Notes / Industrie de défense et de haute technologie
10 mai 2017
L’industrie de défense turque : un modèle de développement basé sur une volonté d’autonomie stratégique

L’industrie d’armement turque peut être considérée comme une base industrielle et technologique de défense (BITD) émergente, à l’image de celles de l’Inde, du Brésil ou de la Corée du Sud. En effet, après une période de coopération avec des BITD développées, elle commence à fabriquer des matériels de manière autonome et à les exporter. Plutôt que de parler d’émergence, il serait cependant plus juste de parler de ré-émergence. En effet, l’Empire ottoman, dont la Turquie est en partie héritière, comprenait des fonderies (ex : fonderie impériale Tophane-i Âmire, remplacée en 1843 par la fonderie de Zeytinburnu, à Istanbul), des usines (usines de fabrication de poudre d’Halkapınar et de Bakırköy, manufacture d’armes à Erzurum construite à la fin du XIXe siècle), des ateliers (ex : atelier de réparation d’armes à Eskişehir) et des arsenaux (comme l’arsenal impérial ersane-i Âmire, installé en 1455 sur la Corne d’or). Son déclin progressif a conduit à sa quasi-disparition après la Première Guerre mondiale. La Turquie opta pour la neutralité dans le deuxième conflit mondial, puis elle adhéra à l’OTAN le 18 février 1952. Le soutien financier dont elle bénéficia par la suite la rendit complètement dépendante des États-Unis en matière d’équipement, de formation et de doctrine. Le retrait au bout de quelques mois des missiles balistiques intercontinentaux Jupiter (proches de l’obsolescence) décidé unilatéralement par les Américains pour sortir de la crise de Cuba, puis l’envoi par le président Johnson en 1964 d’une lettre disant en substance que les États-Unis ne défendraient pas la Turquie si elle envahissait Chypre et subissait des représailles soviétiques, mirent en lumière la nécessité de disposer d’une BITD au service d’une politique d’autonomie stratégique ; cela afin d’être en capacité de défendre les intérêts nationaux1. Les réflexions qui s’ensuivirent débouchèrent le 7 novembre 1985 sur l’adoption de la loi n°3238, dont l’article 1 précise : « L’objectif de cette loi est de développer une industrie de défense moderne et de permettre la modernisation des forces armées turques. » Les organismes institués par cette loi et les missions qui leur sont confiées visent à donner à la Turquie une BITD en mesure de satisfaire les besoins exprimés par les forces armées. On peut considérer que la politique porta des fruits puisqu’en 2012, 60 % des composants des matériels de défense turcs étaient produits localement, contre seulement 25 % en 2003 et 37% en 20062. Comment la Turquie a-t-elle procédé pour (re-)développer sa BITD ? Et quel niveau de concurrence cette dernière est-elle désormais en mesure de faire peser sur l’industrie de défense française ? …