Missiles Tomahawk pour l’Ukraine : du bruit médiatico-politique à la réalité des arsenaux

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Le Tomahawk (BGM/UGM-109) est un missile naval antisurface, entré en service en 1983, utilisé lors de la première guerre contre l’Irak (1991) puis en Afghanistan, Irak (2003), Yémen (2024) entre autres guerres au cours desquelles 2 400 missiles ont été tirés par la Marines des États-Unis (US Navy).

Missile subsonique, d’un poids total en charge de 1 200 kg, pouvant emporter soit une charge d’explosif de 200 kg, soit des bombes à fragmentation, soit des bombes au graphite pour neutraliser les réseaux électriques, il a une portée de 1 600 km ; soit deux fois la distance Kiev-Moscou. La version nucléaire, d’une portée de 2 500 km, n’est plus en service depuis 2013.

Ce missile a par ailleurs une capacité de pénétration renforcée par son profil de vol erratique et en basse altitude avec une navigation très précise alimentée tout le long du vol par des informations sur les défenses ennemies et sur la localisation des cibles. Ses modes de navigation incluent le GPS, un système de navigation inertielle et de corrélation de contour de terrain (TERCOM) et sur certaines variantes un corrélateur de zone de correspondance de scène numérique (DSMAC ) qui compare une image stockée de la cible à la scène réelle de la cible pour le guidage terminal, augmentant encore la précision, et contrant aussi le brouillage.

Le Tomahawk est ainsi une arme redoutable pour frapper dans la profondeur du territoire ennemi, sans engager la vie des pilotes d’avion. C’est l’arme majeure de la Navy, elle-même garante de la suprématie américaine avec cette capacité de frappe embarquée à bord de 140 navires et sous-marins répartis sur tout le globe.

À partir de 2021, et avec la sortie des États-Unis du traité sur les forces nucléaires de moyenne portée en 2019 (traité interdisant les missiles terrestres de portée entre 500 à 5500 km), l’Armée de terre américaine (Army) et le corps des Marines (US Marines Corps) ont aussi voulu renforcer leurs capacités de frappe dans la profondeur à longue distance face aux Russes et aux Chinois qui ont augmenté leurs propres capacités. L’Army développe le Mid-Range Capability System (MRC) composé d’un centre d’opération de batterie (COB) et de quatre véhicules lanceurs Typhoon pour tirer le missile Tomahawk depuis la terre. Un MRC System est prévu d’être incorporé dans chacune des cinq Multi-Domain Task Force (MDTF) : trois pour le Pacifique (dont un dès 2025, les autres en 2026 et 2027), un en Allemagne (en 2025), un en réserve aux États-Unis (en 2028).

En octobre 2025, l’Army possède donc seulement deux MRC-Systems, l’un opérationnel depuis 2024, déployé dans le Pacifique (Hawaï) et manœuvrant dans la région (Philippines, Australie, Japon), l’autre en Allemagne.

Et les Marines ? Ils ont choisi pour le Tomahawk un lanceur monté sur un véhicule télépiloté (drone), avec une seule rampe de lancement, le LRF. Les quatre premiers lanceurs sont mis en service en 2024, et devaient être suivis d’une commande de 56. Le projet a été annulé en 2025 et les quatre lanceurs transférés à la Marine (US Navy) et à l’Army. C’est une aubaine pour l’Army qui, tirant les leçons des déploiements dans le Pacifique en 2024 qui ont mobilisé de nombreux avions C17, envisage de compléter sa dotation en MRC/Typhoon avec des LRF beaucoup moins volumineux.

Pour en revenir à la promesse de fournir des Tomahawk à l’Ukraine, il faut bien comprendre qu’il s’agit de livrer la batterie de lancement (MRC-System) et les missiles. Les États-Unis ne vont pas vendre de navire de guerre, il ne peut donc s’agir que des batteries terrestres.

Au total donc, les États-Unis disposent de deux batteries, dont l’élément central indispensable est le COB de MRC/Typhoon et d’un COB pour les quatre lanceurs LRF, pour tirer le Tomahawk depuis la terre. Ces éléments sont déployés sur le théâtre majeur pour les États-Unis, le Pacifique et en réserve en Europe.  L’Army a en outre commandé 56 missiles sur le budget 2026, sachant que pour l’instant ces batteries tirent des missiles SM-6. Les essais du système ont été effectués en 2024/2025 avec des missiles SM-6 et un Tomahawk pendant l’exercice Talisman Sabre 2025 dans le Pacifique.

Quelles que soient les analyses et arguments stratégiques, politiques, voire moraux pour doter ou non l’Ukraine d’une capacité de frappe dans la profondeur, les systèmes d’armes Tomahawk ne seront pas donnés (ou vendus plus exactement) à l’Ukraine parce qu’ils ne sont pas encore opérationnels et disponibles au regard des intérêts majeurs des États-Unis. Ce que le président Trump a rappelé le 17 octobre.

À moins que les États-Unis ne donnent la priorité à l’Ukraine avec le peu existant au détriment du Pacifique et de la défense de l’Europe ? Il est peu probable que les États-Unis prennent le risque de dégarnir le Pacifique. Un recul qui serait en outre, vu comme une victoire par la Chine qui proteste depuis un an contre le déploiement des MRC/Typhoon. Non plus que de se priver d’une capacité en Europe qui contribue à la sécurité de celle-ci. Une affaire à revoir lorsque les États-Unis disposeront de leurs cinq batteries (2028), ou avant si les États-Unis décident de prendre le risque, très improbable, d’obérer leurs capacités de frappe ?

Reste cependant une inconnue : la disponibilité du parc des lanceurs du BGM-109G Gryphon Ground Launch Cruise Missile (GLCM-Tomahawk) équipant l’Army jusqu’au début des années 1990 et destinés à lancer le Tomahawk à tête nucléaire. Retirés du service vers 1990 après la « crise des euromissiles » et la signature du traité sur les forces nucléaires terrestres de moyenne portée, ils ont été ferraillés. Quelques-uns ont-ils survécu et pourraient-ils être remis en état pour la vente à l’Ukraine avec financement européen ? La réponse est certainement non.

Mais l’on se souviendra que les GLCM/Tomahawk et les Pershing ont été au cœur de la crise des euromissiles. Alors qu’en 1990, « les pacifistes étaient à l’ouest », aujourd’hui l’opinion publique occidentale parait favorable à la livraison d’armes à long rayon d’action à l’Ukraine.

Reste que les États-Unis ont deux priorités : être prêts à faire face au risque chinois sur Taïwan et renouer des liens avec la Russie. Et surtout ils manquent de lanceurs terrestres pour les missiles Tomahawk.