Analyses / Observatoire politique et géostratégique des États-Unis
20 février 2025
Démocrates, ne désespérez pas !

Donald Trump semble avoir le vent en poupe. Les premières semaines de son administration ont été marquées par une tempête de décrets, de réductions de personnel, et d’initiatives surprenantes, voire choquantes. Bon nombre des premières actions de Trump remettent en question les normes du système démocratique américain, et certaines semblent manifestement illégales. Pourtant, elles n’ont jusqu’à présent pas rencontré de résistance significative. Les contrepoids traditionnels au pouvoir présidentiel – le Congrès, la justice, les médias – sont soit carrément favorables au président, soit intimidés, soit indifférents. Les républicains au Congrès semblent satisfaits de faire la volonté de leur chef, même si cela nuit au pouvoir de leur propre branche constitutionnelle. Le parti démocrate peine à trouver une stratégie ou un message pour contrer le nouveau président. Si les tribunaux vont tenter d’arrêter les éléments les plus controversés du programme présidentiel, les responsables de l’administration ont suggéré que Trump pourrait ne pas respecter les décisions de la justice, comme l’exige le système constitutionnel américain. Les médias traditionnels et sociaux semblent de plus en plus disposés à reculer face aux menaces du « tweeter-en-chef » à la liberté de la presse. À l’étranger, les alliés et partenaires – le Canada, le Mexique, la Colombie – menacés de sanctions commerciales ont reculé face aux actions agressives de l’administration. Alors que certaines des propositions les plus farfelues du chef de l’État américain – comme l’implication directe des États-Unis à Gaza ou la proposition du président de prendre le contrôle du Groenland – ont rencontré une certaine résistance à l’étranger, aucun des partenaires traditionnels de l’Amérique n’a osé aller à la rupture.
Pour les démocrates inquiets de l’avenir de la république américaine ou du leadership américain, le moment semble sombre. Trump apporte indéniablement des changements majeurs, certains irréversibles. Il y a des raisons de croire, cependant, que cet élan initial pourrait ne pas durer, que le rouleau compresseur pourrait ralentir.
Tout d’abord, n’oublions pas que Donald Trump n’est pas particulièrement populaire. Beaucoup de ses actions visant à saper les institutions démocratiques américaines reflètent sa faiblesse politique, et non sa force. Il n’a pas réussi à remporter le vote populaire en 2016, son parti a été battu aux élections de mi-mandat de 2018, et il a perdu le vote présidentiel de 2020. Le président, et le parti républicain qu’il domine ont fait mieux en 2024, bien sûr. Trump a réussi à remporter le vote populaire, et les républicains ont fait de sérieuses percées auprès de certains groupes électoraux, laissant les démocrates très inquiets quant à leur coalition électorale traditionnelle. Mais même en 2024, le candidat du « Grand Old Party » n’a toujours pas réussi à remporter 50 % des voix. La majorité républicaine au Sénat est faible et à la Chambre des représentants presque inexistante. Les affirmations de Trump selon lesquelles il peut se vanter d’un « mandat puissant sans précédent » après les élections de 2024 ne sont pas étayées par les faits. Au cours des premières semaines de sa deuxième administration, les taux d’approbation du président sont plus élevés – environ 50 % – que ses chiffres abyssaux lors de la première administration, mais ils ne constituent guère un soutien retentissant de la part du peuple américain. Trump domine le discours politique américain parce qu’il est transgressif, et non parce qu’il est populaire. Au fur et à mesure que les impacts de ses politiques se font sentir, les électeurs qui ne sont pas influencés par le vide rhétorique MAGA sont susceptibles de devenir plus actifs dans leur opposition. Les élections de mi-mandat de 2026 seront un test clé de la résistance de Trump.
Ensuite, Donald Trump ne semble pas avoir de plan compréhensif pour gouverner. J’ai fait valoir ailleurs que cette administration est entrée en fonction plus organisée et concentrée qu’en 2017, et l’action rapide sur tant de fronts le démontre. Aussi vastes et variés que les chantiers de la Maison-Blanche puissent être, cependant, cela ne correspond pas à une vision cohérente pour l’avenir de l’Amérique. Réduire sensiblement les capacités du gouvernement, envoyer des immigrants illégaux à Guantanamo, gracier les émeutiers du 6 janvier, signer des décrets poussant les personnes transgenres hors des équipes sportives, et mettre des anti-vax à la tête des institutions de santé américaines peuvent être populaire auprès de la base républicaine. Mais ces actions n’amélioreront manifestement pas la vie des Américains. Une fois que les décrets présidentiels performatifs, les déportations massives, et l’éviscération du gouvernement fédéral auront suivi leur cours, qu’est-ce que Trump a exactement à offrir ? Il y a peu de choses dans le programme de Trump qui promettent un changement réel et positif pour les électeurs. De nombreuses politiques de Trump – des tarifs commerciaux inflationnistes à la réduction du soutien fédéral aux soins de santé ou à l’éducation – nuiront globalement aux Américains. Les électeurs, peut-être même certains électeurs MAGA, s’en rendront compte.
Enfin, Donald Trump a offert au parti démocrate une occasion en or de se réinventer. Les démocrates sont maintenant en plein désarroi, ne sachant pas comment répondre à l’assaut trumpien. Et c’est peut-être une bonne chose pour eux. L’une des raisons du succès électoral du nouveau président américain est une méfiance profonde et croissante de la part de nombreux électeurs à l’égard des institutions, y compris à l’égard de nos partis politiques. En 2024, les démocrates ont subi des pertes parmi les électeurs des groupes démographiques clés, notamment chez les électeurs latino-américains. Le parti démocrate doit examiner de près ses politiques et ses dirigeants. Le virage du milieu de Joe Biden en 2020, associé à la contrariété suscitée par la pandémie de Covid-19, a peut-être redonné aux démocrates la Maison-Blanche, mais il ne leur a pas laissé une coalition gagnante durable. Si les démocrates peuvent trouver des politiques qui sont populaires à la fois auprès de leur coalition de minorités ethniques et des libéraux diplômés de l’université et trouver un moyen de reconquérir les cols bleus qu’ils ont perdus, ils seront en mesure de profiter de la faiblesse électorale de Donald Trump. S’ils peuvent trouver des moyens de démontrer – très probablement au niveau des États pour le moment – que le gouvernement peut apporter des réponses convaincantes et éthiques aux problèmes de la société, ils seront sur la bonne voie pour le faire. S’ils parviennent à identifier et à promouvoir un nouveau groupe de jeunes leaders dynamiques, tant mieux. Les démocrates ont quatre ans. Il leur faut utiliser ce temps à bon escient. « Pour chaque action, il y a une réaction égale et opposée. »
Pour ceux qui s’opposent à Donald Trump et à sa méthode de gouvernement, les mois à venir risquent d’être difficiles. Mais cet homme politique hors normes est loin d’être inarrêtable, et les démocrates ne doivent pas l’oublier.
Retrouvez régulièrement les éditos de Jeff Hawkins, ancien diplomate américain, chercheur associé à l’IRIS, pour ses Carnets d’un vétéran du State Department.