Analyses / Observatoire politique et géostratégique des États-Unis
10 septembre 2025
Institutions américaines sous Trump : la Garde nationale

Dans l’Amérique de Trump, on parle beaucoup ces derniers temps de la Garde nationale.
À deux reprises déjà, au cours de l’été, le président a déployé cette force militaire dans des villes américaines : d’abord à Los Angeles, puis à Washington, la capitale fédérale, officiellement pour « maintenir l’ordre » et « lutter contre la criminalité ». Sur les réseaux sociaux, Trump a même menacé d’envoyer la troupe dans d’autres villes — toutes dirigées par des maires démocrates — pour les mêmes raisons. Cette semaine, Trump a encore évoqué la possibilité de mobiliser la garde dans la ville de Chicago. Mais qu’est-ce que la Garde nationale, exactement ? La Constitution permet-elle vraiment l’usage de forces militaires pour accomplir des missions de police civile ? En somme, Trump a-t-il le droit d’agir ainsi ?
Les réponses à ces questions sont plutôt complexes, ancrées dans la structure fédérale du système américain.
La Garde nationale est une institution hybride, placée à la fois sous l’autorité des États et du gouvernement fédéral. Ses origines remontent à l’époque coloniale, bien avant l’indépendance, lorsque chaque colonie entretenait sa propre milice. Ces milices, composées de citoyens, étaient convoquées ponctuellement pour défendre leurs communautés contre d’éventuelles attaques autochtones ou des incursions françaises. Dès la création des États-Unis, la nouvelle Constitution accorda au gouvernement fédéral le pouvoir d’appeler la milice de chaque État « pour exécuter les lois de l’Union, réprimer les insurrections et repousser les invasions ».
À l’époque moderne, la Garde nationale se compose d’unités terrestres et aériennes, formées et équipées de manière comparable aux unités de l’armée active. En temps normal, elles relèvent de l’autorité du gouverneur de leur État et peuvent être mobilisées pour faire face à des catastrophes naturelles ou à de graves troubles de l’ordre public dans son état d’origine. Ainsi, en 2024, plusieurs États ont fait appel à la Garde pour une mission de protection civile lors du passage de l’ouragan Helene. En cas de crise nationale, le président peut également mobiliser la Garde, avec ou sans l’autorisation des gouverneurs. En temps de guerre, ses unités rejoignent l’armée active : la 29ᵉ division d’infanterie, composée entièrement de réservistes de la Garde nationale, a ainsi débarqué à Omaha Beach le 6 juin 1944.
La Garde nationale a-t-elle un rôle à jouer dans la répression de la criminalité ? La réponse à cette question, hautement pertinente, demeure ambigüe. Il est certain que la Garde peut être mobilisée face à de graves menaces contre l’ordre public, et l’histoire récente des États-Unis en fournit plusieurs exemples. Ainsi, la Garde nationale du Minnesota est intervenue lors des manifestations « Black Lives Matter » en 2020, après l’assassinat de George Floyd par la police. Mais ce recours à la Garde reste quelque peu controversé : il constitue d’abord un aveu d’impuissance des autorités locales, dont la sécurité publique est pourtant la responsabilité première ; ensuite, ses unités, rarement formées à la gestion de foules civiles, peuvent recourir trop rapidement à la force létale. L’image emblématique du mouvement contre la guerre du Vietnam en témoigne : une manifestante agenouillée, les bras levés, auprès du corps d’un camarade abattu par la Garde nationale de l’Ohio à l’université de Kent State en 1970. Ce jour-là, la manifestation était globalement pacifique, malgré quelques jets de pierres, et des forces de police mieux préparées à ce type de situation n’auraient sans doute pas ouvert le feu sur de jeunes étudiants exerçant leur droit à la libre parole.
L’usage de la Garde nationale dans la lutte contre la criminalité ordinaire est beaucoup moins certain. En principe, la législation américaine interdit l’emploi des forces armées dans des fonctions de police : la loi « Posse Comitatus », adoptée en 1878, stipule clairement que, sans autorisation explicite du Congrès, l’armée n’a aucun rôle à jouer dans ce domaine. Une exception existe toutefois : la Garde nationale peut être mobilisée pour maintenir l’ordre public, comme on a vu, mais uniquement sous l’autorité du gouverneur de l’État. Cela exclut, donc, son emploi par le président. Une autre loi, l’« Insurrection Act » de 1807, autorise à titre exceptionnel l’usage des forces militaires fédérales en cas de rébellion. Durant son premier mandat, le président a menacé de recourir à ce texte, sans toutefois passer à l’acte.
Pourtant, depuis son investiture, Donald Trump a « fédéralisé » à deux reprises la Garde nationale pour des missions de police civile, en dépit de l’opposition des autorités locales. Comment cela a-t-il été possible ? En juin, alors que des manifestants à Los Angeles s’opposaient à la politique d’immigration de la nouvelle administration, Trump a affirmé que la ville était « sous siège » et a dépêché 2 000 soldats de la Garde nationale californienne. Officiellement, ces troupes étaient chargées de « protéger » des bâtiments et des agents fédéraux, mais elles ont parfois exercé des fonctions de police. Le gouverneur démocrate de l’État, Gavin Newsom, a vigoureusement contesté ce déploiement et a porté plainte pour violation de la loi « Posse Comitatus ». En septembre, un juge fédéral lui a donné raison et a ordonné le retrait des troupes. À Washington, Trump a évoqué un « crime emergency » dans une ville très démocrate dont le taux de crimes violents est au plus bas depuis 30 ans, et a tenté de « nationaliser » la police de la capitale. En raison du statut particulier de Washington, partiellement sous autorité fédérale et dépourvue de gouverneur, le président pouvait tenter ce type d’intervention plus facilement, mais une fois encore, les tribunaux ont jugé qu’il avait outrepassé ses pouvoirs.
Pour l’instant, ces deux déploiements de la Garde nationale, suspendus par les tribunaux, n’ont probablement pas causé de dommages majeurs. Mais en quoi ces interventions, ainsi que d’éventuels futurs déploiements de forces armées dans d’autres villes démocrates, pourraient-elles représenter un danger pour la République ??
Tout d’abord, il s’agit d’un usage hautement politique d’une institution nationale censée rester au-dessus de tout intérêt particulier. La mobilisation de la Garde nationale, aussi performative soit-elle, donne aux électeurs — et surtout à ceux qui suivent peu la politique — l’impression trompeuse que les autorités démocrates sont totalement dépassées par la criminalité dans leurs villes et États : « C’est tellement catastrophique que Trump a dû envoyer les troupes ! » penseront-ils. Cela risque d’influencer significativement leurs choix électoraux lors des scrutins de mi-mandat. Plus grave encore, cet usage de forces militaires compromet nos normes démocratiques : que le président, en dépit d’une législation claire, se serve de soldats comme agents de police contre ses ennemis intérieurs est alarmant. Enfin, une inquiétante résonance de guerre civile plane sur ces interventions. Six États dirigés par des gouverneurs républicains ont envoyé des unités de la Garde nationale à Washington. Dans une ville où près de la moitié de la population est noire, quel sentiment éprouvent les habitants en voyant la capitale « occupée » par des soldats venus du Mississippi ou de Louisiane contre leur gré ? Même si le déploiement de la Garde nationale à Washington par Trump divise l’opinion américaine, un sondage Reuters d’août 2025 montre que 76 % des républicains le soutiennent, contre seulement 8 % des démocrates.