Analyses / Moyen-Orient / Afrique du Nord
20 mars 2025
Une diplomatie arabe à l’épreuve : réponse stratégique ou aveu de faiblesse ?

La présentation du « plan Trump » le 5 février 2025, consistant à déplacer la population de la bande de Gaza afin d’en prendre le contrôle et la transformer en station balnéaire, a rapidement suscité de vives réactions à l’international. Face aux nombreux rejets des pays arabes, le président états-unien a rétropédalé, bien qu’il ait tout de même considéré son plan comme « la voie à prendre ».
Cependant, la valeur-choc de ces déclarations a néanmoins eu un avantage pour Donald Trump, en incitant les pays arabes à établir une contre-proposition. Ces derniers ont alors témoigné de leur activisme quant au sort des Palestiniens à travers trois réunions consécutives.
Dans quelle mesure la contre-proposition arabe au « plan Trump » traduit-elle une volonté d’affirmation des États arabes, tout en révélant leurs limites ?
Les pays arabes face au sort des Gazaouis
L’Arabie saoudite a décidé de s’emparer de cette question en organisant une première réunion à Riyad le 21 février 2025. Rassemblant le Qatar, les Émirats arabes unis, l’Égypte, la Jordanie, le Koweït et Bahreïn, cette dernière a servi de prémisse au sommet de la Ligue des États arabes, annoncé dans les jours suivants.
Après de multiples reports, ce sommet s’est finalement tenu le 4 mars 2025, lors duquel l’Égypte a pu proposer son plan et recevoir l’approbation des membres de la Ligue. Le Caire n’a eu d’autre choix que de s’impliquer, son territoire étant désigné comme terre d’accueil dans le « plan Trump », aux côtés de la Jordanie.
Après avoir fermement rejeté l’idée de déplacer les gazaouis, ce « plan arabe » distingue deux phases menant à la solution à deux États. La première se concentre sur les urgences, avec un budget de 5 milliards de dollars, et la seconde s’attèle à une reconstruction massive s’étalant jusqu’à 2030 avec un budget de 48 milliards de dollars.
Enfin, une session exceptionnelle de l’Organisation de la coopération islamique (OCI) a eu lieu le 7 mars 2025 à Djeddah pour que ce plan « devienne à la fois un plan arabe et un plan islamique », selon le ministre égyptien des Affaires étrangères.
Bien que cette initiative soit portée par l’ensemble des pays en question, elle reste tout de même fragile par les divergences qui y persistent.
Des divergences dans un Moyen-Orient différemment marqué par les confrontations avec Israël
Illustrées par l’absence des officiels saoudiens et émiratis au sommet de la Ligue arabe, elles sont particulièrement prégnantes au sujet du rôle du Hamas. À ce titre, le communiqué de la Ligue des États arabes demeure flou en affirmant que l’organisation « ne devrait plus diriger Gaza ni constituer une menace pour Israël ». Cette déclaration sous-entend un effacement de son statut militaire, mais ne pose pas clairement les conditions de son futur politique. À ce titre, le Hamas a d’ailleurs consenti à s’abstenir de participer à la commission administrative chargée de superviser l’enclave.
Le Qatar, en raison de ses liens avec l’organisation, et l’Arabie saoudite, au nom d’un certain pragmatisme, refusent d’exclure le Hamas de tout processus politique et appellent plutôt à une mise en retrait. Cette position se justifie par le fait que l’organisation garde une certaine emprise sur Gaza et pourrait faire échouer le plan s’il était trop à son désavantage. De leur côté, les Émirats arabes unis maintiennent leur opposition aux mouvements proches des Frères musulmans, dont le Hamas fait partie, et privilégient une gouvernance assurée par l’Autorité palestinienne, malgré une incrédibilité persistante auprès des Palestiniens.
Au-delà de ces divergences stratégiques, il convient de distinguer les États directement confrontés à Israël et ceux qui ne l’ont pas été. Pour les premiers, ils tendent à privilégier la gestion de leurs enjeux internes et sont amenés à limiter leur engagement pour éviter toute déstabilisation politique.
La Syrie, confrontée aux défis d’une transition politique inclusive, doit également faire face aux tentatives de déstabilisation de l’État hébreu, notamment par l’instrumentalisation de sa minorité druze. Tout en cherchant à ménager Israël, le président intérimaire, Ahmed al-Charaa, se concentre principalement sur l’exigence du retrait des troupes israéliennes de son territoire.
Également, le Liban reste figé dans un cessez-le-feu fragile avec Israël, où l’armée israélienne poursuit des opérations quotidiennes. Sa marge de manœuvre reste ainsi restreinte, alors qu’il est engagé dans une négociation sur le tracé de la frontière avec son voisin au sud.
Indéniablement, les positions des pays du Golfe sont ainsi plus confortables, en étant même courtisées par la diplomatie états-unienne.
