Gaza : l’urgence humanitaire malgré le cessez-le-feu

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Alors que le conflit à Gaza est suspendu, quel bilan humain peut-on établir à l’heure actuelle ? Comment la trêve signée entre le Hamas et Israël est-elle perçue par la population gazaouie ?

Il est essentiel de souligner qu’il s’agit d’une trêve, non d’un accord de paix. Cette trêve, particulièrement fragile, est prévue en plusieurs phases, théoriquement trois : d’abord, la libération progressive des otages et l’entrée d’une aide humanitaire, puis, selon l’évolution des négociations, deux autres phases visant une stabilité durable et la reconstruction. Toutefois, aucune perspective politique solide n’a encore été dégagée. Les grandes questions liées aux causes profondes du conflit, comme la colonisation active en Cisjordanie ou à Jérusalem-Est, restent en suspens.

Malgré ces limites, le cessez-le-feu représente un véritable répit pour les populations civiles, un espoir tangible, ainsi qu’un soulagement pour les otages et leurs familles, tout comme pour les centaines de prisonniers palestiniens qui vont être libérés, dont la majorité a été emprisonnée de manière abusive. Cette trêve est également un soulagement pour les deux millions de civils de Gaza qui, depuis quinze mois, endurent une situation catastrophique.

Les chiffres sont effarants : cette guerre, d’une létalité sans précédent, a officiellement causé au moins 46 000 morts, auxquels pourraient s’ajouter 30 000 autres victimes selon un récent article du Lancet. Cela porterait le total à 70 000 morts, exclusivement liés aux bombardements et aux blessures. Ce décompte ne prend même pas en compte les corps encore sous les décombres ni les décès dus à l’absence de soins. La crise humanitaire est d’une ampleur exceptionnelle : plus de 90 % de la population a été déplacée, plus de 60 % des infrastructures essentielles ont été détruites, tout comme 80 % des habitations individuelles. Le système de santé est en ruine, avec des centaines de centres de santé détruits et au moins vingt hôpitaux complètement hors d’usage, sur les trente-six initialement opérationnels avant le 7 octobre. Les hôpitaux encore debout manquent cruellement de médicaments et fonctionnent à peine.

L’aide humanitaire, empêchée d’entrer pendant de nombreux mois, aurait pu atténuer cette situation extrême marquée par la faim, la soif et le manque de soins. Aujourd’hui, on recense environ 110 000 blessés, dont la majorité nécessite des soins urgents qui ne peuvent être assurés à Gaza. Le système de santé local, déjà détruit, est incapable de répondre à ces besoins.

Cette trêve offre une respiration non seulement à la population, mais aussi aux acteurs de l’aide humanitaire, qui ont eux-mêmes payé un lourd tribut : au moins 300 humanitaires, et des centaines de soignants ont perdu la vie, ainsi que 120 journalistes. Cependant, cette lueur d’espoir s’accompagne d’un sentiment ambivalent. En Cisjordanie, la violence continue d’entraver le travail humanitaire, et les tensions demeurent vives. Cette trêve marque la fin, espérons-le, d’une période de violence extrêmement létale, mais pas celle du conflit israélo-palestinien. Il s’agit d’un répit dans une guerre qui pourrait prendre une autre forme, laissant planer de nombreuses incertitudes sur l’avenir.

La signature du cessez-le-feu devrait permettre une aide humanitaire bien plus importante que durant le conflit. Quelles sont les priorités en la matière et comment son acheminement est-il organisé ?

Depuis quinze mois, l’aide humanitaire destinée à Gaza a été massivement entravée, avec des restrictions drastiques sur les flux de camions. Alors qu’avant le 7 octobre 2023, entre 500 et 600 camions entraient quotidiennement, ce nombre a chuté à une moyenne de 50 à 150 camions par jour. Cette pénurie s’inscrit dans un contexte de blocus imposé depuis 17 ans, qui a déjà plongé la population dans une situation de rationnement forcé par les autorités israéliennes.

Les priorités humanitaires sont multiples : faire entrer des médicaments, des équipements médicaux, de la nourriture, de l’eau potable, du carburant pour alimenter les générateurs, et des abris provisoires tels que des bâches et des tentes pour les familles qui retournent dans des quartiers dévastés, notamment dans le centre et le nord de Gaza. Il faudra également renforcer les hôpitaux encore en activité, installer des hôpitaux de campagne et développer des centres de santé de proximité pour répondre aux besoins médicaux urgents.

