• Jean de Gliniasty

    Directeur de recherche à l’IRIS, ancien ambassadeur de France en Russie (2009-2013)

Vladimir Poutine semble souffler le chaud et le froid : il parle de paix mais intensifie les frappes. Quel est le message ?

C’est difficile à dire, parce qu’on est dans une situation très confuse. Les bombardements massifs sur Kiev, eux, s’inscrivent probablement dans une logique de pression maximale. Il semble que la Russie aurait accepté les propositions de Trump pour un arrêt des combats, mais que l’Ukraine aurait refusé, notamment sur la question de l’occupation de la Crimée. Donc, Moscou intensifie les frappes pour contraindre Kiev à accepter. Cela dit, il est aussi possible que ce soit le « parti de la guerre » russe qui pousse à continuer l’offensive, convaincu que les Russes peuvent aller jusqu’au bout. Les deux scénarios tiennent la route.

Ces bombardements peuvent-ils accélérer une sortie de crise en forçant la main à l’Ukraine ?

Non, je ne crois pas du tout. L’histoire montre que bombarder les populations civiles renforce généralement leur détermination. C’est ce qu’on a vu pendant la Seconde Guerre mondiale, ou pendant la guerre du Vietnam… Ici, ça soude les Ukrainiens autour de Zelensky. Donc ce n’est pas Moscou qui fait avancer la paix, c’est plutôt le retrait progressif du soutien américain qui risque de pousser Kiev à revoir sa position.

Justement, quel rôle jouent les États-Unis dans cette équation ?

Trump a fait une offre, il dit maintenant : « Les Russes veulent la paix, les Ukrainiens refusent ». Si l’Amérique s’en lave les mains, cela place l’Ukraine dans une situation très difficile. Mais cela pourrait aussi renforcer la cohésion interne ukrainienne. La vraie question, c’est : l’Europe est-elle prête à prendre le relais ? Si elle ne le fait pas, alors oui, la pression sur l’Ukraine montera. Mais pour l’instant, les Ukrainiens restent très unis.

Le plan de paix évoqué ces jours-ci a-t-il une chance d’aboutir ?

Honnêtement, on ne sait pas. On entre dans une phase où chacun va devoir abattre ses cartes. Zelensky a déjà dit que tout accord devrait passer par un référendum. Ce serait une manière de dire à son peuple : « On a résisté autant qu’on a pu, maintenant à vous de choisir ». Côté russe, il y a aussi débat : certains veulent profiter de l’ouverture américaine pour normaliser, d’autres pensent qu’il faut continuer, qu’ils finiront par gagner militairement. Et je ne suis pas sûr que Poutine ait tranché. Il donne l’impression d’avancer, mais il peut aussi vouloir gratter encore des avantages.

Donc pas de paix immédiate en vue ?

Non, on est dans une phase d’accélération, mais pas de conclusion. Les deux camps sont à un tournant, chacun face à de très lourdes responsabilités politiques. Le Kremlin fait croire qu’il est prêt à la paix, mais ce n’est pas certain. Et les Ukrainiens, eux, ne veulent pas céder sans garanties. Rien n’est joué.