Analyses / Moyen-Orient / Afrique du Nord
16 juin 2025
La négation du droit international à l’œuvre

Depuis l’attaque militaire de la République islamique d’Iran par l’État d’Israël dans la nuit du 13 juin, nous assistons à une inquiétante dérive des commentaires qui prolifèrent sur le sujet. Par un curieux retournement de perspective, le pays agressé est en effet présenté comme celui qui incarne un danger pour l’ordre régional et international. Ce qui est encore plus préoccupant, c’est que l’impulsion vient de haut, puisqu’Emmanuel Macron, dans sa déclaration du 13 juin, n’hésite pas pour sa part à reprendre la rhétorique israélienne et affirme le droit d’Israël à se défendre, ce qui peut formellement être compris, mais précise sans sourciller que la France serait prête à se joindre aux opérations de protection et de défense d’Israël en cas de riposte iranienne. Ainsi donc, nous assistons à une modification complète de ce qui incarnait le droit international : dans une logique toute orwellienne, l’agresseur devient l’agressé et c’est le premier qu’il faut défendre. Il est donc clairement édicté la prime à la loi du plus fort et la rupture assumée avec les principes qui prétendaient régir les relations internationales.
Nous savons que le droit international est malmené depuis des décennies par de nombreuses puissances, mais il semble que nous entrions désormais dans une nouvelle séquence basée sur ce que les proches de Donald Trump appellent les « vérités alternatives ». Certes, comme à son habitude, le président français tente de manier son traditionnel « en même temps » quand il précise que la France n’a pas participé à l’attaque contre l’Iran et « ne partage pas cette approche et la nécessité d’une opération militaire » mais, précise-t-il immédiatement, que les frappes « avaient eu des effets qui vont dans le sens recherché ». Ces paroles sont lourdes de sens. Elles sont l’expression d’un alignement sur les positions israéliennes et expriment une politique occidentaliste et belliciste qui tourne le dos à ce que pensent une probable majorité des États de la planète.
Reprenons donc brièvement les axes de la politique iranienne sur le nucléaire puisque cela nous est présenté comme le sujet principal. La République islamique au terme d’un long, et souvent tendu, processus de négociations a accepté de contresigner, en juillet 2015, le Joint Comprehensive Plan of Action (JCPoA) consacré au nucléaire iranien, qui imposait un cadre contraignant à l’ensemble des parties, c’est-à-dire les cinq membres permanents du Conseil de sécurité, l’Allemagne, l’Union européenne et l’Iran. Toutes les inspections de l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA), sans exception, qui se succèdent au cours des années suivantes en Iran concluent au strict respect de leurs engagements par les autorités de Téhéran. C’est Donald Trump qui, lors de son premier mandat, dénonce unilatéralement en 2018, l’accord international et réactive les sanctions à l’encontre de l’Iran. Les responsables iraniens font alors preuve de patience et attendent que les Européens prennent des mesures concrètes pour contrecarrer les effets néfastes de la décision des États-Unis. En vain. Les gesticulations bruxelloises ne décident rien. C’est donc seulement en 2019 que l’Iran, ne se considérant plus lié par le JCPoA, reprend l’enrichissement de l’uranium. La chronologie des faits est importante, car il est sans cesse reproché aux Iraniens de n’avoir pas respecté les termes du JCPoA, alors que c’est le retrait des États-Unis qui l’a en large partie vidé de son contenu.
Où en est-on aujourd’hui ? La partie iranienne affirme poursuivre un programme d’enrichissement de l’uranium à des fins civiles, scientifiques et médicales principalement. Dans ce cas, l’uranium peut en effet être enrichi à 20 %. Or, d’après le dernier rapport de l’AIEA et les estimations des experts, l’Iran possèderait aujourd’hui cinq tonnes d’uranium enrichi à plus de 20 %, dont probablement 400 kilogrammes à 60 %. Pour une utilisation militaire, il faut atteindre 90 %. Or, les mêmes experts considèrent que la décision politique, et donc technique, de passer à cette phase n’a pas été encore prise par les dirigeants iraniens. Si une telle initiative était actée, il faudrait a minima une année pour parvenir à la fabrication d’une ou plusieurs bombes atomiques opérationnelles, nécessitant des processus de miniaturisation et de vectorisation. C’est pourquoi les déclarations de Benyamin Netanyahou répétant ad nauseam que l’Iran est une menace existentielle pour Israël relèvent d’une rhétorique dangereuse, non corroborée par les faits.
Ainsi, nous nous trouvons aujourd’hui dans une logique de guerre préventive, radicalement contraire aux fondements du droit international, revendiquée et assumée comme telle par Benyamin Netanyahou mais aussi, avec beaucoup plus de circonvolutions et d’hypocrisie, par la majeure partie des dirigeants occidentaux qui s’alignent de facto sur Tel-Aviv.
Quelles sont alors les raisons et la logique d’une telle décision ? Si l’on considère son moment précis, il s’agissait en premier lieu de pulvériser les timides processus de négociations à l’œuvre. Tout d’abord, le sixième round de négociations entre les États-Unis et l’Iran planifié pour le 15 juin à Mascate, ensuite l’initiative franco-saoudienne, prévue dans le cadre de l’Organisation des Nations unies (ONU) à New York le 18 juin, traçant hypothétiquement la perspective de reconnaissance de l’État de Palestine. Les probabilités de réussite de ces deux processus étaient certes réduites, mais c’était encore trop pour Benyamin Netanyahou, qui ne croit qu’à l’utilisation de la force militaire pour prétendre régler les différends politiques. Cette posture est totalement assumée, puisqu’il se félicitait, en octobre 2024, d’être en guerre sur sept fronts différents. C’est en ce sens qu’Israël est la principale puissance déstabilisatrice du Moyen-Orient et plus largement des relations internationales.
La politique menée par le Premier ministre israélien est connue depuis longtemps et elle est sans l’ombre d’un doute condamnable. Ce qui est profondément inquiétant réside dans la pusillanimité de ladite communauté internationale. Un génocide est en cours à Gaza, une agression caractérisée est commise à l’encontre de l’Iran et les condamnations sont quasi inexistantes de la part des puissances occidentales, ce qui permet à Israël de jouir d’un sentiment d’impunité lui assurant la possibilité de poursuivre sa fuite en avant. Les États du Sud, dans leur diversité, sont certes plus critiques et condamnent les opérations israéliennes en cours. Pour autant, il serait appréciable qu’ils se coordonnent et suscitent des initiatives pour cesser la lente décomposition qui saisit la planète. Il en va du type d’avenir souhaité pour cette dernière : loi du plus fort versus réactivation des principes du droit international.