L’accord actuel prévoit de rétablir un rythme d’entrée de 500 à 600 camions par jour, comme cela a été observé depuis le 19 janvier via le poste-frontière de Kerem Shalom. Cependant, ce défi logistique est immense : les routes, les infrastructures de stockage, les centres de santé et même les terres agricoles sont pour la plupart détruits. Les Nations unies, qui coordonnent cette opération avec le COGAT (le coordinateur israélien des activités gouvernementales dans les territoires), auront besoin du soutien de l’Égypte pour maintenir un flux continu d’aide et permettre l’entrée d’équipes humanitaires à grande échelle.

Un autre enjeu majeur sera l’évacuation des milliers de blessés graves qui ne peuvent être soignés sur place en raison de la destruction massive du système de santé. Jusqu’à présent, aucune opération d’évacuation à grande échelle n’a été mise en œuvre, il faudra insister pour que cela change.

Enfin, il faudra accorder une attention particulière à la santé mentale de la population. Depuis quinze mois, les deux millions d’habitants de Gaza vivent dans ce qui peut être décrit comme une « prison à ciel ouvert », soumis à des bombardements incessants, à la surveillance constante de drones et à des pertes humaines incommensurables. Presque chaque famille a perdu des proches. Le traumatisme collectif est immense, et un soutien psychologique devra être intégré à toute réponse humanitaire globale.

L’enjeu est donc d’organiser une montée en charge progressive et proportionnée aux besoins, tout en tenant compte des limites imposées par les destructions et l’insécurité. Si les 500 camions prévus par jour marquent un progrès, ils ne suffiront pas à rattraper quinze mois de pénurie, ni à répondre à la situation d’urgence dans laquelle Gaza se trouve aujourd’hui.

Quelles sont les perspectives à long terme pour la bande de Gaza sur le plan humanitaire ? Comment pourrait s’organiser la reconstruction de l’enclave ?

Encore une fois, il est important de rappeler que cette trêve n’est pas un accord de paix. Le Premier ministre israélien, Benyamin Netanyahou, a explicitement déclaré qu’il se réservait le droit de reprendre les bombardements à tout moment, dans une logique similaire à celle observée au Liban. Cela souligne l’instabilité de la situation et l’urgence d’agir sur plusieurs fronts.

Tout d’abord, il faudra répondre aux besoins humanitaires immédiats, un défi logistique colossal dans un territoire où les infrastructures essentielles ont été systématiquement détruites, où l’aide a été entravée, et où les conditions de vie sont devenues indignes. La reconstruction, quant à elle, ne pourra réellement commencer que dans le cadre d’un cessez-le-feu durable, permettant aux équipes humanitaires et aux organisations internationales de travailler dans un environnement sécurisé. Cela inclut, je le rappelle, des initiatives pour traiter les traumatismes psychologiques de la population, un volet indispensable après une période marquée par des violences d’une ampleur exceptionnelle. Nous sortons d’une période qualifiée de génocide par Amnesty International et Human Rights Watch, avec des meurtres massifs de civils, des destructions méthodiques et une répression généralisée. Travailler sur le deuil et la reconstruction mentale nécessitera de soutenir activement les juridictions internationales comme la Cour internationale de justice (CIJ) et la Cour pénale internationale (CPI), afin qu’elles puissent enquêter et juger les responsables des exactions commises, des deux côtés de la ligne de front. Cette quête de justice est fondamentale pour rétablir un semblant de dignité et de confiance dans l’ordre international.

Par ailleurs, il est crucial de consolider et de soutenir l’Office de secours et de travaux des Nations unies pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient (UNRWA), qui a été ciblé à la fois politiquement et militairement. Des centaines de ses membres ont été tués dans les bombardements, alors même que cette organisation joue un rôle indispensable pour venir en aide aux réfugiés palestiniens, non seulement à Gaza, mais aussi en Cisjordanie, au Liban et en Syrie. L’UNRWA doit être renforcé pour poursuivre son travail vital, notamment dans un contexte où les réfugiés palestiniens dépendent largement de ses services.

Soutenir l’UNRWA et promouvoir les mécanismes liés au respect du droit international humanitaire et à la justice internationale seront des étapes incontournables pour construire une réponse durable à cette crise. La justice, la reconstruction et le respect des droits fondamentaux doivent être au cœur de toute tentative de résolution du conflit.