Le plan Trump à Gaza : quel rôle et positionnement des États arabes du Moyen-Orient ?

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Les États arabes du Moyen-Orient ont-ils contribué à la conception du plan Trump ?

Si les représentants de plusieurs États de la région ont été invités à une réunion à la Maison-Blanche, le 23 septembre dernier, rien n’indique qu’ils aient été véritablement associés à l’élaboration de ce plan. Présentée comme une réunion entre Trump et des représentants d’États à majorité musulmane, elle avait surtout vocation à légitimer la démarche du président américain. Quelques heures après la diffusion du plan, les ministres des Affaires étrangères de huit États (Égypte, Jordanie, Qatar, Arabie saoudite, Émirats arabes unis, Turquie, Indonésie et Pakistan) avaient publié un communiqué commun, qui réaffirmait notamment la nécessité de créer un État palestinien qui intègre la Cisjordanie et Gaza.

Outre, Steve Witkoff, les véritables acteurs ayant joué un rôle dans la conception de ce plan sont plus vraisemblablement Jared Kushner, Tony Blair et Ron Dermer (ministre israélien des Affaires stratégiques), qui ont participé à une réunion de travail avec Trump le 27 août dernier. Rappelons qu’en juillet dernier, le Financial Times relatait un plan de reconstruction de Gaza sur lequel travaillaient des employés du Tony Blair Institute for Global Change et du Boston Consulting Group, déjà épinglé pour ses activités en lien avec la Gaza Humanitarian Foundation.

Pour comprendre la réaction des États du Moyen-Orient au plan en 20 points, il faut revenir au « premier » plan Trump, annoncé fin janvier 2025, qui prévoyait de reconstruire une « Riviera » et de vider Gaza de ses habitants palestiniens. Ce projet avait sidéré l’Égypte et la Jordanie, en particulier, dans la mesure où il était exigé de ces deux États qu’ils accueillent les Palestiniens. Outre le risque de nettoyage ethnique, il était impensable pour la Jordanie, dont environ 70 % de la population est d’origine palestinienne, d’accepter ce plan, qui donnait corps à la thèse israélienne consistant à dire que le Royaume hachémite constitue l’État de facto des Palestiniens (thèse de la « patrie de remplacement », « al Watan al Badîl »). L’Égypte s’était, elle aussi, fermement opposée à ce plan, notamment pour des raisons sécuritaires (le Sinaï a été le centre d’une insurrection pendant près de dix ans) et économiques (selon les chiffres de la Banque Centrale d’Égypte, les ressources tirées du Canal de Suez ont diminué de 45,5 % cette année) ; en outre, le pays accueille, depuis avril 2023, entre 600 000 et 1,5 millions de réfugiés soudanais. Face aux résistances du Caire et d’Amman, Washington est allé jusqu’à les menacer de suspendre l’aide économique étatsunienne.

C’est dans ce contexte que la diplomatie égyptienne s’est activée pour proposer un plan alternatif, qui, bien qu’accepté par la Ligue arabe en mars 2025, et soutenu par la France, l’Allemagne, l’Italie et le Royaume-Uni, a été quasiment immédiatement rejeté par Washington et Tel-Aviv. Ce plan proposait une feuille de route détaillée pour la reconstruction de Gaza : un projet en trois phases, chiffré à 53 milliards de dollars, et étalé sur 5 ans. Pendant ce temps, l’ambassadeur émirati aux États-Unis, Yousef al-Otaiba, déclarait qu’il n’y avait pas d’alternative au (premier) plan Trump… Cela montre bien qu’il n’y a pas de position arabe commune.

Finalement le projet de Riviera a fonctionné comme une fenêtre d’Overton : il n’est donc pas surprenant qu’Amman et Le Caire aient si rapidement adhéré au plan en 20 points.

Pour autant, le cessez-le-feu reste fragile…

Il reste en effet très fragile, et bien que Trump ait annoncé en grande pompe la paix au Moyen-Orient, force est de constater que nous en sommes encore très loin. L’un des risques serait qu’une fois tous les corps des otages récupérés (ou, au contraire, s’ils ne le sont pas), le Premier ministre Benjamin Netanyahu, poussé par les courants les plus extrémistes de son gouvernement, décide de reprendre l’offensive. Dimanche 19 octobre, Israël a largué 153 tonnes de bombes sur Gaza, officiellement en réaction à des attaques du Hamas, que ce dernier a, depuis, fermement niées. On a alors frôlé la rupture d’un cessez-le-feu, qui datait pourtant de moins de dix jours.

