ANALYSES

Gel des dépenses publiques au Brésil : une erreur dommageable sur le long terme

Tribune
2 novembre 2016
Par Vincent Fruchart, diplômé d’IRIS Sup’
Depuis 2014, le Brésil connaît une crise politique majeure. Le scandale de corruption entourant l’entreprise Petrobras, contrôlée par l’État, a éclaboussé la majorité des partis politiques brésiliens et révélé le niveau de corruption de la classe politique. Selon l’ONG Transparency International, 60% des députés et sénateurs sont inquiétés par la justice[1]. Dilma Rousseff, la présidente réélue en 2014, a été destituée par une procédure d’impeachment controversée. Enfin, Michel Temer, son successeur, est aussi impopulaire que Dilma Rousseff, et des manifestations sont régulièrement organisées pour demander sa démission.

Cette crise politique en cache une autre, d’ordre économique : le Brésil est entré en récession, et a enregistré une baisse de son PIB de 3.8% en 2015. Le taux de chômage a atteint 10%, ce qui représente onze millions de personnes sans emploi. De plus, la monnaie brésilienne, le real, s’est dépréciée de 30% en 2015. Surtout, la consommation des ménages, motrice de la croissance au Brésil, a décru de 4.8% en 2015 [ii].

Dans ce contexte économique incertain, Michel Temer a dévoilé, en mai, son programme économique pour remettre le Brésil sur le chemin de la croissance, avec pour mot d’ordre la maîtrise de la dépense publique. Son agenda de réforme se base sur un constat tiré par le président : « Un nouveau cycle de croissance devra s’appuyer sur les investissements privés et sur une meilleure compétitivité à l’international » [iii]. Pour cela, le nouveau ministre de l’Economie a présenté un panel de mesures fortement impopulaires auprès des Brésiliens : réforme du système des retraites, augmentation des impôts, refonte du droit du travail…

Parmi toutes ces mesures, la plus importante reste sans conteste la proposition d’amender la constitution pour y proscrire toute augmentation des dépenses publiques pendant vingt ans. Or, un gel des dépenses publiques signifie moins d’efforts dans des secteurs clés comme l’éducation ou la santé. Par cette mesure, le gouvernement brésilien commet une erreur courante : considérer que l’éducation et la santé ne représentent que des dépenses. Au contraire, toute dépense dans ces deux secteurs doit être vue comme un investissement à long terme.

Selon l’économiste Kamel Ghazouani, une société peut être divisée en quatre institutions : le politique, le marché, l’humain et le socioculturel [iv]. Ce découpage de la société fait apparaître un paradoxe. En effet, le politique et le marché sont les deux institutions à la fois les plus visibles et les plus médiatiques, les plus facilement réformables, mais aussi les moins efficaces en économie. Au contraire, l’humain et le socioculturel, bien que moins visibles, sont plus pertinentes en termes de développement économique et d’attraction des investissements étrangers. Plusieurs études tendent à démontrer cet état de fait : Eckhard Janeba [v] ou Zouhour Karray et Sofiane Toumi [vi] ont montré que les incitations fiscales n’avaient que peu d’effet sur les flux d’investissements étrangers. Au contraire, Miao Wang et Sunny Wong [vii] ou Vibe Pedersen [viii] affirment qu’une politique d’éducation volontariste est efficace pour attirer les investissements privés étrangers.

Le programme économique brésilien est d’autant plus dommageable que le Brésil avait produit des efforts considérables ces dernières années. Si l’on compare les dépenses publiques dans l’éducation des BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine, Afrique du Sud), entre 2006 et 2012, dernière année connue, le Brésil se distingue. Sur cette période, le pays a accru ses dépenses, passant de 4.8% du PIB dédié à l’éducation à 5.9%. Dans le même temps, l’Inde et la Russie stagnent, passant respectivement de 3.1% à 3.8%, et de 3.9% à 4.2%[ix]. Le Brésil a su mettre en place des programmes d’éducation ambitieux, comme « Ciência Sem Fronterias » (Science sans frontières), dont le but est d’accorder, entre 2010 et 2014, cent mille bourses à des Brésiliens pour étudier à l’étranger. Ce programme correspond précisément au type de politique à mener. Il permettra de former une génération de Brésiliens non seulement éduquée, mais aussi ouverte sur le monde et sur les cultures des pays dans lesquels ils ont étudié, donc plus à même de s’insérer dans la mondialisation et d’en tirer les bénéfices.

En gelant les dépenses publiques dans ces secteurs clés, Michel Temer et son gouvernement privilégient le temps court au détriment du temps long. Cette erreur est bien plus conséquente que la crise politique ou que les difficultés économiques conjoncturelles dont souffre le pays.

[1] TransparênciaBrasil, site consulté le 26 septembre 2016, disponible sur : http://excelencias.org.br/@casa.php?tribs

[ii] Banque mondiale, Indicateurs du développement dans le monde, site consulté le 26 septembre 2016, disponible sur :

http://databank.worldbank.org/data/reports.aspx?source=world-development-indicators

[iii] Agência Brasil, PMDB party circulates document with proposals to revive growth, publié le 31 octobre 2015.

[iv] Ghazouani, Kamel. « L’attraction des IDE est une question d’adaptation institutionnelle : Modèle théorique et estimations pour les régions PECO & MENA ». Revue Tunisienne d’Économie, 2005, 104‑63

[v] Janeba, Eckhard. « Attracting FDI in a Politically Risky World ». Cambridge, MA: National Bureau of Economic Research, juillet 2001.

[vi] Karray, Zouhour, et Sofiane Toumi. « Investissement Direct Etranger et Attractivité : Appréciation et enjeux pour la Tunisie. ». Revue d’Economie Régionale et Urbaine, 2007, 479‑501.

[vii] Wang, Miao, et M. C. Sunny Wong. « FDI, Education, and Economic Growth: Quality Matters ». Atlantic Economic Journal 39, no 2 (28 mai 2011) : 103‑15. doi:10.1007/s11293-011-9268-0.

[viii] Pedersen, Vibe Qvist. « Quality in Education as a Means to Development: The Case of Sierra Leone ». Aalborg University, 2013.

[ix] Banque mondiale, Indicateurs du développement dans le monde, site consulté le 26 septembre 2016.

 

 
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