Engagements climatiques européens : un changement de cap ?

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  • Mathilde Jourde

    Mathilde Jourde

    Chercheuse à l’IRIS, responsable du Programme Climat, environnement, sécurité

Depuis quelques mois, on constate une tendance globale à la baisse des engagements climatiques, surtout aux États-Unis. Cette tendance se manifeste-t-elle aussi dans l’Union européenne ?

Depuis l’arrivée au pouvoir de Donald Trump en janvier 2025, les critiques se concentrent principalement sur les États-Unis, où l’administration a adopté près d’une centaine de mesures visant à démanteler la politique environnementale et climatique du pays. Un processus comparable est néanmoins à l’œuvre en Europe. Loin d’un climatoscepticisme affiché à la manière de Donald Trump, ce recul écologique européen se manifeste de manière plus subtile. Il n’en demeure pas moins préoccupant, car il entraîne un démantèlement progressif des régulations climatiques et, plus largement, de la politique environnementale européenne, pourtant initialement ambitieuse.

L’Union européenne (UE) s’est historiquement positionnée comme un acteur de premier plan en matière de lutte contre le changement climatique. Signataire dès 1992 de la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques (CNUCC), partie prenante au Protocole de Kyoto en 1997, elle s’est engagée dans l’Accord de Paris dès 2015. Dans le prolongement de cet engagement, la Commission a lancé en 2019 le Pacte vert pour l’Europe, une stratégie visant à atteindre la neutralité carbone d’ici 2050. Depuis son adoption, ce Pacte vert s’est traduit par une série de directives et de règlements destinés à garantir sa mise en œuvre concrète auprès des États membres et des entreprises.

Ce Pacte vert est aujourd’hui l’objet d’un démantèlement progressif, au nom d’une « simplification », priorité affichée d’Ursula van der Leyen pour son second mandat (2024-2029). Dans le même esprit, le rapport Draghi de septembre 2024 préconisait lui aussi de « simplifier » le cadre réglementaire européen, ciblant notamment les régulations en matière de durabilité, jugées trop contraignantes pour les entreprises. La déclaration de Budapest de novembre 2024 sur le nouveau pacte pour la compétitivité européenne a notamment fixé l’objectif de réduction d’au moins 25 % des obligations de reporting aux entreprises.

Ainsi, en février 2025, la Commission européenne a adopté le paquet Omnibus I, une initiative législative regroupant plusieurs modifications de textes sous une même proposition, qui vise spécifiquement les régulations en matière de durabilité. Ce paquet cible notamment trois mesures emblématiques du Pacte vert : la Corporate Sustainability Reporting Directive (CSRD), directive sur la publication d’informations extra-financières, la Corporate Sustainability Due Dilligence Directive (CSDDD), directive sur le devoir de vigilance sur les chaînes de valeur, et la taxonomie, qui oriente les investissements des activités qualifiées de durables. Ainsi, la CSRD, qui devait initialement s’appliquer à environ 50 000 entreprises, ne concernera désormais plus que 10 000 d’entre elles. Le devoir de vigilance imposé par la CSDDD reste en vigueur, mais se limite désormais aux fournisseurs directs, alors qu’il couvrait auparavant l’ensemble de la chaîne de valeur. Enfin, les exigences de reporting de la taxonomie sont allégées, réduisant d’environ 70 % les données à fournir.

Quelles sont les raisons de ce changement de cap européen ?

Le soutien politique à cette loi Omnibus, qui illustre une tendance générale également observée aux États-Unis, résulte principalement de pressions internes. En effet, si Donald Trump et Elon Musk ont à plusieurs reprises vivement critiqué les réglementations européennes, les qualifiant de « très injustes envers les États-Unis, et très mauvaises », cette dérégulation est principalement le produit d’une campagne de lobbying menée depuis plusieurs années par les grands acteurs économiques européens.

Des organisations patronales européennes, comme le Mouvement des entreprises de France (Medef), la Bundesverband der Deutschen Industrie  (Fédération des industries allemandes ou BDI), la Confindustria (Italie) ou Business Europe (Union européenne), ont activement milité pour cette dérégulation. Selon une étude de Reclaim Finance, 70 % des demandes incluses dans la lettre signée par le Medef, le BDI et la Confindustria ont été reprises dans la proposition législative présentée par la Commission européenne. Les entreprises ont également exercé une pression directe, comme l’ACEA (Association des constructeurs européens d’automobiles) qui a plaidé en faveur de l’assouplissement de certaines mesures, notamment l’interdiction de la vente de véhicules thermiques d’ici 2035.