En ce sens, bien que Donald Trump ait voulu relancer le projet de normalisation israélo-saoudienne, l’Arabie saoudite a assumé un certain leadership autour de Gaza. L’ambassadeur d’Israël aux États-Unis avait déclaré que ce projet était « plus proche que jamais » le 29 janvier 2025. Or, le 7 octobre 2023 a contraint la diplomatie saoudienne à durcir sa position en se positionnant en faveur d’un État palestinien sous les frontières pré-1967 avec Jérusalem-Est comme capitale. Riyad apparaît alors comme un verrou à la normalisation à l’échelle régionale : si elle venait à s’y résoudre, cela ouvrirait la voie aux autres pays arabes.
Tenants d’une ligne plus modérée, les Émirats arabes unis n’ont pas fermement condamné le « plan Trump », contrairement à Riyad.
Au-delà d’un front aux contours incertains, la deuxième limite fondamentale du « plan arabe » tient dans l’absence de soutiens extérieurs.
Une initiative arabe limitée ?
Le plan élaboré repose en effet sur l’appui de fonds étrangers, dont l’Union européenne et la Banque mondiale à hauteur de 15 milliards de dollars, aux côtés de l’Arabie saoudite, les Émirats arabes unis et le Qatar. D’ailleurs, à la suite de la réunion de l’OCI, son conseil a exhorté la communauté internationale et les institutions financières internationales et régionales à apporter rapidement le soutien nécessaire au plan.
Bien qu’Antonio Costa, président du Conseil européen, était présent au sommet de la Ligue arabe, l’initiative n’a pas reçu de soutien officiel de la part de la Commission européenne. Cette retenue s’explique par la volonté d’éviter l’ouverture d’un nouveau front avec le président américain, à l’heure où l’Europe tente de se mobiliser autour de la défense de l’Ukraine. En dépit de cette prudence, la France s’est timidement associée à la démarche arabe et présidera aux Nations unies, conjointement à l’Arabie saoudite, une conférence sur la solution à deux États en juin 2025.
La politique étrangère déclarative et transactionnelle du président Donald Trump fige la question palestinienne en refusant de laisser émerger une contre-proposition. Son plan est d’ailleurs plutôt à considérer comme une suggestion, qui ne prend pas en compte deux réalités fondamentales : les gazaouis ne souhaitent pas quitter l’enclave et les pays arabes refusent de les accueillir.
Malgré un rejet du « plan arabe », l’administration états-unienne maintient une position ambivalente. Le 13 mars 2025, Donald Trump a affirmé qu’il n’y aura pas d’expulsion des Palestiniens, sans pour autant renoncer à leur départ, au moins temporairement. De son côté, Steve Witkoff, l’envoyé spécial des États-Unis au Moyen-Orient, a qualifié ce plan de « premier pas de bonne foi » et contenant des « caractéristiques convaincantes ». De plus, l’émissaire entretient une négociation indirecte avec le Hamas pour parvenir à la libération des otages états-uniens.
Cependant, le « plan arabe » est voué à être rejeté par Tel-Aviv, qui ne montre aucun intérêt pour la reconstruction de Gaza et privilégie le transfert de ses habitants. Les déclarations de Donald Trump quant à ces derniers ont été reçues comme un feu vert aux propositions les plus radicales. Elles se matérialisent par le plan du ministre des Finances d’extrême droite Bezalel Smotrich qui souhaiterait expulser 5 000 personnes par jour pendant une année entière pour parvenir au transfert de l’ensemble des gazaouis.
À cela s’ajoutent les bombardements israéliens du 18 mars, qui marquent une rupture avec un cessez-le-feu déjà fragile, alors que sa deuxième phase peinait à se dessiner. Israël semble désormais déterminer à accentuer la pression appliquée sur la population palestinienne. Ceci afin de légitimer l’argument de Trump selon lequel le déplacement des Palestiniens est primordial, l’enclave étant inhabitable. Cette stratégie permet également de maintenir une pression accrue sur la frontière égyptienne via le Sinaï, alors que l’Égypte tente d’obtenir des soutiens internationaux pour le « plan arabe ».
Parallèlement, ces attaques répondent à des considérations politiques internes : la menace d’un Parlement dissous si le budget de l’État n’est pas voté avant la fin du mois de mars. Ainsi, le Premier ministre Netanyahou assure sa survie politique en obtenant le retour du parti Otzma Yehudit, et son leader Itamar Ben Gvir, au sein de la coalition gouvernementale. Ce dernier avait quitté le gouvernement en janvier afin de dénoncer le cessez-le-feu conclu avec le Hamas.
Les accords d’Abraham, signés sous le premier mandat de Donald Trump, n’ont finalement pas amené la paix au Moyen-Orient et la question palestinienne est plus centrale qu’elle ne l’a été depuis de nombreuses années. Les soutiens des administrations Biden et Trump à la politique israélienne contraire au droit international n’ont fait qu’exacerber les volontés les plus extrêmes. Ce constat s’élargit également à la Cisjordanie, où Donald Trump a levé des sanctions à l’égard de colons israéliens. Cet appui au but de guerre illusoire d’éradiquer le Hamas empêtre le conflit dans lequel les extrémismes palestiniens et israéliens se répondent.
Dans ce contexte, les pays arabes, qui défendent par période les droits des Palestiniens, se retrouvent dans un dialogue de sourds avec le président Trump, incapables de faire avancer toute option viable.