On a aussi assisté à une reprise en main de la sécurité par le Hamas, qui a réinvesti l’espace public, faisant ainsi la démonstration que ses forces n’étaient pas amoindries, et qu’il continuait d’exercer son contrôle sur Gaza (plus précisément sur les 47 % du territoire qui ne sont pas sous le contrôle des forces armées israéliennes). Des images d’exécutions sommaires d’éléments accusés d’avoir collaboré avec Israël ont également circulé. Trump avait alors déclaré, le 12 octobre : « Ils veulent vraiment mettre fin aux problèmes, et ils l’ont dit ouvertement. Nous leur avons accordé une autorisation pour une certaine période. ». Six jours plus tard, la Maison-Blanche publiait un communiqué exhortant le Hamas à cesser ces violences.

Plusieurs bandes et clans ont étendu leur influence sur différentes zones de Gaza. Certains, parmi eux, notamment, des membres du clan Doghmush, sont accusés d’avoir collaboré avec Israël, et d’avoir participé aux massacres de Palestiniens, alors qu’ils se rendaient aux distributions d’aide humanitaire, ou encore d’avoir pillé des camions d’aide. Il semblerait également que ces exécutions soient liées au fait que, le 10 octobre, des membres de ce clan ont assassiné Muhammad Imad Aqel, le fils d’un cadre des brigades al-Qassam. Deux jours plus tard, ils kidnappaient, torturaient et assassinaient Salah al-Jaafarawi, journaliste palestinien très suivi sur les réseaux sociaux.

On peut aussi citer la famille al-Majayda. Lors de violences opposant des membres de ce groupe au Hamas, au début du mois, Israël a bombardé la zone de combat. L’attaque, qui a tué une vingtaine de combattants du Hamas, a, dès lors, été perçue comme une preuve du soutien israélien à ce clan. D’autres groupes ou milices opèrent également en coordination avec les forces militaires israéliennes, et agissent au sein de la zone occupée par celles-ci : celui dirigé par Yasser Abu Shabab, celui de Rami Halas, le groupe de Hossam al-Astal ou encore celui d’Ashraf al-Mansi. On comprend donc que la situation reste très volatile ; la phase de désarmement risque de lourdement impacter les rapports de force sur le terrain.

Le plan Trump parle de la mise en place d’une force internationale de stabilisation : où en est-on ?

Le projet, et cela peut surprendre, est en réalité assez ancien. Le site d’information en ligne égyptien Mada Masr, citant une source officielle égyptienne, nous apprend que quelques semaines seulement après le 7 octobre 2023, Tony Blair, Jared Kushner, Ron Dermer et Mohamed Dahlan, dissident palestinien protégé par les Émirats arabes unis, se réunissaient déjà à Abu Dhabi pour réfléchir à des scénarios post-conflit. C’est dans le cadre de cette réunion que l’idée d’une force conjointe arabe ayant vocation à protéger Israël aurait émergé. Elle aurait alors été présenté à Amman et au Caire comme émanant des États-Unis. Il semblerait que c’est à la suite de ces premières discussions, que certains États arabes auraient demandé à l’administration étatsunienne d’assumer la gestion sécuritaire de Gaza, avec à l’époque, pour contrepartie demandée par les États-Unis, une participation de l’Égypte, de la Jordanie, des Émirats arabes unis, du Maroc et de l’Indonésie. Il est intéressant de noter qu’avant même le retour de Donald Trump à la Maison-Blanche, les États-Unis étaient déjà envisagés comme devant tenir un rôle de premier plan dans la gouvernance post-conflit. Le « plan Trump » en 20 points, présenté fin septembre, doit en réalité beaucoup à ces négociations, qui se sont tenues en coulisse… sous Joe Biden.

Le 17 octobre dernier, le Centcom a ouvert un centre de coordination militaro-civile (CCMC) à Kiryat Gat, dans le sud d’Israël. 200 soldats américains y sont déjà déployés, des militaires britanniques participeront également à cette mission, et on apprend que la France y a déjà envoyé trois militaires. Il reste à savoir quels États de la région enverront des contingents. Une enquête publiée le 11 octobre dernier par le Consortium international des journalistes d’investigation peut nous donner des éléments de réponse. Celle-ci révèle qu’entre 2022 et 2025, six États arabes ont, dans la plus grande discrétion, et sous l’égide des États-Unis, participé à une coopération militaire avec Israël. Il s’agit du Qatar, de Bahreïn, de l’Égypte, de la Jordanie, de l’Arabie saoudite et des Émirats arabes unis. On peut donc s’attendre à ce que certains de ces pays participent à la force internationale de stabilisation. L’Indonésie, l’Azerbaïdjan et le Pakistan sont également évoqués. La participation de la Turquie, qui est pourtant garante du cessez-le-feu, vient d’être, quant à elle, fermement rejetée par Tel-Aviv.