Analyses / Moyen-Orient / Afrique du Nord
28 janvier 2025
La diplomatie du Golfe est-elle devenue centrale pour la bonne marche des affaires du monde ?

Qu’il s’agisse de l’arbitrage de l’Arabie saoudite en Syrie et au Liban, du rôle de médiateur du Qatar entre le Hamas et Israël, ou du travail de l’ombre d’Oman avec l’Iran et les Houthis, sans oublier l’importance des Émirats arabes unis dans l’échange de prisonniers entre Kyiv et Moscou, le constat est le même : depuis quelques années, les pays du Golfe occupent une place de plus en plus importante dans la résolution des conflits et des crises régionales et internationales.
La diplomatie saoudienne : de l’ombre à la lumière
La nature a horreur du vide et les Saoudiens l’ont bien compris. L’affaiblissement de l’Iran à la suite des coups portés par Israël contre le Hezbollah, son bras armé au Liban et en Syrie, a permis à Riyad de saisir cette opportunité et de revenir avec force au Liban et de renforcer son influence en Syrie.
L’Arabie saoudite profite du desserrement de l’étau du « croissant chiite », qui a dominé une partie de la région pendant deux décennies avec, jusqu’alors, un accroissement de la mainmise de Téhéran au Liban via le Hezbollah et en Syrie où les Iraniens étaient l’un des principaux soutiens du régime de Bachar Al-Assad.
Les Saoudiens ont patiemment planifié leur retour dans les affaires du Liban et de la Syrie. Cette pièce s’est jouée en plusieurs actes. Le premier a été de couper l’appui financier au Liban qui était tombé entre les mains du Hezbollah qui semblait inamovible. Le camp sunnite représenté par Saad Hariri a alors été réduit au rôle de figurant. L’Arabie saoudite, qui avait joué un rôle crucial pour mettre fin à la guerre civile au Liban avec les accords de Taef de 1989, semblait vouloir abandonner ce pays à son triste sort en le privant de son soutien financier.
Le deuxième acte a été marqué par le rapprochement avec la Turquie, l’autre grand pôle sunnite de la région. La visite du président turc Recep Tayyip Erdoğan en Arabie saoudite le 16 juillet 2023 est venue consacrer une réconciliation entre les deux pays après les vives tensions à la suite de l’assassinat de Jamal Khashoggi le 2 novembre 2018 à Istanbul. Ce rapprochement obéit au principe de réalité. Les deux pays ont besoin l’un de l’autre. La Turquie, puissance militaire régionale, a besoin de financements et l’Arabie saoudite de la technologie turque dans certains domaines pour ne pas dépendre exclusivement de l’Occident.
Le troisième acte a été ponctué par la réadmission de la Syrie de Bachar Al-Assad au sein de la Ligue arabe, opportunité que l’ex-président syrien n’a pas su ou voulu saisir en croyant se jouer, une fois de plus, des promesses et des engagements qu’il n’a jamais tenus.
Des évènements extérieurs sont également venus opportunément en appui de cette stratégie et l’Arabie saoudite en fin observateur de la scène régionale a su se muer en acteur diplomatique important pour devenir incontournable sur certains dossiers comme la Syrie et le Liban. L’intervention israélienne à Gaza et au Sud-Liban a eu pour conséquences l’affaiblissement de l’influence iranienne dans la région. Le Hezbollah très amoindri aura beaucoup de mal à se reconstruire, d’autant plus que les lignes traditionnelles d’approvisionnement qui passaient par la Syrie ne seront pas réactivées dans un avenir proche.
L’Arabie saoudite, qui fête cette année les dix ans de l’accession au pouvoir du roi Salman et du pouvoir effectif du prince héritier Mohamed Ben Salman, a connu une véritable révolution en tous les domaines. Sa diplomatie traditionnellement prudente et timorée a laissé place à une affirmation de la puissance régionale saoudienne qui entend affirmer sa primauté. Cette diplomatie proactive est renforcée par la présence du prince Fayçal Bin Farhan à sa tête. Ce diplomate formé dans les meilleures universités connaît parfaitement les codes et le fonctionnement des rapports de force dans le monde.
Les Saoudiens de retour en Syrie et au Liban
À la chute du régime syrien et à la fuite honteuse de Bachar Al-Assad le 8 décembre 2024, on aurait pu penser que les nouveaux maîtres de Damas seraient totalement inféodés à la Turquie à qui ils devaient leur victoire en large partie. Ahmed Al-Charra, le chef de Hay’at Tahrir al Sham (HTS), a depuis quitté sa tenue de combat pour un costume cravate. Ses premiers gestes ont été de se rapprocher de Riyad qui a répondu présent.
