Lettre de Californie

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Pour ceux qui redoutent une dérive autoritaire sous Donald Trump, ceci est une bonne nouvelle. Les autres garde-fous de la démocratie américaine semblent s’émousser, du moins pour le moment. Avec une emprise quasi totale sur le gouvernement fédéral et des ministres entièrement loyaux, le président ne rencontre plus d’opposition interne comme ce fut le cas lors de son premier mandat. Même si la majorité républicaine au Congrès reste mince et que le parti demeure parfois divisé, les élus républicains sont aujourd’hui pleinement alignés sur Donald Trump. Les tribunaux lui ont bien infligé quelques revers depuis sa réélection, mais une décision de la Cour suprême rendue fin juin (Trump v. CASA Inc.) a considérablement limité la capacité des juridictions inférieures à bloquer ses politiques à l’échelle nationale. La société civile — en particulier les médias et les universités — a été contrainte de céder face aux attaques répétées de l’administration. Même Wall Street, loin d’être un bastion démocratique, mais un acteur central dans un pays profondément capitaliste, refuse aujourd’hui de sanctionner des politiques pourtant potentiellement néfastes pour le pays, misant plutôt sur l’idée que Trump serait incapable de les appliquer dans la durée.

La résistance se trouve donc dans la rue.

Cette levée de voix est essentielle si l’on veut freiner l’érosion des normes démocratiques. Les premiers mois de l’administration Trump ont été marqués par une relative absence d’opposition efficace de la part du Parti démocrate. C’était comme si la violence et l’intensité de l’action du nouveau gouvernement avaient laissé les démocrates abasourdis et à bout de souffle, ne sachant ni où ni comment réagir. Même la base a mis du temps à se mobiliser. En 2017, entre trois et cinq millions d’Américains ont manifesté lors de la « Women’s March », au lendemain de l’investiture de Donald Trump — sans doute la plus grande manifestation d’une seule journée dans l’histoire du pays. Huit ans plus tard, seuls quelque 50 000 militants se sont rassemblés pour le « People’s March », afin de protester contre son retour. Depuis quelques mois, la dynamique semble évoluer. Le mouvement « No Kings » pourrait bien avoir surpassé — et de loin — la marche de 2017. Les chiffres restent imprécis, mais les organisateurs estiment entre 5 et 11 millions de participants dans les 50 États. J’ai évoqué ailleurs le travail d’Erica Chenoweth, une sociologue spécialiste de la résistance démocratique face aux régimes autoritaires. Elle note que les mouvements pacifiques qui parviennent à mobiliser au moins 3,5 % de la population ont souvent la capacité de contrecarrer les desseins des autocrates et de rétablir les valeurs démocratiques. Le mouvement « No Kings » a peut-être atteint ce seuil critique.
Quelques observations tirées des deux manifestations auxquelles j’ai personnellement participé… Tout d’abord, elles se sont déroulées dans une atmosphère totalement non violente, même joyeuse — comme c’est d’ailleurs le cas de la grande majorité des rassemblements démocratiques ces derniers temps. Dans un contexte où Donald Trump tente de présenter son opposition comme extrémiste et radicale — allant jusqu’à déployer des Marines à Los Angeles pour réprimer des « troubles » causés par ceux qui s’opposent à sa politique migratoire — le caractère pacifique de ces manifestations constitue une réponse claire aux affabulations sur la nature du mouvement. Une pancarte brandie par une participante à la Pride résumait bien à quel point les manifestants étaient inoffensifs : « Vous savez que ça va mal quand autant d’introvertis descendent dans la rue. »

Les deux manifestations ont su maintenir une véritable cohérence politique — ce qui n’est pas toujours évident pour un mouvement qui est bien plus divers et hétérogène que le Parti républicain. Le mouvement « No Kings » était centré sur les atteintes portées par l’administration Trump au processus démocratique. La Pride, sans surprise, mettait l’accent sur les droits des personnes trans, à un moment où le président remet en cause de nombreuses avancées obtenues par cette communauté.

Les manifestants n’étaient, hélas, pas très jeunes. Je suis allé au rassemblement « No Kings » avec des amis de ma mère, tous septuagénaires, et bon nombre des participants appartenaient à la même tranche d’âge. L’âge médian des manifestants à travers les États-Unis pour « No Kings » était de 36 ans. Or, la jeunesse constitue une composante essentielle de l’électorat — et un groupe qui tend à voter démocrate — et il est crucial de réussir à la mobiliser.

Pour les opposants à Donald Trump, le combat retournera dans quelques mois sur le terrain électoral. Les élections de mi-mandat, prévues pour novembre 2026, pourraient profondément rebattre les cartes si les démocrates parvenaient à reprendre une ou deux chambres du Congrès. Les républicains débattent actuellement d’un projet de loi porté par le président, visant à réduire sensiblement les impôts des plus riches tout en supprimant certaines aides sociales destinées aux Américains les plus modestes. Une telle politique pourrait s’avérer impopulaire et, peut-être, donner un nouvel élan au Parti démocrate à l’approche du scrutin. En attendant, seule une mobilisation populaire peut rappeler aux électeurs l’importance de résister à Donald Trump.


Retrouvez régulièrement les éditos de Jeff Hawkins, ancien diplomate américain, chercheur associé à l’IRIS, pour ses Carnets d’un vétéran du State Department.