Analyses / Moyen-Orient / Afrique du Nord
14 février 2025
La place de l’Irak dans un Moyen-Orient en recomposition

Longtemps structuré par des rivalités autour de l’Iran et de ses relais régionaux, le Moyen-Orient semble entrer dans une nouvelle phase. Cette évolution s’explique en grande partie par la réponse israélienne aux attaques perpétrées par le Hamas le 7 octobre 2023, qui a déstabilisé les rapports de forces régionaux à différentes échelles. L’affaiblissement militaire et politique du Hezbollah, conjugué à la chute du régime de Bachar Al-Assad le 8 décembre 2024, a fragilisé l’« axe de la résistance » en désagrégeant ses composantes et en réduisant ainsi sa capacité d’action. À la différence du Hezbollah, les milices pro-iraniennes en Irak ont eu un rôle limité dans la confrontation avec Israël. Cette relative mise en retrait a préservé la stabilité de l’Irak lui offrant l’opportunité de se repositionner sur l’échiquier régional. Conscient de l’affaiblissement notable de son partenaire iranien, Bagdad pourrait ainsi chercher à s’émanciper de son influence. Dans ce contexte, quelle position tente d’affirmer le gouvernement irakien dans un Moyen-Orient mouvant et le début du nouveau mandat de Donald Trump ?
La réaction de l’Irak à la chute d’Al-Assad
La chute de Bachar Al-Assad en Syrie a été perçue comme un risque majeur pour l’ensemble des pays voisins, faisant craindre une remobilisation de l’État islamique et une lutte entre les différentes factions pour le contrôle du territoire (Forces démocratiques syriennes, Armée syrienne libre…). Ainsi, le gouvernement irakien et la majorité des milices pro-iraniennes, ont privilégié la sécurisation de leur frontière plutôt que de venir en soutien au régime d’Al-Assad.
Le Premier ministre irakien Mohamed Chia Al-Soudani a par la suite rapidement établi un contact avec Ahmed Al-Shara’a, président intérimaire syrien, afin de soutenir la transition politique en cours. Bagdad cherche désormais à normaliser ses relations avec le nouveau pouvoir en place et à se positionner comme un potentiel interlocuteur entre la Syrie et l’Iran. Bien que le dirigeant syrien ait condamné les actions des milices pro-iraniennes, le pouvoir syrien ne compte pas s’attaquer à ces dernières et appelle à une implication régionale de l’Iran plus « positive ».
Cette politique d’ouverture permettrait à l’Irak de participer à la stabilisation régionale tout en se distanciant relativement de l’Iran. Dans cette perspective, Bagdad afficherait une certaine neutralité et aspirerait à un rôle constructif dans la région.
Les liens de Bagdad avec l’Occident
Bien que certaines factions en Irak soient considérées comme faisant partie de l’« axe de la résistance », l’Irak se trouve à la croisée de l’influence iranienne et américaine dans la région.
Dans le cadre de la lutte contre l’État islamique, 2 500 soldats américains sont toujours présents sur le sol irakien. Malgré une volonté respective de parvenir à un retrait des troupes depuis plusieurs années, ces dernières restent maintenues pour lutter contre l’influence iranienne, dont les milices ont intensifié leurs attaques contre les positions américaines depuis octobre 2022. Pris entre les attaques de ces milices et la pression américaine pour un désengagement sécurisé, le gouvernement irakien se retrouve dans une position inconfortable, contraint de ménager deux acteurs antagonistes.
Pour le second mandat de Donald Trump, Bagdad occupe une place particulière, étant considéré comme l’un des derniers bastions de l’influence iranienne. À ce titre, avant le début de son mandat, Trump a adressé un message aux autorités irakiennes les encourageant à réduire la prolifération des armes échappant au contrôle de l’État et à réduire l’influence des groupes pro-iraniens.
Ce message cible en particulier les forces du Hachd Al-Chaabi (Unité de mobilisation populaire), un acteur clé dans la lutte contre l’État islamique, mais aussi le principal vecteur de l’influence iranienne en Irak.
L’Irak face à l’influence iranienne
Initialement organisée comme une confédération de milices, Hachd Al-Chaabi s’est imposée comme une composante à part entière de la politique irakienne. À l’aide d’une loi votée le 26 novembre 2016, le Parlement a garanti sa non-démobilisation, le maintien de ses armes et a permis son intégration au sein de l’État irakien en la plaçant sous la tutelle du Premier ministre. Cependant, cette dernière garde une certaine autonomie, permise par le statut particulier dont dispose la formation militaire. À la fois intégrée à l’État irakien et composante de l’« axe de la résistance », cette structure peut justifier des opérations en dehors du cadre de l’État, notamment contre les positions américaines.
Parallèlement, Hachd al-Chaabi a développé des branches politiques lui permettant de siéger au Parlement et de peser sur les échéances électorales. Cette organisation, alignée sur les intérêts de l’Iran, peut alors exercer un contrôle direct sur la politique irakienne.
Malgré ce pouvoir sur la scène interne, cette influence iranienne se retrouve mise à l’épreuve face aux évolutions en cours au Moyen-Orient. Confronté à la volonté d’émancipation du gouvernement irakien, l’ayatollah Khamenei a rappelé son attachement au à Hachd Al-Chaabi et a déclaré souhaiter un renforcement de ces dernières à l’occasion d’une rencontre entre les deux gouvernements le 8 janvier 2025.
Cette déclaration souligne la divergence d’intérêts entre l’Iran et les États-Unis au sujet de l’Irak. Cette dernière, bien que cherchant à tenir une position d’équilibre, reste un acteur secondaire pris dans des rivalités globales. Ne disposant pas des outils pour s’en émanciper, le gouvernement irakien ne peut que plaider pour une coopération entre les deux rivaux. À cet égard, le 3 février 2025 le président du Parlement irakien a demandé au gouvernement iranien d’engager un dialogue soutenu avec les pays occidentaux afin de soutenir la sécurité régionale.
Le gouvernement irakien aimerait se positionner en tant que médiateur entre les deux puissances. Si l’administration Trump cherche à la fois à retirer ses troupes, à stabiliser la région et à empêcher l’Iran d’acquérir l’arme nucléaire, des négociations approfondies seront nécessaires. Celles-ci pourraient inclure la question des milices pro-iraniennes, ainsi que le soutien apporté aux Houthis au Yémen, en tant que levier de négociations.
Toutefois, le scénario d’une négociation fructueuse entre l’Iran et les États-Unis reste incertain malgré une volonté d’éviter tout affrontement direct de la part de Téhéran. En effet, le contexte régional pousse l’Iran à assurer sa protection, dans la mesure où le soutien inconditionnel états-unien à la politique israélienne semble se prolonger.
Reste à savoir si Bagdad saura tirer parti de cette reconfiguration régionale pour gagner en autonomie, ou si le pays restera piégé dans ses divisions internes et la rivalité entre Washington et Téhéran.