force politique et sociologique a fait la démonstration de son ancrage dans le pays, de sa position majoritaire et de ses capacités de résilience, indépendamment de la crise à laquelle est confronté le gouvernement de Nicolas Maduro.
Du règlement ou non de ces questions dépendra grandement l’issue des prochains scrutins.