Analyses / Moyen-Orient / Afrique du Nord
10 septembre 2025
Frappes israéliennes au Qatar : l’erreur de trop

En menant une attaque à Doha contre la direction politique du Hamas chargée de la négociation du cessez-le-feu et de la libération des otages, Israël a commis une faute qui pourrait être lourde de conséquences pour l’avenir de la relation que le pays a péniblement instauré avec certains États du Golfe et pour les intérêts américains dans la région.
Le raid du 9 septembre visait la direction politique du Hamas qui s’était réunie pour étudier la réponse à apporter à « l’ultimatum » de Donald Trump au Hamas. Lors de l’attaque, Khalil al Haya et Khaled Mechaal avec les trois autres membres du comité de direction du Hamas étaient réunis dans l’ancien bureau d’Ismaël Haniyeh (éliminé par un raid israélien à Téhéran). Les dirigeants du Hamas ont échappé aux bombes qui ont frappé le domicile de Khalil Al-Hayya et non le lieu de réunion qui se situait à proximité. Israël a déployé une quinzaine de chasseurs bombardiers pour mener à bien cette opération qui a échoué dans ses objectifs.
Quelles seront les conséquences politiques de cette attaque ?
Au-delà de l’aspect militaire, ce sont les lourdes conséquences politiques qui doivent être retenues. Cette opération vient démontrer qu’une fois de plus Israël fait fi du droit international et s’autorise à mener des opérations sur le territoire d’un pays étranger.
Mener une attaque contre le Qatar est un acte hostile contre un pays qui a été le médiateur principal avec le Hamas ce qui a permis la libération de plusieurs otages du 7 octobre et d’instaurer un premier cessez-le-feu. Ce raid n’est pas le premier signe d’hostilité envers l’Émirat du Golfe : l’élimination délibérée et revendiquée du journaliste d’Al Jazeera, Anas Al-Sharif et de cinq de ses collègues, pourrait être considérée comme un premier épisode.
Cette séquence intervient à quelques jours de la session annuelle de l’Assemblée générale de l’ONU. Au cours de cette session, la reconnaissance de l’État de Palestine devra être actée par des pays européens dont la France. Israël sera mis en cause pour son action à Gaza. La politique expansionniste de Benjamin Netanyahou est en passe d’isoler encore plus son pays sur la scène internationale.
Un coup sérieux aux intérêts américains dans la région
Il est difficile d’imaginer qu’une telle opération ait été menée sans l’assentiment (au moins) tacite des États-Unis. La Maison-Blanche a reconnu avoir été informée de l’opération et Donald Trump a twitté « qu’il n’était pas ravi », sans pour autant condamner l’opération.
Cette attitude laissera des traces profondes dans la relation des États-Unis avec la région. Après la tournée triomphale et mercantile du président américain dans la région en mai dernier et des centaines de milliards de promesses d’achats et d’investissement récoltées auprès des souverains du Golfe qui ont fait preuve de rivalité pour être les meilleurs clients/élèves de la classe. Le Qatar ayant poussé la complaisance jusqu’à offrir à Donald Trump un nouvel avion présidentiel d’une valeur de 400 millions de dollars.
Sur le plan géopolitique, le Qatar abrite l’une des bases américaines les plus importantes au monde. La base Al-Udeid où sont stationnés une dizaine de milliers de soldats américains est aussi le centre opérationnel du Commandement central « CentCom » dans la région. Une perte de confiance durable en la capacité américaine d’assurer la sécurité de l’Émirat serait très dommageable pour les États-Unis.
Des conséquences qui pourraient s’avérer très dommageables pour les États-Unis
Les autres pays de la région ne pourront qu’observer l’alignement aveugle des Américains sur la politique aventuriste de Benjamin Netanyahou. Cette politique n’est pas nouvelle mais l’attaque du 9 septembre 2025 sur le territoire d’un pays allié des États-Unis et avec l’assentiment de leurs instances dirigeantes poussera sans doute ces pays à réfléchir sur l’avenir de cette relation.
L’ordre mondial issu de la Seconde Guerre mondiale est en pleine évolution. La démonstration de force du 3 septembre 2025 à Pékin et la capacité des dirigeants chinois de réunir autour d’eux des alliés comme Vladimir Poutine ou Kim Jong-un mais également Narendra Modi, dont la proximité avec la Chine n’est pas démontrée, est le signe de l’évolution des équilibres mondiaux. L’administration Trump semble tout faire pour s’aliéner les puissances jusqu’ici amies. L’exemple très médiatisé de l’arrestation des ouvriers coréens employés dans les usines Hyundai n’est pas de nature à rassurer les alliés les plus fidèles des États-Unis sur la pérennité de leurs engagements.
Il en va de même pour les pays de la région du Moyen-Orient qui ont unanimement et très fermement condamné l’opération israélienne. L’autre élément à prendre en compte est la susceptibilité des souverains de la région qui prennent cette action comme une humiliation de plus de la part d’Israël et un manquement aux obligations des États-Unis.