Analyses / Moyen-Orient / Afrique du Nord
7 octobre 2025
Palestine, deux ans après : quelques éléments de bilan

Deux ans qu’un cataclysme s’abat sur Gaza et, dans une moindre mesure, sur la Cisjordanie. Heure après heure, jour après jour, semaine après semaine, les bombardements se poursuivent, la famine s’accroit, le nombre de morts et de blessés, dont une énorme majorité de civils, ne cesse d’augmenter. Au-delà d’une légitime émotion devant une telle dégradation de la situation, il convient de tenter de dresser brièvement quelques enseignements de ces deux années désastreuses tant elles sont un révélateur des évolutions régressives du monde.
Il est tout d’abord utile de rappeler les réactions unanimes de « soutien inconditionnel » à Israël exprimé par les États occidentaux après le massacre du 7 octobre 2023. Il est compréhensible de marquer sa solidarité avec les victimes, les otages et leurs familles, il l’est beaucoup moins de manifester l’inconditionnalité du soutien à un régime dont le centre de gravité se situe clairement autour de l’extrême droite suprémaciste juive. C’est pourquoi, nombreux parmi ceux qui avaient manifesté leur solidarité initiale ont depuis lors évolué et n’hésitent désormais plus à afficher une posture critique à l’égard de la politique génocidaire du gouvernement israélien. Le conflit israélo-palestinien a une histoire : tout ne commence pas le 7 octobre et les actes terroristes commis par le Hamas sont « sans excuses mais pas sans cause » comme l’a déclaré Monseigneur Vesco, évêque d’Alger[1].
La politique assumée par les puissances occidentales tranche avec celle énoncée, vocalement, par les États du Sud qui, dans leur diversité, manifestent leur solidarité avec le peuple palestinien et leur attachement au droit international. Ainsi, c’est l’Afrique du Sud qui prend l’initiative de saisir la Cour internationale de justice, qui rend dès janvier 2024 une ordonnance par laquelle elle reconnait le risque génocidaire à l’encontre de la population de Gaza et prononce six mesures conservatoires pour y parer. Israël n’en a aucunement tenu compte. Pour les États du Sud, le deux-poids deux-mesures qui s’affiche si l’on compare la politique des puissances occidentales à l’égard de la Russie ou à l’égard d’Israël est difficilement acceptable. C’est pourquoi la question de la Palestine dépasse largement le cas de le Palestine et constitue un révélateur de la modification des rapports de force politiques et géopolitiques. Les peuples du Sud n’acceptent désormais plus d’être dépendants des décisions politiques des puissances occidentales. Il y a parmi eux une empathie manifeste à l’égard de leurs homologues palestiniens et, pour eux, la question palestinienne incarne le dernier combat anticolonial.
Il nous faut ensuite examiner la modification des rapports de force régionaux. L’hubris des dirigeants israéliens est nourrie par la multiplication d’opérations militaires régionales couronnées de victoires. Benyamin Netanyahou – prétendant incarner le « peuple de l’éternité » – se félicitait au mois d’octobre 2024 de combattre sur sept fronts de guerre simultanés : Gaza, Cisjordanie, Liban, Iran, groupes armés chiites en Irak et en Syrie, ainsi que le Yémen. Il est désormais nécessaire d’ajouter le Qatar victime d’un bombardement israélien au mois de septembre 2025. On ne peut alors qu’être interpellé par la manière méthodique dont Israël a organisé l’affaiblissement ou la neutralisation de ses adversaires.
Le bilan de l’ensemble des opérations israéliennes révèle l’usure de l’« axe de la résistance », patiemment mis en place depuis plusieurs décennies par l’Iran ainsi que l’asymétrie militaire existant en faveur de la supériorité patente de l’État hébreu. Cette nouvelle équation stratégique régionale pourrait néanmoins se révéler illusoire si des solutions politiques ne sont pas mises en œuvre dans les meilleurs délais sur les différents dossiers concernés.
Même si une mention particulière doit être reconnue au Qatar et à l’Égypte, qui tentent dans des conditions contraintes d’exercer un rôle de médiateur efficient, force est de constater que les États arabes non-victimes des agressions israéliennes n’ont pas montré une véritable volonté d’initiatives en soutien aux palestiniens. Les signataires des Accords d’Abraham n’ont par exemple pas jugé utile de dénoncer ces agressions, se refusant à quelconque forme de pression que ce soit sur Israël. Les régimes sont toutefois sous la pression de leurs opinions publiques respectives qui n’acceptent pas de passer la cause palestinienne par pertes et profits.
