Reconnaissance de l’État de Palestine : quelles perspectives au sein d’un système multilatéral en crise ?

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  • Anne-Cécile Robert

    Anne-Cécile Robert

    Directrice adjointe du Monde diplomatique, spécialiste des institutions européennes et des organisations internationales

Du 22 au 29 septembre 2025 se tient la 80e session de l’Assemblée générale des Nations unies, placée sous le thème « Mieux ensemble : 80 ans et plus pour la paix, le développement et les droits humains ». À la suite de la France, qui l’a annoncé fin juillet, plusieurs pays occidentaux ont officiellement reconnu l’État de Palestine le 22 septembre. Quelle sera la portée réelle de cette décision au sein du système international ? Alors que le multilatéralisme est mis à mal par le désengagement croissant des États-Unis, dans quel contexte international s’inscrit cette décision ? Le point avec Anne-Cécile Robert, journaliste, spécialiste des institutions européennes et des organisations internationales, directrice adjointe du Monde diplomatique, autrice de « Le défi de la paix. Remodeler les organisations internationales » (Armand Colin, 2024).

Plusieurs initiatives de reconnaissance d’un État palestinien ont été annoncées dans le cadre de l’Assemblée générale des Nations unies du 22 septembre 2025. Alors que la demande du statut de membre de l’ONU reste bloquée par le veto persistant des États-Unis, quelle est la valeur réelle d’une telle reconnaissance de la souveraineté palestinienne par des États ?

Il y a deux éléments distincts à noter :  la reconnaissance d’un État par les autres États d’une part et l’admission d’un État à l’ONU d’autre part. L’État de Palestine est déjà reconnu par plus de 140 pays dans le monde, et cette reconnaissance n’a rien à voir avec l’admission de la Palestine à l’ONU qui dépend, elle, d’une recommandation par le Conseil de sécurité de l’ONU et qui est donc soumise au véto des États-Unis. À l’ONU, la Palestine dispose d’un statut particulier : celui d’État non membre observateur. Pour contourner le véto américain, l’Assemblée générale de l’ONU a imaginé ce statut original. Différent du statut d’État membre à part entière, il reste cependant très élevé dans l’ordre protocolaire et permet surtout à la Palestine de s’exprimer dans les enceintes de l’ONU, de participer aux débats ou de soumettre à la discussion des textes.

La reconnaissance de l’État de Palestine par la France s’inscrit dans la première hypothèse évoquée plus haut, celle de la reconnaissance unilatérale d’un État par un autre État, qui n’a ainsi pas du tout à voir avec l’admission de celui-ci à l’ONU. Il s’agit d’une avancée significative pour l’État de Palestine puisque la France est membre permanent du Conseil de sécurité de l’ONU et qu’elle est le premier pays du G7 à reconnaître l’État de Palestine.

Cette initiative ouvre une brèche bienvenue dans l’unité des pays occidentaux membres permanents du Conseil de sécurité (États-Unis, Royaume-Uni et France) et contribuera à renforcer le statut international de la Palestine. Fondamentalement, c’est une reconnaissance du droit à l’existence du peuple palestinien. Elle permettra de relancer les négociations sur la solution à deux États et la reconnaissance du peuple palestinien dans son existence juridique. Avec la reconnaissance de la France et les pays occidentaux qui la suivent, plus de 150 États reconnaîtront l’État de Palestine, ce qui signifie que dans le cadre des négociations avec Israël, le poids de la Palestine sera beaucoup plus important sur la scène internationale.

Évidemment, la portée de cette dynamique sur le terrain dépendra des mesures concrètes adoptées ensuite pour rétablir la plénitude du droit international à Gaza et dans tout le territoire palestinien occupé.

Malgré ses succès, le système multilatéral est aujourd’hui remis en question. Quel regard peut-on porter sur le mandat de l’Organisation des Nations unies et le poids de celle-ci sur la scène internationale ? Quels sont les défis auxquels celle-ci est confrontée ?

L’ONU n’est pas un gouvernement mondial. Il s’agit d’une organisation intergouvernementale, c’est-à-dire qui repose sur les États et leurs gouvernements. Ainsi, il n’existe pas d’autorité supérieure aux États qui pourrait leur imposer quoi que ce soit. Il est important de le préciser parce que, quand on évoque les échecs de l’ONU, il s’agit en réalité avant tout des échecs des États eux-mêmes. Si les États ne veulent pas jouer le jeu, s’ils ne veulent pas coopérer, la machine multilatérale se grippe. On se retrouve exactement dans cette situation aujourd’hui : un certain nombre d’États – notamment parmi les plus puissants, les États-Unis, la Russie, et d’autres États intermédiaires comme Israël – sont embarqués dans des politiques de force qui remettent en cause la logique profonde de l’ONU.

