ANALYSES

L’attentat de Ouagadougou du 16 janvier 2016 : une extension territoriale du terrorisme dans l’arc sahélo-saharien

Tribune
19 janvier 2016
Le Burkina Faso, après avoir été un modèle de transition démocratique, a été à son tour touché par des attentats de grande ampleur à Ouagadougou le vendredi 16 janvier 2016. On déplore au moins 30 morts de plus de 14 nationalités différentes. Cet attentat, advenant deux mois après celui de Bamako (Hôtel Radisson Blu), a été revendiqué par Al-Qaïda au Maghreb Islamique (Aqmi) qui l’a attribué au groupe Al-Mourabitoune du chef djihadiste Mokhtar Belmokhtar.

Les objectifs de ces attentats sont pluriels. Ils rentrent dans des jeux de rivalités et d’allégeance entre groupes djihadistes pour contrôler des trafics et recruter des jeunes. Ils visent à gagner des guerres médiatiques en mondialisant les images et en instillant la peur. Ils ont pour objectifs d’accroître la vulnérabilité des pays touchés par ces attentats et ils s’en prennent aux intérêts occidentaux en cherchant à les dissuader d’être présents dans les zones saharo-sahéliennes.

Le Burkina Faso est un pays sahélien enclavé ayant des frontières poreuses avec ses voisins du Sud (Côte d’Ivoire) et du Nord (Mali et Niger). Il est un des pays les plus pauvres du monde, dans une zone caractérisée par de nombreuses vulnérabilités liées à l’explosion démographique, au poids croissant des jeunes sans perspectives, aux aléas climatiques et à l’impossibilité de contrôler les frontières.

Il avait connu une grave crise politique, après avoir été durant 27 ans dirigé par Blaise Compaoré. Celui-ci avait su jouer le rôle d’intermédiaire avec les groupes djihadistes en servant de médiateur lors de la libération d’otages et avait un pacte implicite de non-agression avec eux. Blaise Compaoré était à double face, allumant ou alimentant des incendies et médiateur pour les éteindre ou les atténuer. Dans le système néo-patrimonialiste transnational de Compaoré, les ressources mobilisées dans les alliances et le contrôle de trafics divers avec les acteurs régionaux pouvaient financer le jeu politique interne. Blaise Compaoré avait chuté après avoir voulu modifier la constitution lui permettant de briguer un nouveau mandat.

Les mouvements des jeunes avaient conduit en quelques jours, fin octobre 2014, au départ du « président à vie », Blaise Compaoré. Le mouvement « balai citoyen » avait fait du Burkina Faso un exemple de « printemps africain ». Un gouvernement de transition avait été mis en place devant conduire aux élections législatives et présidentielles du 11 octobre 2015. Le clan politique, militaire et affairiste de Compaoré a voulu, par le coup d’Etat raté de Gilbert Diendéré le 17 septembre 2015, prendre sa revanche mais la jeunesse et les partis politiques se sentaient frustrés de leur victoire pour une transition démocratique. L’armée loyaliste a abouti à la reddition du RSP. Le processus de transition démocratique s’est alors poursuivi. Après avoir été retardées, les élections présidentielles ont été gagnées au premier tour le 29 novembre 2015 par Roch Marc Kaboré, ancien premier ministre de Blaise Compaoré, avec 53,49% des voix.

L’attaque terroriste, préparée vraisemblablement de longue date, a eu lieu trois jours après la constitution du ministère, et le jour même où les autorités judiciaires du Burkina Faso lançaient un mandat d’arrêt contre Guillaume Soro, président de l’Assemblée nationale de la Côte d’Ivoire, avec accusation d’avoir participé à la tentative de coup d’Etat de Gilbert Dienderé en 2015. Le Burkina Faso reconstruisait son système de sécurité après l’affaiblissement du RSP et du dispositif sécuritaire des services de renseignement. Le RSP a certes assuré les basses besognes mais il avait également été un régiment d’élite aux côtés de Serval au Mali.

Les attentats, qui sont les plus violents de l’histoire du « pays des hommes intègres », ont touché un pays qui avait fait montre d’une grande maturité politique. Différents groupes d’intérêts divergents pouvaient mettre de l’huile sur le feu et avoir des connivences, même s’il est impossible d’instrumentaliser l’ethnique et le religieux au Burkina Faso.

Les attentats sont liés à des stratégies de groupes terroristes qui ont recruté des jeunes originaires de différents pays africains. Ils se sont accentués depuis 4 ans dans l’espace sahélo-saharien. Dans le cas présent, les assaillants étaient de très jeunes peuls, touaregs et arabes originaires du Nord du Burkina Faso. Les jeunes désœuvrés ont le choix entre petits boulots informels, trafics et recrutement dans des milices. Les enquêtes dont on dispose montrent toutefois que ce terreau conduit à des recrutements hétérogènes, sur le plan socio-économique, scolaire, voire ethnique et religieux, des milices djihadistes.

Les grandes organisations terroristes, Al-Qaïda et l’Etat islamique, sont en rivalité quant au recrutement, aux stratégies et aux allégeances. Les organisations djihadistes ont pour projet de gagner les guerres médiatiques par l’imaginaire de grands récits historiques (le califat) et mondiaux (les guerres occidentales) tout en favorisant les déchirements dans les sociétés agressées et la séduction des jeunes par la violence des images.

