Notes / Asia Focus
16 novembre 2023
« Les trois Corées »

EMMANUEL LINCOT : Dans votre dernier ouvrage Les trois Corées (Maisonneuve & Larose et Hémisphères, 2023), le titre même peut paraître comme vous le dites vous-même « provocateur », car on pense avant tout à la division de la péninsule héritée de la guerre froide, c’est-à-dire à l’existence de deux « Corées ». Qu’est-ce qui caractérise, selon vous, en substance cette troisième Corée ? Est-elle synonyme de diaspora ? Convoque-t-elle un tiers, un hors lieu qui relèverait avant tout de cette « imagined community » dont nous parle Benedict Anderson ?
PATRICK MAURUS : Commençons donc par quelques précisions : L’expression « Trois Corées » (avec un –s) n’a pas pour but de choquer qui que ce soit, ni de plaider contre la réunification. De quel droit d’ailleurs ? Mon but est finalement simple : provoquer une réflexion en prenant au pied de la lettre les réalités de la division hermétique du pays depuis 1950 et évaluer certaines de ses conséquences. Mon analyse va cependant à l’encontre des discours fondés sur la division comme alpha et oméga de toutes les explications, car ils interdisent cette réflexion. Ce que l’historien Lee Kang-baek appelait « penser dans les structures de la division ». Ma longue fréquentation des Corées m’a conduit à penser que les divers « morceaux » ont suivi des trajectoires différentes depuis si longtemps qu’ils ont aujourd’hui acquis une autonomie telle qu’ils seraient considérés comme des pays différents n’importe où ailleurs. Les deux objections qui viennent immédiatement à l’esprit (une culture commune et un désir commun de réunification) sont très valables pour l’avenir, mais n’infirment en rien le constat présent. Politiquement, socialement, culturellement, les trois Corées sont au moins aussi différentes que la France et la Wallonie…