Notes / Sport et géopolitique
27 avril 2020
Le sport dans les Balkans : entre tensions et réconciliations

IRIS : Interviewé par l’IRIS en 2015, vous aviez décrit votre thèse comme une étude de la politique à travers le football à la politique par le football. Nombreuses sont les recherches en sciences sociales qui ont tenté d’expliquer la dissolution de la Yougoslavie et ses guerres des Balkans, notamment à travers des thèses essentialistes et d’autres nationalistes – vouant le projet yougoslave à l’échec dès sa création – que vous citez dans votre livre, Le football et le chaos yougoslave (2019). Qu’apporte le football comme objet d’étude à l’analyse de l’éclatement de la Yougoslavie et des violences qui ont suivi ? Quelles ont été les conclusions que vous avez pu faire dans votre thèse qui n’auraient pas pu être atteintes sans avoir eu recours à cette fenêtre sportive ?
LOÏC TRÉGOURÈS : Il me semble que toute la littérature – et elle est très imposante – sur les conflits yougoslaves adopte un même prisme et va étudier comment les institutions se sont craquelées, comment Milošević a pris le pouvoir. Une sorte de prisme « par le haut », institutionnel. Or, peu de choses ont été réalisées pour essayer de comprendre et d’étudier la désagrégation de la Yougoslavie, y compris avant la guerre, par un autre prisme. Ce que j’essaie de démontrer, c’est qu’il ne faut jamais confondre la désagrégation du projet yougoslave avec la dissolution du pays à la suite du conflit armé. En conséquence, à l’instar d’Andrew Wachtel qui avait utilisé l’enseignement et la culture, étudier le football était un moyen, pour moi, d’essayer de démontrer que le projet yougoslave ne rassemblait plus sur le plan identitaire. Et cela, on peut le démontrer en adoptant le prisme « du terrain ». Le travail sur les groupes de supporters, les revendications et leur opposition au communisme, etc., c’est une première façon de montrer que, dans ces années-là, il y a ce phénomène d’opposition, à la fois venant « d’en haut », comme « du terrain ». Le premier chapitre de ma thèse montre qu’il y avait une complémentarité dans ce que d’habitude on observe – la prise de pouvoir de Milošević, le discours des intellectuels, etc. – et la façon dont cela est repris, agencé et opéré « sur le terrain ». Je le montre aussi dans mon livre, qui est une version raccourcie et grand public de ma thèse…