Guerre en Ukraine : entre enlisement et impasse diplomatique

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Cette annulation n’est pas si surprenante car les positions de la Russie n’ont pas varié depuis le sommet d’Anchorage. Même si l’économie russe est rentrée dans une phase de refroidissement, Vladimir Poutine continue certainement d’estimer que le temps joue plus en sa faveur que dans celle de l’Ukraine. Bruxelles cherche des fonds pour financer le budget ukrainien en 2026 – et pourrait être tenté de confisquer 140 milliards d’euros d’avoirs russes gelés en Belgique à cette fin – et Kiev rencontre toujours autant de difficultés à renouveler ses effectifs militaires. Il s’agit là de défis que Moscou ne connaît pas dans les mêmes proportions. Donald Trump est quant à lui revenu sur les positions qui étaient les siennes jusqu’au sommet en Alaska, à savoir exiger l’instauration d’un cessez-le-feu préalablement à l’ouverture de négociations de paix. Cette exigence est celle des Ukrainiens et des Européens. Étant donné qu’ils détiennent l’initiative stratégique et que la dynamique du champ de bataille leur est favorable, les Russes ne sont pas intéressés par un cessez-le-feu et affirment vouloir s’engager d’emblée dans les discussions de fond pendant que les combats font rage. Cette approche a déjà existé lors de conflits au XXe siècle (guerres de Corée, du Viêtnam…). C’était aussi celle du président américain à Anchorage.

Vladimir Poutine exige que l’Ukraine évacue ses forces des 25 % du Donbass qu’elles contrôlent pour que les opérations de l’armée russe soient suspendues. II semblerait que ce soit cette exigence qui ait fait capoter le sommet de Budapest. On parle essentiellement de la conurbation Kramatorsk-Slaviansk, fortifiée par les Ukrainiens depuis 2014. Il y a donc pour le Kremlin un enjeu militaire – éviter une bataille qui s’annonce plus féroce que celle de Bakhmout –, et politique. Moscou ne peut décemment pas proclamer une victoire si les forces ukrainiennes restent présentes dans le Donbass. En outre, les Russes savent qu’un tel retrait pourrait causer sa perte politique à Volodymyr Zelensky. Aussi, le gel des hostilités le long de l’actuelle ligne de contact n’intéresse pas le Kremlin. Une éventuelle porte de sortie serait de démilitariser et de placer ces 25 % sous administration internationale. Les Russes comme les Ukrainiens sont, me semble-t-il, accessibles à cette option…

Quant au nouveau retournement de Donald Trump, il ne faut pas le surinterpréter. Le président américain cherche à tordre le bras des Russes, après avoir essayé de tordre celui des Ukrainiens, pour obtenir un arrêt des combats. Il estime certainement déjà être rentré dans ses frais puisque le matériel militaire américain à destination de l’Ukraine est désormais financé par les Européens qui ont par ailleurs consenti à réaliser des investissements mirobolants dans l’économie américaine et dans leur défense afin que les États-Unis ne leur tournent pas le dos. La seule ligne rouge de Trump sur le dossier ukrainien est celle de l’effondrement du pouvoir à Kiev. Le président américain ne souhaite pas que l’Ukraine devienne pour lui ce que le retrait d’Afghanistan a été pour Joe Biden : un fiasco. Il laissera donc certainement a minima se poursuivre le partage de renseignement américain avec Kiev et l’appui qui permettent aux Ukrainiens de frapper des cibles en Russie.

Alors qu’ils étaient partagés sur les perspectives d’une rencontre entre Donald Trump et Vladimir Poutine, un plan européen semble se préparer. Quelles sont les marges de manœuvre et le poids des Européens dans ce bourbier diplomatique ?

