Mozambique : entre richesses et vulnérabilités, analyse des tensions

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  • Martin Collet

    Martin Collet

    Assistant de recherche, IRIS

Le mois d’octobre 2024 devait désigner le successeur de Filipe Nyusi, dont les deux mandats ont été entachés de multiples scandales de corruption. Pour succéder au président en poste, le Frente de Libertação de Moçambique (FRELIMO), parti de libération au pouvoir depuis 1975, date de l’indépendance, portait aux nues Daniel Chapo. Ancien administrateur du district de Palma, sa subordination aux leaders du parti semble avoir été la qualité principale pour devenir candidat. Face à lui, le principal candidat d’opposition fut incarné par Venancio Mondlane. Après avoir quitté les rangs de la Resistência Nacional Moçambicana (Renamo) dont il dénonçait le manque de soutien lors des élections municipales pour la capitale Maputo en 2023[1], cet orateur talentueux a su insuffler l’espoir de changements structurels auprès d’une jeunesse qui ne se reconnaît plus dans ses dirigeants.

L’annonce de la victoire de Daniel Chapo obtenant près de 71 % des voix le 9 octobre a provoqué l’ire de la population, à Maputo d’abord, à la suite des nombreuses accusations de fraudes. Venancio Mondlane, accrédité de 20 % des voix, appelait les citoyens à manifester, dans un contexte de tensions déjà vives à la capitale. Le 19 octobre, Elvino Dias, avocat de ce dernier, ainsi qu’un responsable du parti Podemos, furent abattus lors d’une embuscade, alors qu’un recours devait être déposé devant la Cour constitutionnelle pour contester la validité des élections.

La répression policière face à l’expansion des contestations dans l’ensemble du pays expose la réalité d’un parti État qui s’emploie à garder la main sur le pouvoir. En prévention des tensions, le gouvernement avait, en amont des élections, sollicité l’armée pour sécuriser la capitale. Une requête à laquelle l’armée a refusé de se soumettre, précisant que son rôle se situait dans la défense des intérêts de la nation, et non de partis politiques. En date du 15 janvier, jour de l’investiture du nouveau président Chapo, la réponse des forces de police avait déjà causé la mort de plus de 300 civils, des témoignages attestant de tirs à balles réelles et de charges de véhicules sur les manifestants. De retour au Mozambique après plusieurs semaines d’exil, le leader de l’opposition continue d’appeler la population à la grève générale. La persistance des contestations autant que la paralysie économique dans laquelle se trouve le pays met en exergue une révolte qui dépasse le cadre des seules élections. L’opposition s’étend à une remise en cause d’un parti État qui s’est entaché de multiples scandales de corruptions ces dernières années, et dont les promesses de développement ont laissé de côté une population particulièrement vulnérable.

Après avoir dévasté Mayotte quelques heures auparavant, le cyclone Chido a frappé les côtes nord du Mozambique, dans les régions de Nampula et du Cabo Delgado. Située à près de 2 500 km de la capitale, cette région particulièrement exposée aux changements climatiques a subi des dégâts similaires aux dégâts qu’a connu le département français. Près de 500 000 personnes ont été touchées par la catastrophe, et plus de 100 000 habitations détruites. Le bilan humain provisoire estime à environ 120 décès et 868 blessés graves. Mais il convient de prendre ses estimations avec mesure, compte tenu des difficultés de l’État mozambicain à exercer un contrôle effectif dans cette région, autant qu’à assurer les services essentiels. Lors d’une visite dans la région affectée, le nouveau président Daniel Chapo appelait la population aux dons de nourriture et de vêtements. Une déclaration pour le moins polémique compte tenu du niveau de pauvreté dans lequel les populations de ces régions sont plongées. Une vulnérabilité d’autant plus importante que le nombre de déplacés internes dans ces régions depuis 2017 avoisine les 700 000 personnes, dont une large proportion de femmes et d’enfants. S’ajoutent aux destructions et autres dommages causés par le cyclone (destruction des cultures, centres de santé, réseaux de communications…), les effets en cascade, sanitaires notamment, avec de nombreux cas de choléra déjà signalés, mais également une multiplication des pillages et violences. La criticité de la situation humanitaire semble largement dépasser les capacités du gouvernement, mais également celles des acteurs humanitaires ; de nombreuses organisations ont appelé au financement et à l’acheminement de matériel d’assistance aux populations dans une région qui concentre paradoxalement extrême pauvreté et richesses minérales.

Si les géants énergétiques africains tels que la République démocratique du Congo ou le Nigéria focalisent l’attention de la scène internationale, le Mozambique, longtemps ignoré, détient des richesses qui l’ont récemment projeté au cœur des intérêts internationaux, et nombreux sont les acteurs qui cherchent à s’y positionner. Le secteur minier constitue une des principales sources d’exportations, atteignant près de 6,7 milliards de dollars. La mine de charbon de Moatize, exploité par le groupe indien Jindal, constitue un des principaux sites du pays. La compagnie s’est trouvée au cœur de dénonciations de violation des droits humains, des accusations déjà portées au précédent exploitant brésilien Vale. Si d’autres acteurs internationaux sont également actifs dans l’exploitation de ressources minières telles que le graphite ou le titane, le principal site cristallisant les tensions est la mine de rubis de Montepuez (Cabo Delgado). Opérée par une joint-venture britannico-mozambicaine, le site a d’emblée été l’objet d’accusation de collusion d’intérêts et de corruption, le groupe mozambicain Mwriti ayant été créé à la suite de la découverte de gisements par un des dirigeants du FRELIMO. Depuis, les scandales de violences envers les populations, de même que le recours à des gangs pour sécuriser le site, n’ont fait qu’accentuer les tensions régionales auxquelles Maputo ne parvenait pas à apporter de solution convaincante.