Une victime collatérale du conflit est le droit international. Celui-ci a certes toujours été appliqué de façon sélective et en fonction des rapports de force politiques et géopolitiques, il ne faut donc pas le mythifier. Néanmoins, il a pu constituer un bouclier et un recours pour les peuples dominés ou agressés. Nous ne sommes plus dans cette configuration. Alors que se déchaîne une violence extrême dans les territoires palestiniens, une grande partie des dirigeants de ladite communauté internationale détournent pudiquement le regard et se font objectivement les complices de l’indicible. Le sentiment d’impunité des dirigeants israéliens s’explique par cette raison, et tant que des sanctions ne leur seront pas imposées, on peut prédire sans risque de se tromper que la politique d’Israël va se poursuivre, avec comme ligne d’horizon pour les autorités israéliennes la volonté affichée d’annexer les territoires palestiniens.
Cette éventualité a néanmoins peu de probabilité de se réaliser dans le court terme, tant elle risquerait de susciter, enfin, des réactions des dirigeants arabes, notamment du Golfe, antinomiques avec les intérêts de Donald Trump. Cette divergence est d’ailleurs la principale qui existe entre Washington et Tel-Aviv, tant le soutien des États-Unis n’a jamais manqué une seule journée à Israël. Mais les intérêts de Donald Trump et de son entourage dans le Golfe sont tels qu’ils ne peuvent risquer un bras de fer avec les monarchies arabes. De même, le bombardement du Qatar par la chasse israélienne n’a visiblement pas été apprécié à Washington.
Les lignes de fracture que l’on discerne dans la société états-unienne se manifestent aussi dans les opinions publiques internationales au sein desquelles les condamnations à l’égard de la politique israélienne sont, enfin, plus audibles. Manifestement, la situation de famine dans laquelle est plongée une partie des Gazaouis et les images de corps décharnés ont constitué un facteur plus déterminant que les bombardements et leurs terribles effets.
Ces évolutions des opinions publiques ont permis la concrétisation de quelques décisions politiques non négligeables. La décision de reconnaitre l’État de Palestine par la France et neuf autres pays devant l’ONU est ainsi symbolique, mais importante. Mieux vaut tard que jamais, et la décision doit être saluée après les années d’atermoiements de plusieurs chefs d’État français successifs. Néanmoins, cette reconnaissance doit être le début et non la fin d’un processus visant à faire respecter les résolutions de l’ONU et le droit à l’autodétermination des palestiniens. Il faut œuvrer pour que cette reconnaissance ne soit pas celle d’un cimetière, or les bombardements aériens et les opérations terrestres contre ce qui reste de la ville de Gaza n’ont pas cessé, bien au contraire.
C’est dans ce contexte que le « plan de paix » présenté par le tandem Trump-Netanyahou survient, le 29 septembre 2025. Les conditions dans lesquelles a été présenté ce plan laissent sans voix, tant le président des États-Unis a confirmé sa propension à raconter à peu près n’importe quoi. Une nouvelle fois, les palestiniens n’ont pas été consultés sur ce qui les concerne au premier chef, ce qui n’augure pas une réussite à venir. Facteur aggravant, aucune place ne leur est laissée dans la future autorité transitoire et temporaire. C’est l’expression d’une radicale dégradation des rapports de force à leur détriment et il leur est en réalité demandé, tout particulièrement au Hamas, une capitulation complète. La décision de celui-ci, le 3 octobre 2025, d’accepter la libération de tous les otages est à la fois une indication de la situation dans laquelle il s’est placé, mais aussi de sa capacité à jouer des contradictions du plan puisqu’il n’a pas répondu au point exigeant qu’il remette ses armes. Le flou délibéré des 20 points du plan ne laisse rien augurer de positif, sauf, et c’est évidemment d’une importance capitale, un cessez-le-feu et la possibilité pour qu’enfin puisse massivement faire entrer à Gaza vivres et médicaments.
Il faudra tirer ultérieurement un bilan complet de la séquence dramatique que traverse le peuple palestinien depuis le 7 octobre 2023, mais un élément s’impose d’ores et déjà. L’erreur d’appréciation des rapports de force commise par le Hamas a contribué à une terrible dégradation de la situation à Gaza et en Cisjordanie. Les dirigeants israéliens ont pour leur part saisi l’occasion pour avancer leur projet à l’œuvre depuis des décennies d’empêcher, à tout prix, l’existence d’un État palestinien.
Sombre séquence de l’Histoire.
[1] La Croix, 16 octobre 2023.