ANALYSES

Frappes occidentales en Syrie : quel défi pour la diplomatie française ?

Tribune
27 avril 2018


Des frappes par missiles ont été menées dans la nuit du vendredi 13 avril par les États-Unis, la France et le Royaume-Uni, en guise de riposte à l’utilisation d’armes chimiques contre des civils à Douma, imputée au régime de Bachar Al-Assad. Des dizaines d’hommes et de femmes ont été massacrés par l’attaque au gaz sarin le 7 avril dernier, accuse la ministre française des Armées, « en totale violation du droit international et des résolutions du Conseil de sécurité des Nations unies ». Une opération « limitée » et « proportionnée » qui a ciblé trois sites liés au programme de production et de mise au point d’armes chimiques du régime syrien, dans la banlieue de Damas et la région de Homs. Cette intervention est ainsi jugée « juste » et « légitime » par les trois États ayant participé aux frappes. La Ligue arabe a, à son tour, apporté sa caution à l’intervention occidentale, lors du 29e Sommet tenu en Arabie Saoudite, pays qui cherche également à rallier les pays arabes contre l’Iran et contre les rebelles Houthis au Yémen.

Cette intervention militaire, qualifiée de « mission accomplie » par le président Trump et ses alliés français et britanniques, invite pourtant à s’interroger tant sur sa légitimité morale et juridique que sur les enjeux géostratégiques qui en découlent. Sur le plan moral, ces frappes limitées – qui ne visent pas l’armée du régime – ne protègent en rien les civils face à la répression du régime syrien qui dure depuis 2011. L’intervention pourrait même provoquer un durcissement du régime syrien contre les milices rebelles (groupes de combattants et les civils) et les populations qui les soutiennent. Pourquoi alors avoir attendu sept ans pour agir ?

Du point de vue du droit international, les trois États – américain, britannique et français – justifient leurs frappes par le recours à la résolution 2118 des Nations unies qui exige l’élimination en Syrie de « tous les équipements et matières liés aux armes chimiques » et prévoit des mesures en cas de non-respect par le régime syrien de ses obligations, en vertu du Chapitre VII de la Charte des Nations unies[1]. Pourtant, il reste difficile de défendre la légitimité d’une action militaire menée sans l’aval du Conseil de sécurité, d’autant que la question de l’attribution de l’utilisation des armes chimiques par le régime syrien contre des civils à Douma reste peu fondée.

En effet, si Donald Trump accuse ouvertement Bachar Al-Assad d’avoir recouru à l’attaque chimique, Emmanuel Macron était moins affirmatif. Lors de son interview télévisée du dimanche 15 avril, le président français déclare avoir eu des preuves concernant l’utilisation du chlore qui, ajoute-t-il, « pouvait être attribuée au régime syrien » : une formulation nuancée révélatrice du doute sur l’origine de l’attaque chimique.

Sur le plan stratégique, le président Macron justifie les frappes par un objectif : celui de réacquérir une certaine crédibilité vis-à-vis des Russes, afin de pouvoir renégocier le processus de paix en Syrie. La coalition occidentale entend ainsi montrer à Poutine qu’il ne sera plus le seul maître du jeu dans la crise syrienne. Ainsi, au moment où l’armée du régime syrien est en train de gagner du terrain, les frappes occidentales interviennent moins pour protéger les populations que pour empêcher une éventuelle solution de paix qui serait trop favorable à Bachar Al-Assad et à ses alliés russes et iraniens.

Pour la France, les conséquences risquent d’être diplomatiquement lourdes. D’abord, la décision prise par le président Macron de façon unilatérale a exacerbé les tensions non seulement au sein du Parlement français, qui n’a pas été consulté, mais surtout du Parlement européen, accentuant ainsi les divisions au détriment de la construction d’une politique étrangère commune de l’Union européenne. En endossant la politique américaine, Paris risque de perdre en plus sa crédibilité de médiateur au Moyen-Orient, notamment vis-à-vis de l’Iran et de certains pays arabes en désaccord avec la politique saoudienne.

Il importe de rappeler la fureur qu’avait suscitée l’intervention occidentale – France, Royaume-Uni, États-Unis – en Libye en 2011 contre le régime de Kadhafi, considérée comme une trahison par la communauté internationale, qui avait initialement donné mandat pour une intervention limitée dans le seul but de protéger les civils (en accord avec la résolution 1973). La difficulté d’obtenir un consensus à l’ONU pour une intervention destinée à la protection des civils en Syrie est en partie liée à l’erreur commise dans la gestion de la crise libyenne.

L’intervention militaire, visant à pousser Poutine à infléchir sa position sur le dossier syrien, risque d’encourager d’autres actions militaires conduites par d’autres pays de la région, comme l’Arabie Saoudite ou Israël, contre le Hezbollah au Liban ou contre le régime de B. Al-Assad en Syrie, induisant ainsi une escalade de la violence dans la région. De plus, le choix de Paris de rallier la politique de Washington pourrait renforcer la détermination de Trump de sortir de l’accord sur le nucléaire iranien. Rappelons que la sortie de Washington aura un impact considérable sur les entreprises françaises et européennes en raison de l’extraterritorialité des sanctions américaines.

D’ailleurs, l’intransigeance du président américain s’est confirmée lors de la visite officielle d’Emmanuel Macron à Washington. Le président français a non seulement échoué à convaincre son homologue américain de rester dans l’accord, mais il a défendu lui-même, lors de la conférence de presse, la nécessité d’un nouvel accord sur le nucléaire iranien. Ce nouvel accord inclurait l’arrêt des activités balistiques et l’endiguement de l’influence iranienne dans la région, en plus du renforcement du contrôle sur le programme nucléaire ; autrement dit, l’annulation de l’actuel traité.

C’est la conséquence que redoute l’ambassadeur d’Iran à Paris, Delfi Abolghassem, qui a rappelé lors d’un entretien le 6 avril, que les relations diplomatiques et économiques entre Téhéran et l’Union européenne étaient bonnes et en nette évolution, dans la lignée du processus déterminé par l’accord. L’ambassadeur a néanmoins regretté les pressions américaines qui poussent l’UE à l’hésitation. L’UE, ajoute-t-il, doit rester ferme vis-à-vis de ses engagements envers l’Iran et « les entreprises européennes ont besoin d’être protégées par les gouvernements européens contre les sanctions américaines »[2]

Concernant les missiles balistiques, l’ambassadeur iranien a répondu que le système s’inscrivait dans une logique purement défensive en rappelant le droit de l’Iran à renforcer sa défense, d’autant que des pays rivaux de la région continuent à s’armer. L’Iran, dit-il, est prêt à dialoguer avec l’Arabie Saoudite pour construire la paix dans la région, mais il ne renoncera pas à son projet balistique pour se défendre en cas d’agression, rappelant l’expérience de la guerre Iran-Irak au cours de laquelle les Occidentaux avaient été jusqu’à soutenir Saddam.[3]

En somme, le président Macron s’engage sur un autre défi, celui de convaincre l’UE et les autres pays signataires de l’accord, principalement la Russie et la Chine, d’adhérer à sa proposition d’un nouveau traité.

 

 

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[1] Conseil de sécurité, « Le Conseil de sécurité condamne l’emploi d’armes chimiques en Syrie, qu’il qualifie de « menace contre la paix et la sécurité internationales » https://www.un.org/press/fr/2013/CS11135.doc.htm. [consulté le 17 avril 2018]

[2] Abolghassem DELFI. Entretien, (26 avril 2018).

[3] Ibid.

 
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