Analyses / Océan
1 octobre 2025
Été 2025 : la gouvernance internationale de l’océan franchit un cap mais les lignes de fracture demeurent

L’été 2025 restera comme un moment charnière dans l’architecture de la gouvernance internationale de l’océan. Les six grands dossiers qui ont structuré l’agenda multilatéral cet été – la troisième Conférence des Nations unies sur l’océan (UNOC3), la ratification du traité sur la biodiversité en haute mer (dit traité BBNJ), les négociations à l’Autorité internationale des fonds marins (AIFM), l’accord de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) sur les subventions à la pêche, le futur traité mondial sur les plastiques et la décarbonation du transport maritime à l’Organisation maritime internationale (OMI) – ont chacun connu des développements notables. Si certains jalons historiques sont franchis, d’autres mettent en évidence l’ampleur des résistances et la persistance des rapports de force. Ensemble, ils dessinent les contours d’une gouvernance océanique en consolidation mais traversée de fractures politiques profondes.
UNOC3 : affirmation politique et convergence des agendas
La troisième Conférence des Nations unies sur l’Océan, qui s’est tenue à Nice en juin 2025, a vu l’adoption par consensus d’unedéclaration politique intitulée « Notre océan, notre avenir : unis pour une action urgente ». Ce texte, également appelé Plan d’action de Nice pour l’océan, réaffirme que ce dernier est essentiel à la vie sur Terre et souligne « l’urgence globale » à laquelle il fait face en raison notamment du dérèglement climatique, de l’érosion de la biodiversité et de la pollution. Entérinée le 30 juin dernier par l’Assemblée générale de l’ONU à l’issue d’un vote (162 voix pour, 1 voix contre (États-Unis), et pas d’abstention), elle s’impose comme une feuille de route commune.
L’UNOC3 a également joué un rôle d’orchestrateur et de catalyseur, en rapprochant des négociations sectorielles qui se tiennent habituellement dans des enceintes très cloisonnées. En réunissant un nombre inédit de chefs d’État et de gouvernement, la conférence de Nice a constitué un succès diplomatique en termes de participation et de visibilité politique, conférant une légitimité accrue aux débats. En créant cet espace de convergence, elle a, au moins temporairement, offert une cohérence à un paysage éclaté et fragmenté. Mais cette mise en visibilité accroît aussi les attentes puisque les États devront désormais démontrer que les engagements politiques affichés se traduisent par des avancées concrètes dans les forums spécialisés.
BBNJ : l’aboutissement d’un long cycle diplomatique
Adopté en 2023 à l’issue de près de vingt années de négociations, le traité sur la biodiversité au-delà des juridictions nationales (BBNJ) établit un cadre juridiquement contraignant pour la protection de la haute mer, en encadrant notamment la création d’aires marines protégées, la réalisation d’études d’impact environnemental et le partage des avantages issus des ressources génétiques marines. Atteindre les 60 ratifications nécessaires à son entrée en vigueur constituait l’un des objectifs majeurs de l’UNOC3. L’effort diplomatique déployé dans les mois précédents, et intensifié en marge de la conférence a porté ses fruits : le 19 septembre 2025, le soixantième instrument de ratification a été déposé auprès des Nations unies, ouvrant la voie à l’entrée en vigueur du traité le 17 janvier 2026. Cette étape illustre à la fois l’ampleur de la mobilisation diplomatique et la volonté politique de donner corps à un instrument longtemps attendu de gouvernance de la haute mer.
En parallèle, le Comité préparatoire (PrepCom) s’est déjà réuni à deux reprises, en avril puis en août, afin de jeter les bases de la première Conférence des Parties (COP1) prévue après l’entrée en vigueur du traité. Ces sessions ont permis d’avancer sur les éléments constitutifs de la nouvelle architecture institutionnelle : élaboration des règles de procédure, mise en place d’un comité scientifique et technique, esquisse des mécanismes financiers de soutien aux pays en développement, etc. Elles ont également entamé la réflexion sur les modalités concrètes de création d’aires marines protégées en haute mer et sur l’articulation avec les organisations et institutions déjà existantes, comme les organisations régionales de gestion des pêches (ORGP).