Enfin, la découverte en 2010 d’importants gisements gaziers au large du Mozambique, près des côtes du Cabo Delgado, pourrait faire du pays le premier producteur d’Afrique subsaharienne. Si le projet offshore d’extraction et liquéfaction opéré par ENI a permis les premières exportations maritimes depuis 2017, la dégradation du contexte sécuritaire a contraint Total et Exxon Mobil à suspendre leurs projets de terminaux onshore basés à Pemba en 2021.

La découverte de gisements gaziers a été largement présentée comme le facteur déclencheur principal de l’insurrection conduite par le mouvement Al-Shabab dans le Cabo Delgado depuis 2017. Si le prisme de la malédiction des ressources permet de rendre compte de la multiplication des scandales de corruption et d’un affaiblissement démocratique, d’autres facteurs doivent être intégrés pour comprendre les origines du mouvement islamiste. L’instrumentalisation de la diversité ethnique dès la période coloniale, puis la marginalisation de certains groupes pourtant majoritaires (Makuas et Mwanis, essentiellement musulmans) ont constitué une source de ressentiment à l’égard des Makondés, surreprésentés dans des différentes structures de pouvoir économique et politique, le FRELIMO ne faisant pas exception à la règle. Par ailleurs, si l’intégration du groupe Al-Shabab aux réseaux islamistes transnationaux est largement documentée, la présence de sectes islamistes sécessionnistes dès 2007 semble à la fois écarter l’hypothèse d’une importation transnationale du conflit autant qu’elle tempère le rôle de la découverte des gisements gaziers. L’opposition au gouvernement revendiquée par les rebelles islamistes précède donc largement les perspectives économiques des hydrocarbures, qui ne sont par ailleurs pas les seules sources de tensions économiques de la région (cf supra).

L’incapacité du gouvernement à endiguer le mouvement insurrectionnel a par ailleurs conduit à une multiplication des acteurs sécuritaires présents sur le terrain. Des groupes privés, tels que Wagner ou la compagnie sud-africaine Dyck Advisory Group, ont ainsi soutenu les forces mozambicaines, mais les résultats obtenus furent plus que limités. Le Rwanda, dont la position en République démocratique du Congo n’a pas manqué de faire réagir à Bruxelles lors de la validation des aides aux forces militaires rwandaise, s’impose comme le partenaire privilégié du gouvernement mozambicain. Le déploiement de la force de la Communauté de développement d’Afrique australe (SAMIM) entre 2021 et juillet 2024 n’a pas connu la même réactivité de la part de Maputo, et a souffert de délais d’accords importants, en dépit de son efficacité sur le terrain. La Tanzanie s’est quant à elle limitée à la sécurisation de sa frontière avec le Cabo Delgado, en obtenant malgré tout des résultats probants lors d’opérations conjointes avec la SAMIM. La présence rwandaise a par ailleurs suscité une vive préoccupation pour le gouvernement tanzanien, qui cherche à rétablir des liens historiques avec Maputo autant qu’à concurrencer l’influence de Kigali. Enfin, l’Union européenne, la Chine et les États-Unis participent à l’entrainement des forces armées mozambicaines, mais il est difficile d’évaluer l’efficacité et la conditionnalité de ce soutien, au regard notamment du manque de transparence de certains acteurs. Compte tenu de la dégradation du contexte politique et humanitaire, les capacités de Maputo à rétablir son contrôle sur la situation semblent pour le moins compromises. Le risque de recrudescence des attaques du groupe Al-Shabab, déjà intensifié suite au départ de la SAMIM en juillet 2024, pourrait croître suite à l’évasion de près de 1 500 prisonniers, nombreux étant ceux affiliés aux réseaux islamistes. La persistance d’une situation économique dégradée à la suite du scandale des dettes cachées, ainsi que le retard pris dans l’exploitation des ressources gazières limitent encore les marges de manœuvre du gouvernement. L’entreprise française Total, en plus des accusations d’exactions commises sur son site d’exploitation par des soldats mozambicains, a dû retarder la reprise de ses activités au Cabo Delgado.  

Entre sécurisation de routes maritimes clés, luttes d’influence régionales et positionnement des puissances internationales pour l’accès à des marchés énergétiques d’importance, le Mozambique se trouve au cœur d’intérêts concurrents, et ses institutions politiques apparaissent bien mal armées pour que des perspectives d’amélioration de fond puissent être envisagées. Le leader de l’opposition, Venancio Mondlane, a récemment exclu toute éventualité de participation au gouvernement, auquel il dit laisser un mois pour enclencher les réformes nécessaires à l’assainissement de la vie publique. Dans un contexte de réorganisation de l’État islamique (EI) sur le continent africain, il est difficile de prédire quelles seront les conséquences pour l’insurrection au Cabo Delgado qui, bien que relativement indépendante, jouit d’un support transnational via les positions de l’EI en Somalie notamment. Reste à savoir si les récents bombardements américains conduiront à des effets tangibles sur le groupe Al-Shabab.


[1] Ces dernières avaient fait l’objet de multiples critiques de fraudes électorales, par ailleurs confirmées par les observateurs internationaux.