Elles sont limitées par les ressources financières et le matériel militaire disponibles pour l’Ukraine, sur fond de désengagement américain. Politiquement, les marges de manœuvre de l’Union européenne sont très faibles car les Européens ont rompu les canaux de discussion avec le Kremlin. Ils se sont mis dans la posture de devoir réagir face aux errements trumpiens et aux développements qui interviennent entre Moscou et Washington. La réouverture de contacts directs avec la Russie leur permettrait de gagner en marge de manœuvre – sans garantie qu’un dialogue se noue avec les Russes –, mais cette volonté ne semble pas exister à Bruxelles… Quant au plan en 12 points, il vise à coordonner et clarifier les positions de l’Union européenne (UE) et de l’Ukraine, dans cette logique réactive, alors que l’on constate des flottements et des retournements à Washington sur le dossier ukrainien.

Mais le principal sujet, c’est celui du financement de l’effort de guerre de l’Ukraine par Bruxelles. L’option la plus tentante, mais politiquement et économiquement la plus risquée, est celle de la confiscation de 140 milliards d’euros d’avoirs de la Banque centrale de Russie gelés en Belgique chez Euroclear. Le gouvernement belge y est hostile en raison de ses très probables retombées négatives : dommages réputationnels quasi irrémédiables auprès des investisseurs étrangers hors UE, et actions en justice qu’intenteraient les entreprises européennes disposant encore d’actifs en Russie, actifs que ne manquerait pas de confisquer en représailles le gouvernement russe. Il se pose aussi la question des conséquences d’une telle confiscation des avoirs russes pour la stabilité de l’euro. Comme couper les vivres à l’Ukraine n’est pas envisageable pour les Européens, il reste la piste de l’endettement. Et là aussi, il s’agit d’un scénario qui ne fait pas l’unanimité au sein des États membres…

Alors que l’UE a adopté de nouvelles sanctions contre la Russie, tout comme Washington va renforcer les siennes, la gouvernance de Vladimir Poutine et de ses affidés sur leur pays semble immuable et solide. Qu’en est-il réellement ? La Russie a-t-elle toujours les moyens de poursuivre sa guerre ?

La comparaison des différentes études d’opinion réalisées par les instituts de sondages en Russie, qu’ils soient loyaux à l’égard des autorités ou étiquetés comme « agents étrangers », montre que Vladimir Poutine et son action disposent d’une solide confiance de la part de la population. La popularité du gouvernement russe commence en revanche à pâtir du refroidissement de l’économie, mais il n’y a clairement rien de critique à ce stade. Économiquement, la Russie devrait connaître une croissance relativement atone cette année – entre 0,5 % et 1 %, donc bien en dessous des 4 % – 4,5 % des deux dernières années. L’inflation – évaluée à environ 8-9 % – reste élevée, et le taux directeur de la Banque centrale de Russie – 16,5 % après la révision intervenue ces derniers jours – paralyse l’investissement et le crédit. Les Russes renoncent ou ajournent des projets immobiliers en raison des taux d’intérêt prohibitifs (au-delà de 20 %…). Le prix bas du pétrole russe – la valeur de l’Urals a été en recul quasi constant cette année – coté sous la barre des $60 ces derniers jours, et un rouble trop fort face au dollar, diminuent les rentrées de numéraires dans le budget fédéral qui a dû être corrigé à l’automne pour tenir compte de cette réalité. Enfin, les « primes d’embauche » payées par les régions pour tout contrat d’engagement signé avec le ministère russe de la Défense ont été considérablement rabotées depuis la rentrée : selon les sujets de la Fédération considérés, leur montant a été divisé par 2, 3 voire 4…

Ceci étant dit, cette situation ne paraît pas inquiéter Moscou qui, en dépit de ces difficultés bien réelles, maintient son effort de guerre, et semble en mesure de pouvoir le maintenir au niveau actuel pour les deux prochaines années. La dette du pays demeure maîtrisée avec un taux d’endettement qui pourrait représenter environ 20 % du PIB à la fin de l’année, tandis que le déficit budgétaire devrait tourner autour de 3 % du PIB en 2025. Le Kremlin considère que le coût des sacrifices économiques – pour ne parler que d’eux – reste inférieur aux enjeux politico-sécuritaires qu’il perçoit dans ce conflit.