AIFM : entre blocage réglementaire et pressions industrielles
Pour sa part, la session estivale du Conseil de l’Autorité internationale des fonds marins (AIFM), en juillet 2025, s’est conclue sans adoption du règlement d’exploitation. Faute de code minier, aucune extraction commerciale ne peut légalement être engagée, confirmant un gel de facto des activités. Le processus de négociation se poursuit néanmoins, l’AIFM restant saisie de l’élaboration d’un cadre réglementaire destiné à encadrer d’éventuelles activités minières dans les grands fonds marins. Le principal tournant réside donc ailleurs : l’AIFM a décidé d’ouvrir une enquête officielle sur les démarches de la société The Metals Company (TMC), qui a cherché à contourner l’architecture multilatérale en sollicitant des autorisations de minage en eaux profondes via le droit américain. En se saisissant de ce dossier, l’Autorité affirme son rôle non plus comme simple gestionnaire technique, mais comme gardien institutionnel du régime du droit de la mer, soucieux de défendre son intégrité face aux pressions industrielles.
Sur le plan politique, 38 États se sont désormais prononcés en faveur d’une pause, d’un moratoire ou d’une interdiction de l’exploitation minière des grands fonds, donnant une visibilité croissante à cette position. Ce mouvement bénéficie aussi du relais d’acteurs économiques majeurs : 40 institutions financières, représentant plus de 3,8 milliards d’euros d’actifs, ont appelé, le 15 juillet dernier, les gouvernements à ne pas autoriser l’exploitation tant que persistent les incertitudes scientifiques et réglementaires. À ce jour, 69 entreprises ont signé une déclaration commune appelant à un moratoire sur l’exploitation minière des fonds marins. En articulant soutiens politiques et relais financiers, cette mobilisation place le principe de précaution au cœur du débat international et devient difficile à ignorer dans les négociations à venir.
OMC : un jalon normatif inédit pour l’environnement
Autre accord international désormais appelé à entrer en vigueur, celui de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) sur les subventions à la pêche a franchi le 15 septembre 2025 le seuil des deux tiers de ratifications requis. Il s’agit d’un jalon inédit car, pour la première fois, l’OMC adopte un accord multilatéral à portée environnementale explicite, visant à réduire les soutiens publics les plus dommageables pour la durabilité des ressources halieutiques. Le texte interdit notamment les subventions accordées à la pêche illégale, non déclarée et non réglementée (INN), celles octroyées aux flottes opérant sur des stocks surexploités sans mesures correctives, ainsi que celles finançant des activités en haute mer hors du champ des organisations régionales de gestion des pêches. Au-delà de son impact concret sur la pêche industrielle, l’accord constitue un précédent normatif en ce qu’il démontre que l’OMC peut intégrer des objectifs de durabilité, ouvrant la voie à une articulation entre commerce et protection de l’environnement. La suite dépendra de deux facteurs : la capacité des pays à s’y conformer et la conclusion d’un accord Fish2 sur la surcapacité. Si ce second volet aboutit, on tiendra peut-être l’un des outils les plus puissants contre la surexploitation halieutique.
Traité plastique : un blocage révélateur
La deuxième partie de la cinquième session du Comité intergouvernemental de négociation (INC-5.2), qui s’est tenue à Genève en août 2025, s’est conclue sans accord global sur un futur traité visant à mettre fin à la pollution plastique. Les discussions ont achoppé sur la question la plus politique : faut-il que le futur traité s’attaque à l’ensemble du cycle de vie des plastiques, en incluant la production en amont, ou qu’il se concentre uniquement sur la gestion en aval, à travers la collecte, le recyclage et le traitement des déchets ? La High Ambition Coalition, emmenée notamment par l’Union européenne et rassemblant plus de 70 États, dont plusieurs pays d’Amérique latine et du Pacifique, défend une approche contraignante « du berceau à la tombe », qui inclut la réduction de la production[1]. En face, les grands producteurs de plastique et refusent toute limite en amont, privilégiant une régulation des déchets et un recyclage amélioré.