Le rôle de l’organisation est d’inciter les États, restant souverains, à coopérer les uns avec les autres pour construire ensemble des règles normatives, des traités, favoriser des négociations, mettre en place des programmes internationaux, etc. Durant 80 ans, malgré des échecs spectaculaires comme en Ukraine et à Gaza, la coopération internationale a fonctionné et continue de fonctionner. Par exemple, le Programme alimentaire mondial en ce moment même arrive à faire rentrer de l’aide à Gaza et en Ukraine. De la même manière, l’Organisation mondiale de la santé a récemment éradiqué la polio. On peut aussi citer les Casques bleus qui assurent, par exemple, la protection de civils entre les deux Soudan.

Pour autant, s’il continue de fonctionner, le système multilatéral est limité et patine. Sa survie est mise en danger par certains États puissants, tels que les États-Unis, qui ont tout fait pour créer l’ONU en 1945 et qui s’en éloignent aujourd’hui. Washington contribue financièrement à certains programmes à hauteur de 25 % : or, le président Donald Trump a commencé à retirer un certain nombre de fonds. Cela contraint l’ONU à faire des économies et par extension à supprimer des postes ou éventuellement réduire des programmes, notamment en matière de santé, d’éducation ou encore d’aide alimentaire. Ainsi, l’un des défis immédiats de l’ONU est de trouver de l’argent si les États-Unis maintiennent leur retrait. Par exemple, il est nécessaire que l’Union européenne et les États les plus adeptes du multilatéralisme, y compris ceux qui prétendent en être partisans et qui ne le sont pas forcément comme la Chine, traduisent leurs propos en actes et comblent le déficit laissé par les États-Unis. Une autre alternative pourrait être de réformer le système de financement international en introduisant, par exemple, une taxe sur les transactions financières ou les économies polluantes. L’autre défi majeur est de raviver l’esprit de la coopération internationale.

On se situe aujourd’hui à un niveau de tension extrêmement élevé. Non seulement les États ne parviennent pas à se mettre d’accord sur un certain nombre de crises, mais ils n’arrivent même plus à discuter. Par conséquent, il est nécessaire de raviver cet esprit des Nations unies qui, depuis 1945, pousse les États à discuter et les incite à voir qu’il est dans leur intérêt bien compris de coopérer et de négocier. L’histoire montre que rien de durable ne se fonde sur la force : c’est une illusion. Raviver l’esprit multilatéral nécessite un effort politique et diplomatique important qui doit être mené avec beaucoup de détermination.

Dans un monde actuellement fragmenté, comment contourner les aspirations de puissance qui entravent le multilatéralisme pour aboutir à un système viable ?

Un système multilatéral viable passe avant tout par une meilleure représentativité dans les instances internationales. Ce problème se pose notamment au Conseil de sécurité de l’ONU, composé de membres non permanents et de membres permanents. Depuis 1945, les puissances vainqueures de la Seconde Guerre mondiale qui constituent les cinq membres permanents n’ont pas changé : les États-Unis, la Russie, la Chine, le Royaume-Uni et la France. Il n’est pas normal qu’un continent comme le continent africain ne soit pas représenté parmi les membres permanents ou que de grands pays intermédiaires comme le Brésil ou l’Inde n’y occupent pas un siège.

Des propositions de réformes en ce sens sont actuellement en discussion. Au sein de l’ONU, le Brésil, l’Inde ou l’Afrique du Sud – très attachés au système multilatéral – sont en ce moment des pays moteurs, qui mettent des traités sur la table des négociations et qui proposent des réformes du système onusien. Il faut donc observer très concrètement ce jeu des États et encourager la coopération sur tous les enjeux majeurs tels que le climat, la santé, les océans, l’intelligence artificielle et le développement.

Plusieurs résolutions et traités ont été adoptés aux Nations unies ces derniers mois sur ces grands sujets. Ce n’est donc pas impossible. Somme toute, l’un des grands défis à relever pour que l’ONU soit plus apte à répondre aux défis de notre époque, c’est qu’elle soit plus représentative de la réalité géographique, politique et culturelle du monde.