Le monde devrait consommer 105,2 millions de barils par jour (mb/j) en 2025, a indiqué l’Opep dans son nouveau rapport. Ce niveau de consommation ne risque-t- il pas de mettre, à terme, à rude épreuve l’offre ?
La demande pétrolière mondiale, qui avait atteint un niveau record en 2024, continue à croître.
L’année 2025 marquera donc un nouveau record, c’est une certitude (hors nouvelle pandémie, bien sûr). Mais, pour l’instant, l’offre suit la demande. Il n’y a pas de raison de redouter une pénurie de pétrole cette année. On pense plutôt qu’il y aura un excédent de l’offre en 2025, d’où les pressions baissières sur les prix du brut. En début de matinée, le 14 mars à Londres, le prix du pétrole Brent pour le mois de mai était d’environ $70,5 par baril seulement. Et, à New York, le prix du West Texas Intermediate (WTI) était un peu supérieur à $67 par baril au même moment.
Si les tensions commerciales provoquées par l’Administration Trump et les représailles annoncées par les pays ou blocs (Union européenne) ciblés par Donald Trump continuent, il y aura au minimum un ralentissement économique mondial qui pèsera sur la demande alors que l’offre continue à augmenter, notamment sur le continent américain (Etats-Unis, Canada, Brésil, Guyana et Argentine). Et, comme nous l’avons évoqué récemment, huit pays de l’OPEP+ ont confirmé qu’ils commenceraient à augmenter leur production pétrolière à compter d’avril 2025 et, ce, pendant 18 mois.
Les consommateurs n’ont donc pas de raison de s’inquiéter à court terme, mais il faut aussi suivre de près ce qui se passera autour de la guerre en Ukraine et des conflits au Moyen-Orient. Si les tensions géopolitiques s’apaisent, cela permettra d’augmenter l’offre. Si, au contraire, les choses se dégradent, l’offre pétrolière pourrait être affectée négativement. Le principal risque en la matière est un affrontement militaire Iran/Israël ou Iran/Etats-Unis. Sans aller jusque-là, même si c’est un scénario possible, il faut aussi regarder attentivement le durcissement des sanctions américaines contre l’Iran qui visent essentiellement le pétrole. C’est un facteur qui est susceptible de réduire l’offre. Il y a donc de grandes incertitudes géopolitiques mais, dans l’ensemble, le sentiment est plutôt baissier en termes de prix.
L’Opep+, quant à elle, a récemment confirmé son calendrier d’augmentation progressive de sa production de brut. Quelles sont les autres mesures que le cartel élargi devra envisager pour, d’une part, la stabilité du marché ; et de l’autre, faire face à l’émergence de nouveaux acteurs non OPEP comme la Guyane ?
Pour l’instant, ce sont huit pays de l’OPEP+ (sur un total de 22) qui ont confirmé une hausse de leur production à partir du mois prochain. Pourquoi huit et pas l’OPEP+ dans son ensemble ? Parce que ces huit pays (Russie, Arabie Saoudite, Irak, Emirats arabes unis, Koweit, Kazakhstan, Algérie et Oman) avaient réduit leur production de façon volontaire en plus des réductions de production décidées collectivement au sein de l’OPEP+. Ils veulent maintenant reprendre un peu de leurs parts de marché antérieures.
Pour l’OPEP+, la décision est de produire 39,725 millions de barils par jour (Mb/j) en 2025 et en 2026, dont 24,135 Mb/j pour l’OPEP et 15,59 Mb/j pour les dix pays non-OPEP de l’OPEP+.
Rappelons que, pour l’OPEP, ce chiffre ne concerne que neuf pays sur 12 car l’Iran, la Libye et le Venezuela n’ont pas d’allocations de production, ce qui signifie qu’ils peuvent produire ce qu’ils veulent ou, plutôt, ce qu’ils peuvent. Pour ajouter à cette complexité, les huit pays cités ci-dessus ont prolongé d’autres réductions volontaires de production jusqu’à la fin 2026. Enfin, les Emirats arabes unis ont une autorisation spéciale pour augmenter un peu plus leur production à compter du mois prochain également.
C’est une architecture qui n’est donc pas vraiment simple et qui peut être remise en cause en fonction des évolutions du marché pétrolier mondial et des prix du pétrole. Mais il faudra tenir compte de l’effet Donald Trump, qui tient à ce que les prix du brut soient plutôt bas (mais pas trop non plus…). Washington surveillera donc de près le comportement de l’OPEP+ en 2025. Cette coalition de pays exportateurs de pétrole fait face à certains défis, dont l’un est la poursuite de la progression de la production de plusieurs pays sur le continent américain (cinq, dont le Guyana au nord de l’Amérique du Sud).
Cette hausse ne sera pas éternelle évidemment mais, dans le court terme, elle exerce des pressions baissières sur les prix en plus de la situation économique mondiale et des Etats-Unis. Pour le Guyana, sa production devrait doubler d’ici à la fin 2027 pour atteindre 1,3 Mb/j. Pour toutes ces raisons, les prix actuels du brut sont en dessous du niveau jugé optimal par l’OPEP+ même si la situation n’est pas catastrophique. Mais l’OPEP+ ne tient certainement pas à ce que le Brent tombe en dessous de $70/b. Certaines sources ont évoqué des discussions entre l’OPEP+ et le Guyana mais rien n’est confirmé à ce sujet.
La gestion stratégique des stocks de pétrole constitue un levier essentiel pour amortir les chocs d’approvisionnement. Comment l’Opep+ devrait-elle s’y organiser pour réussir ce défi ?
Les stocks pétroliers stratégiques (brut et produits raffinés) sont effectivement un moyen important dont disposent les pays importateurs, en tout cas ceux qui ont les moyens de constituer de tels stocks, et les Etats-Unis, qui demeurent un pays importateur net de brut mais qui sont en même temps le premier producteur de pétrole dans le monde.
Ces stocks sont normalement utilisés très rarement dans le cadre de l’Agence Internationale de l’Energie (AIE, Paris) : trois fois seulement entre 1974 et l’été 2021. Par contre, les choses ont beaucoup changé à l’approche de la guerre en Ukraine et pendant celle-ci, puisque les pays occidentaux ont eu recours trois fois à ces stocks entre l’automne 2021 et 2022. Ce sont des décisions des pays membres de l’AIE sur lesquelles l’OPEP et l’OPEP+ n’ont pas de prise. Sauf à réduire beaucoup la production pour rendre plus difficile la reconstitution des stocks.
Mais les pays OPEP+ ont réduit plusieurs fois leur production pétrolière depuis octobre 2022 et ils ne sont pas vraiment désireux de continuer sur cette voie, comme nous l’avons expliqué ci-dessus. Donald Trump a ordonné à son département de l’Energie (U.S. DOE) de reconstituer les stocks stratégiques nationaux qui ont diminué nettement sous l’Administration Biden en raison de la guerre en Ukraine.
Cela pourrait contribuer à soutenir les prix du brut qui sont plutôt orientés à la baisse en ce moment. Mais ce ne sera pas suffisant pour compenser les facteurs baissiers évoqués ci-dessus, au premier chef les inquiétudes des marchés pétroliers sur les conséquences d’une guerre commerciale sur l’économie mondiale.
Propos recueullis par Fouad Irnatene pour El Moudjahid.