Cette attaque peut-elle déboucher sur un embrasement régional durable ?
C’est un scénario qui ne peut pas être exclu, même s’il n’est pas le seul. Il existe aussi un risque très réel d’un conflit prolongé, sans pour autant qu’il embrase toute la région. Ce conflit peut s’inscrire dans la durée sans s’étendre au-delà de certaines zones. Certains avancent qu’il pourrait même favoriser l’instauration de la démocratie ou de la prospérité dans la région, mais ils sont peu nombreux à y croire sérieusement. Ce qui est certain, c’est que l’on est plus dans une logique de dissuasion ou de confrontation maîtrisée. Les Iraniens refusent de céder, motivés à la fois par la survie de leur régime et par leur volonté de maintenir un certain statut stratégique. De leur côté, les Israéliens estiment être en position de force et semblent vouloir poursuivre jusqu’à un renversement du régime iranien. Or, les régimes ne tombent pas sous les seules frappes aériennes : il faut des opérations terrestres. Et ni Israël ni les États-Unis n’enverront de troupes au sol en Iran, un pays de 90 millions d’habitants, où il n’existe aucune opposition armée organisée comme ce fut le cas en Libye en 2011.
Cette opération pourrait-elle précipiter la chute du régime des mollahs ?
Elle pourrait provoquer des destructions massives, c’est certain. Mais la chute du régime est loin d’être garantie. L’Iran peut être durement frappé sans pour autant s’effondrer. On l’a vu avec le régime syrien : Bachar el-Assad est resté au pouvoir malgré quatorze années de guerre et un pays en ruines. De la même façon, les mollahs pourraient conserver un contrôle très strict sur la population, même dans un pays détruit. Et même si 80 % des Iraniens rejettent le régime, cela ne signifie pas qu’ils soutiennent des bombardements étrangers. Une minorité pourrait les accepter comme un mal nécessaire pour provoquer un changement. Mais pour beaucoup, ce sont eux les premières victimes, et ils en paient le prix.
Doit-on redouter d’autres frappes sur des infrastructures, y compris civiles ?
Cela dépendra de la stratégie américaine. Il se peut que Trump estime avoir gagné et souhaite clore cet épisode. Son entourage, notamment son vice-président J.D. Vance, issu de la mouvance MAGA [Make America Great Again, NDLR], est plutôt opposé aux engagements militaires. À l’origine, Trump avait été élu avec la promesse de sortir des guerres. Alors pourquoi cette intervention ? Peut-être ne voulait-il pas laisser Netanyahou récolter seul les fruits de cette escalade, ou peut-être souhaite-t-il pouvoir affirmer qu’il a mis fin au programme nucléaire iranien. Il pourrait ainsi tenter de pousser Netanyahou à stopper les frappes israéliennes dans la foulée.
Peut-on parler d’un tournant dans la posture américaine au Moyen-Orient ?
Les États-Unis parlent de désengagement depuis des années, mais ils ne se sont jamais réellement retirés : ils restent très présents sur le plan militaire, économique et stratégique. Ce qui change aujourd’hui, c’est le feu vert implicite donné à Israël. Jusqu’ici, tous les présidents américains, y compris Joe Biden, avaient empêché Israël de frapper les installations nucléaires iraniennes. Même George W. Bush avait refusé en 2005. Cette fois, c’est différent : Israël a frappé, et ce sont les États-Unis qui ont suivi.
Peut-on parler d’un nouveau cycle de guerre au Moyen-Orient, comparable aux guerres du Golfe de 1991 et 2003 ?
Non, car il n’y aura pas de troupes au sol. Trump a certes trahi sa promesse de ne pas engager son pays dans une guerre en bombardant l’Iran, mais il n’ira pas plus loin. Ce serait une ligne rouge que le système américain ne laisserait pas franchir.
Téhéran promet des « conséquences éternelles ». De quoi peut-il s’agir ?
Les capacités militaires iraniennes sont réduites. Le pays a utilisé une grande partie de ses missiles et beaucoup ont été détruits par Israël. Il lui reste l’option d’attentats ou d’attaques via des milices alliées, notamment en Irak, contre des bases américaines. L’Iran peut aussi lancer une campagne mondiale de dénonciation des États-Unis, les accusant de brutalité et de violation du droit international, en se positionnant comme victime de l’hégémonie américaine au service d’Israël.
L’Iran peut-il encore compter sur des alliés dans la région ?
Son réseau est très affaibli. Le régime de Bachar al-Assad est tombé, le Hezbollah est affaibli, et il n’a pas digéré le manque de soutien iranien lors des frappes massives sur ses installations. Le Hamas, lui aussi, est très affaibli. L’Iran est donc isolé. Cela dit, la Russie ne souhaite pas la chute du régime. Elle ne s’engagera sans doute pas militairement, mais elle pourrait l’aider indirectement. Quant au Pakistan, son aide est incertaine. La Chine, de son côté, reste très prudente et évite toute implication militaire.
La Russie pourrait-elle soutenir plus ouvertement l’Iran ?
Ce serait peu probable. Moscou a besoin de Téhéran, mais aussi des relations avec Washington. Idéalement, les Russes ne souhaitent pas que les frappes qui ont affaibli l’Iran fassent tomber le régime. Cela leur permettrait de conserver un allié régional et de profiter d’une hausse des prix du pétrole, bénéfique pour leur économie.
Cette crise peut-elle faire flamber le prix du pétrole ?
Oui, surtout si le détroit d’Ormuz venait à être bloqué. Les prix ont déjà augmenté, et toute aggravation ferait grimper durablement le tarif à la pompe. Les marchés réagissent toujours très vite aux tensions géopolitiques.
Assiste-t-on à un retour de la politique de la force au détriment de la négociation multilatérale ?
On ne peut pas vraiment parler de « diplomatie de la force », c’est un oxymore. On assiste bel et bien à une régression, où la force prime sur le dialogue et la coopération multilatérale.
Des négociations avec l’Iran sont-elles encore possibles ?
Non, pas dans ce contexte. L’Iran a déclaré que Trump avait « tué la diplomatie ». Ce régime refuse de négocier en position de faiblesse. Il l’a toujours dit : pas de discussions tant que les frappes se poursuivent. Un retour à la table des négociations serait perçu comme une reddition.
Quel rôle l’Europe peut-elle jouer dans cette crise ?
L’Europe est spectatrice. Elle a tenté de sauver l’accord nucléaire après le retrait américain, mais sans succès. Elle n’a pas su peser face à Trump et n’a aucune influence sur Netanyahou. Elle ne s’en donne pas les moyens et semble tétanisée par le retour de Trump.
Peut-on espérer une issue à court ou moyen terme ?
Il est difficile de l’imaginer pour l’instant. C’est une perspective très inquiétante. On sait toujours comment commencent les guerres mais jamais comment elles se terminent, ni les circonstances prévues par ceux qui les ont lancées.