Al-Mourabitoune, qui a revendiqué les attentats de Ouagadougou, est affiliée à Aqmi, même si une faction a déclaré qu’elle était affiliée à l’Etat islamique. Après avoir été membre d’Al-Qaïda, Mokhtar Belmokhtar avait rompu avec Aqmi, a fusionné avec les Signataires du sang et le groupe Mujao puis s’est à nouveau affilié à Al-Qaïda. Mokhtar Belmokhtar est défini comme le Ben Laden du Sahara. Il est notamment responsable des attentats d’In Amenas en Algérie, d’Arlit au Niger et du Radisson Blu à Bamako. D’autres groupes sahéliens sont affiliés à Al-Qaïda tels les shebabs de Somalie, le FLM (Front de libération du Masina) peul au Mali, Ansar Eddine du Touareg Ag Ghali au Mali.

Al-Qaïda a récemment perdu de son poids par rapport à l’Etat islamique (Daech) qui a une visée territoriale (avec le Mujao, Ansar Bait al-Maqdis Sinai, Majidis Choura Chabab al-Islam Libye, fractions de shebabs en Somalie). Cette organisation s’est construite en 10 ans. Elle a été fondée officiellement en 2006-2007 après la mort d’Abou Moussab Al-Zarkaoui qui voulait faire la guerre au Proche-Orient. Elle s’est proclamée, avec Abou Bakr al-Baghdadi, « califat » le 29 juin 2014, et a pris comme devise « Durer et s’étendre ». Elle veut reconstituer, du moins au niveau de l’imaginaire, le Califat des Abbassides de l’Afrique du Nord à l’Asie centrale (750-1258).

Ayant un caractère sectaire et totalitaire, visant à distiller l’horreur, ces deux organisations ont un ancrage auprès de jeunes désœuvrés et un professionnalisme médiatique. Elles combinent :
1/ terreur, horreur, propagande en écho avec les jeunes et le monde virtuel de la séduction de la violence ;
2/ gestion des territoires (administrer, répondre aux besoins sociaux des populations), et le projet d’un califat renvoyant à un imaginaire historique face à la non légitimité des frontières héritées de l’histoire ;
3/ les ressources importantes (financement par des fonds pétroliers, braquage de banque, trafics des hydrocarbures, des voitures, de la drogue ou des cigarettes, etc.) ;
4/ une idéologie totalitaire fondée sur une branche mortifère du salafisme.

Il s’agit, au-delà de la référence au takfirisme, plus fondamentalement de groupes terroristes qui contrôlent des trafics. Al-Mourabitoune, après avoir pris des otages à des fins de rançon et participé à des contrôles de trafics de cigarettes, a refusé l’affrontement direct avec les forces de sécurité, s’est reconstitué en armement et en hommes et a aujourd’hui une grande capacité d’action lui permettant de rivaliser avec l’Etat islamique.

Les attentats ont touché en priorité des expatriés. Ils visaient à déstabiliser les pays africains, à créer la peur, la terreur et l’horreur qui laissent la place vide en faisant partir les Occidentaux, les investisseurs et les humanitaires.

Il s’agissait également de montrer l’impuissance relative des grandes puissances. L’opération Barkhane, appuyée par les forces africaines et multilatérales, a empêché le contrôle territorial des djihadistes dans l’arc sahélo-saharien. Mais elle a conduit à disséminer des groupuscules dans l’espace. Les forces spéciales françaises sont intervenues avec efficacité en liaison avec les forces burkinabés et américaines pour libérer les otages de l’hôtel Splendid et anéantir les assaillants, Ouagadougou étant la base des forces spéciales dans le cadre de l’opération Barkhane.

La priorité de la sécurité menace les démocraties. Au sein de l’arc sahélo-saharien, l’élimination de dictateurs ou de régimes autoritaires répond à la démocratie et aux aspirations des jeunes mais elle a parfois conduit au chaos (Libye), à l’absence de suivi politique et à un démantèlement des services de renseignement et des armées avec revanche des perdants.

La coopération militaire est évidemment nécessaire mais elle n’est pas à même d’éradiquer le terrorisme. Le renseignement, le contrôle des trafics d’armes, les actions de longue durée dans la formation, la création d’un tissu économique générateur d’emplois, le contrôle du salafisme violent, les missions régaliennes des Etats à commencer par le contrôle des territoires et des trafics, sont seules à même de gagner durablement la « drôle de guerre » qui est devant nous.

La lutte contre le terrorisme concerne les Africains tout comme les Européens. Un mort au Nord a autant de valeur qu’un mort au Sud. Il s’agit d’éviter le repli sur soi et la fragmentation des sociétés distillée par la peur. Seuls la coopération scientifique, culturelle, humanitaire, les échanges économiques, les accueils croisés des populations africaines en Europe et d’Européens en Afrique, sont à même de répondre aux stratégies des djihadistes visant à instiller la peur, le repli sur soi, la xénophobie et à créer des territoires marginalisés de non droit.
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