Cette impasse met en lumière les fractures structurelles de la gouvernance environnementale mondiale : d’un côté, les pays producteurs de plastique et d’hydrocarbures, de l’autre, ceux qui en subissent les impacts les plus lourds ; s’y ajoutent des tensions Nord-Sud persistantes autour des responsabilités différenciées, ainsi que l’influence décisive des intérêts industriels. Elle a contraint les négociateurs à repousser l’adoption d’un texte final et à envisager la tenue d’une session supplémentaire en 2026 (INC-6), alors même que l’Assemblée générale de l’ONU avait fixé pour horizon initial la conclusion d’un accord en 2024.
OMI : l’ambition climatique mise à l’épreuve
L’Organisation maritime internationale (OMI), enfin, se trouve à un moment décisif dans sa trajectoire de décarbonation. Après l’adoption en 2023 d’une stratégie révisée fixant pour cap la neutralité carbone « autour de 2050 », les discussions se sont poursuivies en 2025 sur les mesures opérationnelles destinées à concrétiser cet objectif. Un temps porté par un climat d’optimisme, ces négociations ont cependant buté au printemps 2025 sur le retrait des États-Unis, qui ont rejeté tout système contraignant de taxation ou de régulation globale[2];[3]. Cette position a fragilisé l’équilibre des pourparlers et renforcé le camp des pays réticents. La prochaine échéance, fixée à octobre 2025, sera déterminante : l’OMI doit se prononcer à la majorité des deux tiers sur l’adoption de mesures contraignantes. Deux scénarios se dessinent : soit l’OMI adopte un cadre global garantissant une visibilité commune au secteur, soit l’échec des négociations entraîne une fragmentation normative, avec la multiplication d’initiatives régionales – à l’image de l’intégration du transport maritime dans le système européen d’échange de quotas d’émission (ETS) ou de normes spécifiques sur les carburants. L’avenir de la régulation du transport maritime dépendra ainsi de la capacité de l’OMI à conjuguer ambition climatique et normes partagées : faute d’un consensus global, le secteur risque de se fragmenter en une mosaïque de standards concurrents.
Conclusion
L’année 2025 marque ainsi une étape contrastée dans la gouvernance internationale de l’océan. D’un côté, la consolidation juridique progresse avec l’entrée en vigueur prochaine du traité BBNJ et de l’accord de l’OMC sur les subventions à la pêche. Ces avancées témoignent d’un droit de la mer qui s’épaissit et gagne en cohérence et renforcent la dimension normative du multilatéralisme océanique, en dotant la communauté internationale d’outils concrets pour mieux réguler l’exploitation et la protection des ressources marines. De l’autre, la polarisation politique s’affirme, révélant les fragilités du système. Les négociations sur la décarbonation du transport maritime à l’OMI comme celles sur le futur traité plastique butent sur des blocages majeurs, accentués par la posture d’obstruction assumée des États-Unis. Elles illustrent la persistance d’un clivage structurant dans la gouvernance maritime internationale : d’un côté, la nécessité d’ambitions environnementales renforcées et de l’autre, le poids des intérêts économiques dominants.
Reste à savoir si les échéances à venir orienteront ces tensions vers une consolidation du cadre global, ou si elles prolongeront une dynamique de fragmentation, chaque forum demeurant le reflet de ses rapports de force.
[1] Charles Pekow, « As plastics treaty talks break down, are there paths to a breakthrough? », Mongabay, 29 août 2025. Voir également : Commission européenne, « EU Seeks Ambitious Global Agreement to Tackle Plastic Pollution », Direction-Générale de l’Environnement, 5 août 2025.
[2] Jonathan Saul, Michelle Nichols et Kate Abnett, « US exits carbon talks on shipping, urges others to follow », Reuters, 9 avril 2025. Voir aussi : Lisa Baertlein et Valerie Volcovici, « US to retaliate against IMO members that back net zero emissions plan », Reuters, 12 août 2025.
[3] Département d’État des États-Unis, « Joint Statement on Protecting American Consumers and Shipping Industries by Defeating the International Maritime Organization’s ‘Net-Zero Framework’ aka Global Carbon Tax », communiqué, 12 août 2025.