Pour sa première visite à l’étranger, Assaad Hassan Al-Chibani, le nouveau ministre des Affaires étrangères syrien, s’est rendu en Arabie saoudite. Le royaume saoudien a de son côté organisé une réunion ministérielle d’aide à la Syrie. Tous les pays du Golfe y ont participé, ainsi que les ministres des Affaires étrangères d’Égypte, de Jordanie, du Liban, les Secrétaires généraux de la Ligue arabe et du Conseil de coopération du Golfe, l’envoyé spécial des Nations unies pour la Syrie, Geir Otto Pedersen, la Haute représentante de l’Union européenne, Kaja Kallas, et les ministres des Affaires étrangères allemands et britannique, Annalena Baerbock et David Lammy, en présence également de conseillers américains et français.
Cette conférence visait à lever les sanctions internationales contre la Syrie, coordonner l’aide à la Syrie pour la reconstruction et fixer les attentes vis-à-vis du nouveau pouvoir qui devrait garantir les droits de tous les Syriens.
L’Arabie saoudite est également de retour au Liban. Riyad, avec l’aide de la France et des États-Unis, a pesé de tout son poids pour permettre l’élection du général Joseph Aoun à la présidence. La visite à Beyrouth du Prince Khaled Ben Salman, frère du Prince-Héritier et ministre de la Défensesaoudien, ainsi que son soutien affiché à la candidature du Général Joseph Aoun en est le signe visible. De même, la désignation d’un envoyé spécial pour le Liban, le Prince Yazid Bin Farhan, frère et proche conseiller du ministre des Affaires étrangères Fayçal Ben Farhan, est une preuve supplémentaire de l’intérêt renouvelé des Saoudiens pour Beyrouth. Par ailleurs, le président Aoun déclaré que sa première visite à l’étranger serait pour se rendre en Arabie saoudite. La semaine dernière, le ministre saoudien des Affaires étrangères s’est rendu à Beyrouth et à Damas pour réaffirmer le soutien de Riyad envers ces pays et fixer les lignes de conduite que Riyad entend bien faire respecter.
Le rôle pivot des autres pays du Golfe
La diplomatie du Golfe ne se résume pas à la seule action de l’Arabie saoudite et d’autres pays, tels que le Qatar ou les Émirats arabes unis, jouent un rôle pivot dans la région. l’avenir de cette trêve de 42 jours demeure incertain et fragile, un accord de cessez-le-feu entre le Hamas et Israël a été conclu à Doha le 19 janvier 2025. La médiation du Qatar, avec le soutien actif de l’Égypte et des États-Unis, a été fondamentale pour parvenir à cet accord ainsi qu’à la libération d’otages israéliens enlevés le 7 octobre.
De même, Abou Dhabi a été un acteur important et inattendu dans l’échange de prisonniers entre la Russie et l’Ukraine, ayant permis la libération de 300 prisonniers le 30 décembre dernier. Par ailleurs, les Émiriens sont très impliqués dans les tractations sur le retour d’enfants ukrainiens enlevés par les Russes.
Oman dans son rôle traditionnel de facilitateur
Oman dans son rôle traditionnel de médiateur est un passeur de messages. Sa diplomatie très secrète lui permet d’avoir une action efficace en tant qu’interlocuteur privilégié de pays marginalisés comme l’Iran ou de groupes rebelles tels qu’Ansar Allah au Yémen. Les Houthis ont ainsi récemment libéré l’équipage du Galaxy Leader, navire saisi en mer rouge en novembre 2023. Les vingt-cinq membres d’équipage de différentes nationalités ont été remis aux autorités omanaises qui ont organisé leur rapatriement dans leurs pays respectifs.
Le ministre omanais des Affaires étrangères, Sayed Badr El-Busaïdi, s’est rendu à Téhéran le 30 décembre 2024 pour une visite importante au cours de laquelle il a rencontré les principaux dirigeants iraniens. Sayed Badr était porteur d’un message du Sultan Haytham d’Oman. La question du nucléaire iranien a été au centre des discussions et les Omanais voulaient s’assurer que les Iraniens n’avaient pas changé de doctrine sur ce sujet. À quelques jours de la prise de l’entrée en fonctions de Donald Trump, le responsable omanais aurait également été porteur de messages états-uniens, même si cela a été démenti par ses hôtes de Téhéran qui ont évoqué avec beaucoup d’insistance le rôle joué par Oman pour la conclusion de l’accord sur le nucléaire de 2015.
Ainsi, le rôle ancien ou récent de la diplomatie du Golfe place cette région en capacité d’agir sur les crises internationales et de devenir un acteur incontournable de la diplomatie mondiale.