ANALYSES

De la nécessité de lutter contre la corruption dans le sport

Interview
26 janvier 2016
Le point de vue de Pim Verschuuren
Le tennis fait à son tour l’objet d’accusations de matchs truqués. Quelle est l’ampleur de l’affaire ? Ce phénomène est-il nouveau et permet-t-il une prise de conscience accrue des risques de corruption dans le tennis ?
Le scandale qui a éclaté la semaine dernière au niveau du tennis international lié aux suites d’un match fortement controversé qui a eu lieu en 2007 entre le numéro 4 mondial de l’époque Davydenko et un joueur argentin classé autour de la 130e place. Un opérateur de paris sportifs a reçu des sommes d’argent totalement irrationnelles sur le joueur argentin qui était pourtant non favori sur le plan sportif. Une alerte a été émise en direction des autorités du tennis international. Une enquête a été diligentée et de nombreuses informations ont été rassemblées, révélant notamment des contacts entre un réseau de joueurs professionnels et des organisations criminelles. Ces joueurs sont soupçonnés d’avoir truqués un nombre important de matchs de tennis. Néanmoins, suite à ces informations qui ont été remontées vis-à-vis des autorités, la gouvernance du tennis international n’a pas véritablement condamné ces joueurs ou fait aboutir les enquêtes qu’elle a pu mener en interne. Les informations actuelles liées à ce scandale ne sont pas fondamentalement nouvelles. On sait que les joueurs de tennis sont régulièrement approchés par des criminels pour truquer des rencontres afin que ces derniers puissent s’enrichir sur le marché des paris sportifs. On peut aussi imaginer que certains joueurs de tennis soient eux-mêmes tentés de perdre volontairement une partie des matchs ou les matchs en entier, afin de s’enrichir sur le marché des paris sportifs.
La première question liée à ce scandale est de savoir si le monde du tennis a volontairement enterré ces rapports relatifs à des agissements criminels de joueurs importants du circuit professionnel. On ne peut pas véritablement le savoir. Depuis l’installation de la Tennis Integrity Unit – une équipe rassemblant d’anciens policiers -, seulement quelques joueurs très faiblement classés ont été condamnés, pour des raisons floues. Il faut savoir que les autorités du tennis, comme les autorités sportives en général, sont à la fois juge et partie, c’est-à-dire qu’elles retirent des retombées commerciales des compétitions qu’elles organisent. Elles n’auraient donc pas forcément intérêt à révéler d’éventuels scandales qui viendraient entacher l’image de ces compétitions. Il y a ainsi un problème au niveau de la gouvernance sportive, même si depuis 2010 des autorités d’autres disciplines comme le football ont été obligées de communiquer, de mettre en place des équipes dédiées et des enquêtes approfondies pour répondre aux affaires qui se multipliaient dans ces disciplines. Pour le tennis, peut-être que ces scandales vont pousser les autorités à accroitre les moyens mis à disposition de l’équipe qui doit protéger l’intégrité du tennis. Car on peut dire que 4-5 individus pour surveiller l’ensemble du circuit professionnel, ce n’est pas beaucoup. On ne peut pas non plus savoir si le tennis a volontairement enterré ces remontées d’informations car il est très difficile aujourd’hui de lutter contre la corruption et de prouver a posteriori qu’un match a fait l’objet de manipulations : 1/il faut pouvoir prouver qu’un joueur a été contacté par un criminel ; 2/ il faut montrer que le joueur ait accepté le pot-de-vin ; 3/ qu’il l’ait appliqué sur le terrain. On peut imaginer que dans le cadre de chantage et de menaces physiques un joueur puisse accepter un pot-de-vin, mais qu’une fois sur le terrain il choisisse de ne pas l’appliquer. Il est de ce point de vue très difficile de prouver un acte de corruption.
De même, le tennis est un sport résolument international, ce qui fait que dans un exemple de manipulation, on pourrait avoir deux joueurs de nationalités différentes qui se retrouvent pour jouer un tournoi dans un autre pays, avec des mafias elles aussi étrangères, qui vont parier sur des sites de paris sportifs licenciés dans d’autres juridictions via des comptes de paris sportifs et des comptes bancaires dans d’autres juridictions. Il est très difficile pour les autorités sportives mais aussi policières de détecter des mouvements financiers frauduleux et, a posteriori, enquêter sur des faits de corruption sportive. D’autant plus que ces faits de manipulations via les paris sportifs ne font pas de victimes. Il y a très rarement des plaintes qui peuvent déclencher des enquêtes sur les cas de corruption.
Enfin, la protection de l’intégrité des compétitions, qui est du ressort des autorités sportives, devient aujourd’hui un enjeu de protection de l’ordre public. C’est-à-dire que lutter contre la corruption sportive, c’est lutter contre le crime organisé. Cela nécessite des capacités en termes d’écoutes téléphoniques, d’enquêtes bancaires, sur internet, d’infiltration de réseaux criminels mafieux transnationaux. Les autorités sportives n’ont ni le mandat, ni les capacités pour le faire. Elles doivent beaucoup plus coopérer avec les autorités policières et les autorités publiques pour protéger l’intégrité des compétitions et l’ordre public qui est menacé lorsque des organisations criminelles visent ainsi les compétitions sportives.

