25ème sommet de l’OCS : Pékin au centre d’un nouvel ordre mondial ?

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  • Emmanuel Lincot

    Emmanuel Lincot

    Directeur de recherche à l’IRIS, co-responsable du Programme Asie-Pacifique

Quels étaient les enjeux de ce sommet et quel bilan peut-on en dresser ?

Ce sommet avait tout de la rencontre de circonstance entre amis et notamment entre Xi Jinping et Vladimir Poutine (qui en sont depuis à leur soixantième rencontre…). Leur leitmotiv est la « paix » et un « nouvel ordre international, plus juste ». Or, comment peut-on aspirer à un nouvel ordre international s’il ne repose pas sur des règles de droit ? Il existe une instance pour cela, c’est l’ONU. Ainsi, l’Organisation de coopération de Shanghai ne propose rien d’autre que de l’arbitraire et l’intimidation par le recours à la force. Cependant, à la différence de l’Organisation du traité de sécurité collective (OTSC) crée par les Russes en 2002 ou de l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord (OTAN), l’OCS ne dispose d’aucune force de projection. Le sommet de Tianjin avait pour objet, sur le plan de la rhétorique, de formuler une menace adressée aux démocraties, pas seulement celles du vieux continent ou de l’Amérique mais également aux démocraties asiatiques, et sur un mode très éculé qui est celui du rapport schmittien (en référence au théoricien Carl Schmitt) de l’ami et de l’ennemi. Encore faudrait-il que ladite Organisation partage un certain consensus entre ses membres. Peut-on sérieusement imaginer que Pakistanais et Indiens se réconcilient sous son égide après leur accrochage au Cachemire en avril dernier ? Certainement pas. Quoique les Russes soient attachés à cette idée d’une communauté de partage – depuis l’époque où Evgueni Primakov, ministre des Affaires étrangères de la toute jeune Fédération de Russie avait esquissé le projet d’une tripolarité partagée entre Moscou, Pékin et New Delhi -, elle relève évidemment de l’utopie. Même si Narendra Modi semblait y souscrire par des élans d’amabilité, cette mise en scène lui permettait surtout de manifester sa colère après les sanctions prises par Donald Trump à l’encontre de l’Inde. Deux dirigeants, en termes d’image, ont bénéficié de ce sommet. Vladimir Poutine bien sûr, qui réhausse ainsi son prestige international quelques semaines après sa rencontre avec Donald Trump à Anchorage, mais aussi le président iranien Massoud Pezechkian qui sort à son tour de l’isolement après les bombardements israéliens et américains contre son pays. Enfin, Xi Jinping confirme son retour sur la scène nationale et mondiale alors que son absence au sommet des BRICS, et les décisions prises par le Politburo le marginalisant, alimentaient un très grand nombre de spéculations sur son état de santé voire sur sa destitution possible.

Ce sommet a été marqué par le retour de Narendra Modi sur le sol chinois pour la première fois depuis le conflit frontalier sino-indien dans la vallée de la Galwan en 2020. Que traduit cette rencontre de l’évolution des rapports de force entre les deux géants asiatiques, notamment du côté de la Chine ? Peut-on parler d’un renforcement stratégique pour l’OCS ?

L’objectif pour la Chine est d’arrimer l’Inde au projet des Nouvelles Routes de la soie que rejette New Delhi depuis son lancement en 2013 pour une raison simple : le volume d’échanges commerciaux est asymétrique et l’adhésion indienne creuserait davantage cet écart. Mais il s’agit par ailleurs pour la diplomatie chinoise d’attirer l’Inde dans sa mouvance avec le soutien de Moscou pour fragiliser l’Indopacifique. Peut-elle y parvenir ? Difficilement quand on sait qu’il existe bien des pierres d’achoppement entre les deux pays. Que ce soit leur contentieux frontalier, la question tibétaine et la construction du barrage sur le Brahmapoutre sans oublier le soutien de la Chine au Pakistan. Enfin, Narendra Modi garde le souvenir traumatisant de la défaite militaire indienne de 1962. Depuis lors, pour la majorité des Indiens, l’ennemi c’est la Chine. On l’imagine mal aller à l’encontre de ce sentiment très largement partagé.

Quelques jours après ce sommet, Pékin a accueilli les commémorations du 80ᵉ anniversaire de la fin de la Seconde Guerre mondiale le 3 septembre, auxquelles Vladimir Poutine et Kim Jong-un ont pris part. Que révèle cet événement sur le positionnement stratégique de la Chine et ses affinités diplomatiques ?

C’est une façon pour le régime chinois de rappeler la contribution du pays à l’effort de la Seconde Guerre mondiale avec ses vingt millions de morts. Au reste, personne ne le conteste, même s’il est piquant d’observer que le Parti communiste s’arroge cette victoire en Asie orientale alors qu’en 1945 ce sont la République de Chine et le Guomindang qui avaient obtenu la reddition du Japon. Ce révisionnisme fait partie du narratif que défend le régime. Le défilé du 3 septembre permettait aussi pour le régime de montrer de nouveaux équipements militaires, notamment des missiles hypersoniques, mais aussi des batteries antiaériennes laser pouvant abattre des satellites ennemis. Cette parade militaire ainsi que la posture de Xi Jinping donnaient l’image d’une société ordonnée, sérieuse et volontaire. Un contraste abyssal assurément comparé à celle qu’adresse Donald Trump et les États-Unis au reste du monde. La présence de Kim Jong-un est une victoire diplomatique pour le dirigeant nord-coréen. Plus implicitement pour les Chinois, sa présence permet d’adresser un message aux Russes. La signature d’un accord d’assistance mutuelle en juin 2024 entre Pyongyang et Moscou avait été plutôt mal pris par Pékin. Désormais Xi Jinping rappelle qu’il est le maître des horloges et que rien ne se fera sans considérer la position de Pékin.