Mafia italo-américaine et pouvoir politique aux États-Unis : « Un secret si bien gardé »

  • Jean-François Gayraud

    Jean-François Gayraud

    Commissaire général de la police nationale, essayiste et écrivain

  • Michel Gandilhon

    Michel Gandilhon

    Membre du Conseil d’orientation scientifique de l’ObsCI

Alors que l’année 2024 sera le théâtre aux États-Unis d’une nouvelle élection présidentielle, l’ouvrage de Jean-François Gayraud, “La Mafia et la Maison-Blanche”, constitue, pour tout lecteur curieux des arcanes de la vie politique américaine, une lecture incontournable. C’est en effet à sa dimension probablement la moins connue qu’il s’intéresse en traitant, dans cette somme de près de 600 pages, de l’influence de la mafia italo-américaine sur les plus hautes autorités de l’État et singulièrement les occupants de la Maison-Blanche. De Roosevelt à Biden, de la Nouvelle-Orléans à Chicago, il étudie notamment le rôle occulte et occulté des « familles » composant la mafia dans le sacre des différents présidents qui se sont succédé au pouvoir et certains évènements tragiques ayant scandé l’histoire politique des États-Unis. Loin d’un certain folklore véhiculé par l’industrie du divertissement, des Incorruptibles d’Eliot Ness aux Affranchis de Martin Scorsese, l’auteur décrit l’influence de cette société secrète, implantée dans le sillage des millions de migrants ayant quitté l’Italie vers la nouvelle terre promise à partir de la fin du XIXe siècle. Exerçant dans un premier temps sa férule sur les populations des ghettos italiens, la mafia va prospérer tout au long des années 1920 notamment grâce à la prohibition de l’alcool, qui permettra à certaines « familles » d’acquérir une puissance financière telle qu’elle leur permettra de pénétrer le tissu économique légal, notamment l’industrie du BTP, du cinéma et des jeux, et illégal (prostitution, drogues, etc.) et de nouer des relations, non seulement avec le mouvement syndical, mais avec les pouvoirs politiques locaux et nationaux. Financement des campagnes électorales, orientation des votes de la communauté italo-américaine vers les favoris du moment lors des primaires républicaine et démocrate, aucun président depuis Franklin Roosevelt ne peut prétendre s’exonérer de contacts, de négociations et d’arrangements avec la mafia. Qu’on le veuille ou non, avec ses milliers de membres organisés quasi militairement, ses ramifications internationales, elle est un acteur essentiel de la vie américaine au point d’être devenue une puissance à part entière traitant d’égal à égal avec tout ce que la société porte d’aspirants au pouvoir qu’il soit économique et politique. Cette influence, comme Jean-François Gayraud le montre, ne s’est pas qu’arrêtée à la sphère intérieure, mais a été aussi parfois utilisée par le pouvoir politique pour régler des questions de niveau géopolitique ainsi que l’illustre, par exemple, le rôle de l’organisation criminelle dans le débarquement des troupes américaines en Sicile en 1943, la crise des fusées à Cuba ou encore l’assassinat de Kennedy au début des années 1960. Si l’honorable société fait moins parler d’elle aujourd’hui, ce serait toutefois une erreur de penser que ses pouvoirs de nuisance ont été réduits à néant. Secret, silence sont les deux vertus d’une organisation qui a longtemps tenté de faire accroire qu’elle n’existait pas…