Au regard des évènements récents concernant l’athlétisme, le football ou encore le tennis, peut-on parler d’une corruption généralisée dans le monde du sport ?
Il est vrai que cette affaire qui touche le tennis arrive à un moment difficile pour la gouvernance du sport puisqu’en quelques mois, un vaste scandale judiciaire touche l’organisation suprême du football, la FIFA. Des enquêtes judiciaires ont été ouvertes par les Etats-Unis et la Suisse contre les dirigeants de l’organisation et les dirigeants régionaux du football. Une procédure disciplinaire interne à la FIFA est aussi en cours. En quelques mois, tout cela a conduit à la suspension, à la démission, à l’attente d’extradition ou à l’incrimination de nombreux membres du comité exécutif de la FIFA.
Aux déboires de la FIFA, viennent s’ajouter ceux de la Fédération internationale d’athlétisme (IAAF), puisqu’un rapport de l’Agence mondiale anti-dopage (AMA) a dévoilé des politiques de dopages organisées au niveau étatique, notamment en Russie et au Kenya. Surtout, des dirigeants de l’IAAF procédaient à du racket vis-à-vis d’athlètes dont ils avaient des éléments prouvant le dopage, en leur disant qu’ils ne pourraient pas participer aux grandes compétitions, notamment aux Jeux olympiques de 2012 au Royaume-Uni, s’ils ne payaient pas la fédération.
Avec le problème de gouvernance de l’IAAF, le scandale de la FIFA et du tennis, se pose la question de la capacité du monde du sport à lutter contre les actes de corruption, voire des systèmes de corruption généralisée en leur sein, sachant que les organisations sportives continuent de défendre leur concept d’autonomie sportive, c’est-à-dire d’indépendance vis-à-vis des autorités publiques.
L’augmentation de l’argent et des enjeux financiers dans les arcanes du sport international n’est pas une fatalité et ne conduit pas systématiquement à des systèmes de corruption généralisée. Le problème est que ces organisations, qui ont mis en place des stratégies de commercialisation à outrance de compétitions sportives, ont vu leurs revenus considérablement augmenter depuis une vingtaine d’année sans que les systèmes de décisions et les procédures d’attribution de contrats, de marketing, de sponsoring, de droits télé ou de compétitions sportives, évoluent. Mêmes les procédures d’audits financiers ou de contrepoids au sein de ces organisations n’ont pas été correctement repensées alors même que les enjeux financiers, voire politiques, autour des compétitions sportives et des grands évènements, comme les Jeux olympiques et la coupe de monde de football, se sont démultipliés. Il y a donc un décalage entre les milliards d’euros brassées par ces associations privées et l’absence de procédures internes pour se protéger des fraudes que pourrait susciter l’afflux d’argent dans ce milieu fermé, opaque et hébergé dans des juridictions comme la Suisse ou Monaco où les autorités n’ont pas fait preuve d’une grande implication pour encadrer les activités de ces fédérations.

Devant la multiplication des affaires de dopage et de corruption, un sport propre est-il possible ? Dans quelle mesure les programmes inaugurés par l’IRIS en ce début d’année, participent-ils de cet effort ?
Un sport propre est possible. Un sport miné par la fraude et la corruption n’est pas une fatalité. Des fédérations et des compétitions sportives sont organisées de façon propre. Malgré la succession de scandales, il ne faut pas généraliser les actes criminels. Surtout qu’aujourd’hui, les organisations sportives ont un intérêt à faire le ménage, à mettre en place des réformes et des nouvelles procédures de fonctionnement pour qu’à l’avenir ces scandales ne se reproduisent plus et que le public croit en l’intégrité des compétitions et des dirigeants qui les organisent.
L’IRIS coordonne aujourd’hui deux programmes européens qui touchent aux questions d’intégrité sportive. Le premier programme dont l’IRIS est leader vise à prévenir les risques criminels au sein des paris sportifs, c’est-à-dire prévenir les actes de blanchiment, d’infiltration d’opérateurs de paris sportifs, de création de faux opérateurs de paris sportifs, etc. Un programme de recherche va être conduit sur les prochains mois, débouchant sur l’organisation d’une douzaine de séminaires nationaux dans l’UE, avec des recommandations formulées à destination des autorités nationales et européennes pour protéger ce marché des paris sportifs qui est aujourd’hui organisé de façon nationale, parfois de manière dérégulée et qui n’est pas, au niveau international, suffisamment encadré pour pouvoir le protéger de ces organisations criminelles qui ont un fort besoin de blanchir l’argent qui émane de leurs activités mafieuses. Le deuxième programme vise à faire un audit des différents programmes de prévention mis en place par les autorités sportives vis-à-vis des athlètes, dans le but de les sensibiliser et les informer sur les risques encourus en cas d’approches criminelles dans le cadre de manipulations de rencontres sportives et des codes disciplinaires qui existent sur cette question. Dans le cadre de ce programme, plusieurs groupes de travail vont être établis avec des athlètes, des séminaires vont être organisés avec les autorités pour voir comment adapter au mieux un programme de prévention vis-à-vis des différents sportifs, en fonction de leur discipline et de leur environnement. Ce programme doit aider les organisations sportives à adapter le message et donc protéger ces sportifs qui sont de plus en plus approchés par les milieux criminels pour manipuler les rencontres sportives.
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