ANALYSES

La dépénalisation universelle de l’homosexualité au Conseil des droits de l’homme des Nations Unies : l’Afrique du Sud doit-elle encore montrer la voie ?

Tribune
17 novembre 2014
par Sarah Jean-Jacques, diplômée d’IRIS SUP’ (responsable de programmes internationaux), étudiante en arabe littéraire à l’INALCO. Elle développe actuellement un projet de thèse en sociologie sur l’homosexualité féminine à Beirut. Thèmes de recherche : genre et sexualités, géopolitique de l’homosexualité

Le 15 juin 2011, le Conseil des droits de l’homme des Nations Unies a adopté par 23 voix [1] contre 19 [2] et 3 abstentions [3] la résolution 17/19 relative à la dénonciation des violations des droits humains fondés sur l’orientation sexuelle et l’identité de genre (OSIG). Cette résolution hautement symbolique s’inscrit dans le projet plus large de dépénalisation universelle de l’homosexualité au sein du système onusien.


Présentée conjointement par l’Afrique du Sud et le Brésil, cette résolution a marqué d’une part une étape historique dans la prise en compte des droits des personnes lesbiennes, gays, bi.e.s, et trans (LGBT) – car elle est la première à appeler à soutenir et à défendre les droits des personnes LGBT dans le monde entier – mais surtout la première à condamner les actes LGBT-phobes à l’échelle internationale. D’autre part, l’adoption de ce texte a propulsé l’Afrique du Sud au rang de leader moral de ce projet.


L’Afrique du Sud, un candidat idéal ?


L’adoption de cette résolution n’aurait jamais pu se concrétiser sans l’implication d’un grand Etat africain. En effet, dans le cadre d’une stratégie visant à éviter toute accusation d’impérialisme, l’Afrique du Sud s’est avéré être un allié et un candidat idéal, aux yeux de nombreux diplomates occidentaux, notamment français, pour être à l’avant-garde du combat pour la dépénalisation universelle de l’homosexualité. En effet, le hard et le soft power dont le pays dispose lui permettent d’être à la fois une puissance régionale incontestée et un médiateur influent assurant une fonction d’interface entre le Nord, l’Ouest et le Sud, et plus particulièrement en Afrique. En d’autres termes, l’Afrique du Sud s’avèrerait être un atout remarquable pour influencer la majorité des Etats africains afin qu’ils considèrent la question de l’OSIG et s’impliquent à leur tour dans le projet de dépénalisation universelle de l’homosexualité. D’autre part, en tant que pionnière en matière de lutte pour les droits civiques, la Nation arc-en-ciel s’est imposée comme modèle politique – depuis la fin du système d’apartheid sous l’égide de Nelson Mandela- et en tant que précurseur de la défense des droits des personnes LGBT en Afrique et dans le monde grâce à une Constitution avant-gardiste (1996), qui instaura le respect de l’orientation sexuelle comme principe constitutionnel (notamment grâce à l’engagement de Edwin Cameron et de Desmond Tutu).


Bénéficiant d’une aura morale et en tant qu’acteur phare des droits humains, l’Afrique du Sud est donc considéré comme devant être un défenseur et un promoteur des droits humains au niveau régional et international.
Pourtant, ses positions contradictoires sur la question et l’ambiguïté de sa politique étrangère, questionnent l’ambition de l’Afrique du Sud à jouer un rôle déterminant dans le projet de dépénalisation universelle de l’homosexualité.


Un Etat en quête d’identité


Depuis que les Nations Unies se sont emparées de la problématique de l’orientation sexuelle et de l’identité de genre en 2003, l’Afrique du Sud a multiplié les prises de positions ambivalentes, notamment entre 2008 et 2014.
En 2008, lorsque la France présenta la « Déclaration relative aux Droits de l’homme et à l’orientation sexuelle et l’identité de genre » devant l’Assemblée Générale des Nations Unies, l’Afrique du Sud refusa de soutenir ce texte par crainte de s’opposer et de se désolidariser du continent africain suite à la lecture d’une contre-déclaration [4] de l’Organisation de la Conférence Islamique (OCI), qui condamnait de manière virulente le terme d’« orientation sexuelle ». Toutefois, un revirement eût lieu en 2011, lorsque l’Afrique du Sud a été reconnue comme leader moral en faveur d’une reconnaissance de l’orientation sexuelle et de l’identité de genre au niveau mondial. Malgré, cet engagement fort de sens, le pays n’a pas réussi à rester à la hauteur : l’annulation du séminaire pour la région Afrique qui devait se tenir à Johannesburg en 2013, au même moment que ceux de Paris, Katmandu et Brasilia est révélatrice d’un échec de l’Afrique du Sud à assumer ses choix face à ses alliés africains. Le vote de l’Afrique du Sud pour une résolution sur la protection de la famille [5] adoptée par le Conseil des droits de l’Homme, le 26 juin 21014, a fait l’effet d’une bombe car cette dernière nie l’hétérogénéité de la « famille » qui existe sous de multiples formes (les familles homoparentales par exemple), vient contrer frontalement la résolution 17/19 – affirmant l’égalité inaltérable entre les êtres humain quelle que soit leur orientation sexuelle – et questionne les réels engagements moraux et politiques de l’Afrique du Sud. Vivement critiquée, l’Afrique du Sud se retrouve donc face à un dilemme qui la pousse à épouser des identités, qui lui servent selon ses intérêts.