Ces stratégies d’influence se déploient d’ailleurs également à l’échelle nationale, comme en témoigne la demande d’Emmanuel Macron en 2023 pour une « pause réglementaire » européenne. En mai 2025, cette dynamique de dérégulation a également mené à une série de reculs environnementaux en France, comme le contournement du débat parlementaire sur la loi Duplomb – qui acte le retour de certains pesticides, facilite le déploiement des mégabassines ou autorise l’agrandissement d’élevages industriels sans étude d’impact environnemental – la relance des travaux de l’autoroute A69, ou la suppression de Zones à faibles émissions (ZFE). Ces dérégulations illustrent ainsi le succès des stratégies d’influences du secteur privé.  

Quels arguments sont avancés ? Cette rhétorique est-elle fondée ?

La rhétorique qui justifie cette dérégulation met avant la nécessité de « simplifier » les normes, pour réduire la « paperasserie » administrative et alléger les contraintes pesant sur les entreprises, au nom de la « compétitivité ». La concurrence internationale et le contexte géopolitique sont régulièrement invoqués pour justifier cette simplification.

Cependant, cette rhétorique, qui oppose pragmatisme, compétitivité, souveraineté et rentabilité à la durabilité et aux droits humains, repose sur une vision biaisée. Plusieurs arguments viennent la contester. À court terme, ces régulations représentent un levier de différenciation vis-à-vis des États-Unis et renforcent la crédibilité de l’Union européenne dans le cadre de sa diplomatie climatique. Ces normes permettent également de protéger les entreprises européennes face à la concurrence internationale, notamment américaine et chinoise, dont les entreprises ne sont pas soumises aux mêmes exigences, comme le démontre le mécanisme d’ajustement carbone aux frontières (CBAM). À moyen terme, la CSRD, avec son principe de double matérialité, est également un moyen pour les entreprises de mieux anticiper les risques à venir en réduisant leur vulnérabilité face aux risques climatiques. Enfin, à plus long terme, l’abandon de ces régulations est également un choix discutable. En effet, la Chine s’inspire notamment de la directive européenne CSRD pour élaborer son propre cadre de reporting extra-financier. Dès lors, un retrait de l’Union européenne de ces normes pourrait, à moyen ou long terme, entraîner des restrictions d’accès au marché chinois, compromettant ainsi la position commerciale de l’UE.

De surcroît, la rhétorique de la simplification est également fallacieuse. Si la dynamique actuelle se limitait réellement à une simplification des procédures administratives, elle ne susciterait sans doute pas autant de critiques. Le principe de simplification est d’ailleurs reconnu comme bénéfique par l’ensemble des parties prenantes, dans la mesure où il vise à améliorer la lisibilité des normes, faciliter la collecte de données et renforcer l’efficacité des dispositifs existants. C’est dans cet esprit que le Mouvement Impact France, représentant des entrepreneurs engagés en faveur de la transition sociale et écologique, plaidait pour une « simplification équilibrée ». Toutefois, dans le contexte actuel, le terme « simplification » implique plutôt un processus de dérégulation, qui vide de leur substance les instruments clés du Pacte vert européen, comme en témoignent les propos d’Emmanuel Macron lors du sommet Choose France, le 20 mai 2025, affirmant que « la CS3D et quelques autres régulations ne doivent pas être simplement repoussées d’un an, mais écartées ».

Cette rhétorique apparaît d’autant plus paradoxale que de nombreuses entreprises se montrent favorables et reconnaissent l’intérêt économique et social de ces régulations. Une enquête paneuropéenne menée par le collectif #WeAreEurope, en partenariat avec HEC Paris, révèle ainsi le large soutien des entreprises à la directive CSRD, et de fortes préoccupations quant à l’orientation prise par les efforts de simplification de la Commission. À l’inverse, les entreprises ont avant tout besoin de stabilité et de prévisibilité réglementaire, plutôt que de réorientations fréquentes, comme le soulignait une tribune publiée en février 2025 et signée par 240 chercheurs et économistes.

Ce retournement illustre un revirement idéologique majeur de la part de l’Union européenne, qui, depuis les années 1990, s’était imposée comme un acteur pionnier en matière de politique environnementale. Alors que ce positionnement aurait pu se renforcer avec l’arrivée de Donald Trump en 2017, puis en 2025, la tendance actuelle s’inscrit dans une dynamique contraire, alors que de nouvelles vagues de simplification sont prévues en 2025.