Des drones dans le ciel danois : quelles perspectives sécuritaires ?

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L’espace aérien danois a été violé par un premier vol de drone non identifié sur l’aéroport de Copenhague le 22 septembre 2025, puis à nouveau plusieurs fois au cours de la semaine au-dessus d’aéroports et de sites militaires. Le Danemark a dû fermer plusieurs aéroports pour des durées aléatoires, prendre des mesures de surveillance et diligenter une enquête pour déterminer la nature de ces drones et l’origine des opérateurs. Aucun drone n’ayant été capturé ou abattu, il règne un flou certain sur le type d’engin. Mais, en tout état de cause, un drone, même de petit format est un danger pour la circulation aérienne (ingestion turbine, collision) et un souci sécuritaire (emport d’explosif, recueil de renseignement). Les effets de ces intrusions ne sont pas réellement militaires mais de l’ordre des menaces hybrides.

La prise pour cible du Danemark peut avoir une raison géostratégique : le Danemark contrôle les détroits d’accès à la mer Baltique et donc aux ports russes. Mais, au regard des moyens employés, un tel objectif ne répond à aucune logique militaire.

La raison est plus vraisemblablement d’ordre politique : le Danemark est président du Conseil de l’Union européenne du 1er juillet au 31 décembre 2025 et à ce titre organise une réunion informelle du Conseil (27 chefs d’État et de gouvernement) qui sera suivie d’une réunion de la Communauté politique européenne, rassemblant, avec l’UE, 46 États. Il est donc certain que les responsables de ces survols illicites ont quelque chose à dire à ces responsables politiques opportunément rassemblés sur un même site, en perturbant la sérénité de leurs débats.

Ces débats porteront justement sur « la défense commune de l’Europe et le soutien à l’Ukraine ». La Russie et l’Ukraine seront donc au centre de ces débats.

Les objectifs de la Russie peuvent être de tenter, en étendant les intrusions aériennes, de déporter l’effort militaire européen au profit de l’Ukraine, notamment en ce qui concerne la défense aérienne. Car des intrusions coordonnées et s’étalant dans la durée sur de nombreux aéroports européens perturberaient sérieusement le trafic aérien et partant l’économie européenne. Ils peuvent aussi être, après les réactions unanimes et déterminées de tous les politiques européens s’engageant à défendre leur espace aérien commun, à la suite de la pénétration de l’espace aérien polonais par une vingtaine de drones, une façon de montrer les limites d’un tel engagement en violant délibérément et impunément l’espace aérien européen. La piste russe est donc logique, elle est reliée à la présence de trois bateaux civils russes navigants à proximité dans la semaine.

Mais des réseaux soutiens à la cause ukrainienne peuvent aussi avoir tenté d’influer et de dynamiser le soutien des Européens en leur démontrant comment le survol de drones peut être angoissant, même s’ils ne larguent pas d’explosifs. Le mode opératoire de l’opération Spider Web ou la piste du sabotage de Nord Stream éclairent cette hypothèse.

Continuons, car l’appréciation de situation stratégique exige de faire l’inventaire de toutes les hypothèses. Il reste une famille d’acteurs à ne pas ignorer : la mouvance politique extrême contestant l’autorité des États, dans les pays occidentaux, au nom de l’anticapitalisme, de la défense de telle ou telle cause et d’un inventaire sans fin de « luttes convergentes ». Rappelons ici comment depuis plus de 25 ans, tous les sommets de l’OTAN, de l’UE ou du G7 ont été d’abord perturbés, puis sécurisés à outrance pour prévenir des contestations particulièrement violentes. Le drone offre aujourd’hui un nouveau mode opératoire à ces acteurs en faisant planer sur les décideurs une menace que la police ne sait pas encore contrer.

En conclusion, le drone, qui a conquis une large place dans les opérations militaires, d’abord pendant la guerre Haut-Karabakh puis de façon exponentielle pendant la guerre russo-ukrainienne, jusqu’à occuper presque tout le champ des opérations dans tous les niveaux tactique, opératif et stratégique, fait une entrée médiatique fracassante dans le champ de la guerre hybride et de la sécurité intérieure.