Ces nombreux positionnements ambivalents depuis 2008 sont à l’image d’une Afrique du Sud trop « gourmande », qui souhaite bénéficier d’une légitimité à la fois régionale et internationale, tout en restant fidèle à ses engagements constitutionnels forts notamment en matière de droits relatifs à l’OSIG mais préservant des liens solidaires avec ses pairs africains. Les contradictions du gouvernement à l’égard de l’OSIG reflètent donc une quête d’identité compliquée, après des décennies d’une politique d’apartheid dévastatrice et des siècles de colonisation occidentale. Cette quête se traduit par des tensions vives entre deux composantes centrales des luttes anti-apartheid : d’une part la démocratie et les droits de l’homme et de l’autre l’anti-impérialisme et la solidarité Sud-Sud. L’Afrique du Sud se retrouve à devoir « choisir son camp » car elle est tiraillée entre la poursuite d’intérêts, qui ne convergent pas forcément, voire qui sont aux antipodes.


L’Afrique du Sud a-t-elle toujours un rôle crucial à jouer ?


Le 26 septembre 2014, une résolution relative à l’orientation sexuelle et à l’identité de genre, présentée par le Chili, l’Uruguay et la Colombie a été adoptée par 25 [6] voix contre 14[7] et 7[8] abstentions, lors de la 27ème session du Conseil des droits de l’homme des Nations Unies (OHCHR). Durant cette session, l’Afrique du Sud s’est illustrée par l’abandon de son leadership. En effet, le pays n’a pas souhaité faire partie du groupe à l’origine de la résolution, bien qu’il ait voté en faveur de ce texte. Cette posture explicite, exprime l’échec actuel de l’Afrique du Sud à traduire son potentiel en influence et trouve ses origines dans une politique étrangère en pleine mutation depuis la première présidence post-apartheid. L’inaction de l’Afrique du Sud depuis la conférence d’Oslo en 2013 illustre l’ambiguïté de ses choix géopolitiques à l’international. En effet, la place des droits humains en tant que pilier de sa politique étrangère a été au cœur d’une évolution constante au sein des différents gouvernements post-apartheid. Et à l’heure actuelle, la politique de Jacob Zuma est bien éloignée de la vision de Nelson Mandela. Que ce soit au niveau national, régional ou international, des évolutions inquiétantes ont émergé à travers notamment le rapprochement de l’Afrique du Sud avec des régimes peu attachés au respect des droits de l’homme, comme la Russie et la Chine, lors de résolutions votées aux Nations Unies. En réaffirmant son attachement à la défense et à la promotion des droits humains en 2011 et en 2014, l’Afrique du Sud a fait reconnaître sa légitimité dans un environnement multilatéral complexe, et ce au détriment de ses alliances Sud-Sud. Toutefois, la multiplication de prises de positions ambivalentes, en particulier sur les questions relatives à l’OSIG remet en question les véritables aspirations et engagements du pays. Il est évident que des rapports de force s’exercent au sein même du gouvernement de l’ANC et puissent expliquer une telle « bipolarité ». Alors que l’Afrique du Sud a un rôle crucial à jouer dans le projet de dépénalisation universelle de l’homosexualité, la crédibilité du pays dépendra dans une large mesure de la manière dont il va se conduire en tant que démocratie et champion des droits humains alors que le souhait de préserver ses relations avec les autres pays africains, qui ont pour certains récemment promulgué des lois anti-homosexualité sévères (comme l’Ouganda et le Nigéria) est toujours prégnant.


[1] Argentine, Belgique, Brésil, Chili, Cuba, Équateur, Espagne, États-Unis d’Amérique, France, Guatemala, Hongrie, Japon, Maurice, Mexique, Norvège, Pologne, République de Corée, Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord, Slovaquie, Suisse, Thaïlande, Ukraine, Uruguay.
[2] Angola, Arabie saoudite, Bahreïn, Bangladesh, Cameroun, Djibouti, Fédération de Russie, Gabon, Ghana, Jordanie, Malaisie, Maldives, Mauritanie, Nigéria, Ouganda, Pakistan, Qatar, République de Moldova, Sénégal.
[3] Burkina Faso, Chine, Zambie
[4] Signée par la majorité des pays arabes et 31 états africains.
[5] Pour : Afrique du Sud, Algérie, Arabie saoudite, Bénin, Botswana, Burkina Faso, Chine, Congo, Côte d’Ivoire, Émirats arabes unis, Éthiopie, Fédération de Russie, Gabon, Inde, Indonésie, Kazakhstan, Kenya, Koweït, Maldives, Maroc, Namibie, Pakistan, Philippines, Sierra Leone, Venezuela et Viet Nam.
Contre : Allemagne, Autriche, Chili, Estonie, États Unis, France, Irlande, Italie, Japon, Monténégro, République de Corée, République tchèque, Roumanie et Royaume Uni
[6] Argentine, Autriche, Brésil, Chili, Costa Rica, Cuba, République tchèque, Estonie, France, Allemagne, Irlande, Italie, Japon, Mexique, Monténégro, Pérou, Philippines, Corée du Sud, Roumanie, Afrique du Sud, Macédoine, Royaume-Uni, États-Unis, Venezuela et Viêt Nam. [7] Algérie, Botswana, Côte d’Ivoire, Éthiopie, Gabon, Indonésie, Kenya, Koweït, Maldives, Maroc, Pakistan, Russie, Arabie Saoudite, Émirats Arabes Unis.
[8] Burkina Faso, Chine, Congo, Inde, Kazakhstan, Namibie, Sierra Leone


Son mémoire de fin d’étude portait sur L’Afrique du Sud et la dépénalisation universelle de l’homosexualité: Echec d’un acteur phare des droits humains ?

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