Quelle stratégie pour contrer ces violations ?

Ces vols au-dessus du Danemark ne sont pas agressifs au sens défini par les Nations unies, mais illicites[1], c’est l’emploi de la force qui définit l’agression et permet la légitime défense, et donc le tir, autorisée par l’article 51 de la Charte. Comme les drones n’ont pas d’équipage à bord et leur propriété n’est pas revendiquée, ils peuvent être abattus, sous réserve que la chute des débris ne présente pas de danger pour les populations.

Le cas des avions pilotés pose un problème différent. Mais le tir est reconnu en droit lorsque le comportement est agressif (ne pas obtempérer aux ordres de la police du ciel, la menacer par ses évolutions, transporter un armement, etc.). Reste à définir le niveau de la prise de décision dans la hiérarchie politico-militaire, ce qui est fait pour la France[2] comme pour l’OTAN. En 2024, les forces de l’OTAN ont intercepté près de 400 vols russes dans le monde pour les remettre dans le « droit chemin », mais sans subir aucun acte agressif et donc être en droit d’ouvrir le feu. Les Russes de leur côté ont intercepté environ 370 avions de l’OTAN. Ces interceptions ont eu lieu pour la plupart en limites extérieures des espaces aériens des pays intercepteurs.

La semaine dernière, Donald Trump et Mark Rutte en écho ont annoncé que l’OTAN devrait abattre les avions russes franchissant les frontières européennes, de nombreux politiques européens y ont fait écho. Le ministre allemand en revanche a trouvé ces déclarations contre-productives. Clamer ainsi des menaces à l’emporte-pièce l’est en effet. Le texte du Conseil de l’Atlantique Nord est clair « L’OTAN et les Alliés emploieront, dans le respect du droit international, tous les outils militaires et non militaires qu’ils jugeront nécessaires pour se défendre et pour écarter toutes les menaces, d’où qu’elles viennent. ». Le droit international a été est rappelé ci-dessus.

Alors que faire ?

Garder son sang-froid et prendre du recul avant de communiquer orbi et urbi, et souvenons-nous du conseil de Sun Tzu que Poutine semble appliquer contre l’OTAN : « Irritez son général et égarez-le. ».

  • Appliquer le droit international pour faire la police du ciel sur le territoire européen : il donne les outils, y compris par le feu, pour contrer les actes agressifs.
  • Développer sans tarder les compléments nécessaires au système OTAN de défense aérienne et antimissile intégrée (NATINAMDS) notamment dans les basses couches où évoluent les drones. Le filet anti-drones de l’UE est attendu pour juin 2026, du moins dans sa composante détection.
  • Investir et soutenir toutes les entreprises travaillant sur les armes anti-drones (brouillages radio et GPS, canon à impulsion électromagnétique, laser aveuglant ou de destruction, armes de tous calibres).
  • Développer les systèmes d’autodéfense sur toute la profondeur du territoire et sur tous les aéroports et installations sensibles (maillage national anti-drone).

Et ne pas perdre de vue que la souplesse d’utilisation et la difficulté à localiser et donc identifier l’opérateur ouvre un champ infini d’emplois illicites et criminels, en plus d’un ennemi lointain. Le lutte anti-drone passe donc, à l’échelle européenne, par une synergie entre tous les services de l’État et une contribution active des citoyens (détection des postes de pilotage). 


[1] « L’agression est l’emploi de la force armée par un État contre la souveraineté, l’intégrité territoriale ou l’indépendance politique d’un autre état, ou de toute autre manière incompatible avec la Charte des Nations unies, ainsi qu’il ressort de la présente définition » résolution 3314 de l’Assemblée générale des Nations unies, 1974

[2] Le Premier ministre, représenté par la Haute autorité de défense aérienne (HADA), est responsable de l’ordre d’ouverture du feu.