Entretiens
15 mai 2025
Défilé du 9 mai : une commémoration au service de la stratégie internationale russe

Alors que depuis l’invasion de l’Ukraine la Russie fait l’objet de sanctions occidentales visant à l’isoler géopolitiquement, Vladimir Poutine a accueilli de nombreux dirigeants internationaux à l’occasion de la fête nationale du 9 mai. Doublée d’un discours patriotique louant la bravoure des soldats russes au front, la parade militaire orchestrée par le Kremlin met en scène une armée composée de soldats étrangers, notamment chinois, brésiliens, kazakhs, bélarusses, vietnamiens, arméniens, cubains, vénézuéliens, etc. Quel est le message transmis à l’Ukraine et ses alliés quant à la résolution du conflit ? Dans quelle mesure cette parade met en exergue la stratégie russe sur la scène internationale ? Comment cette démonstration de force est-elle accueillie par la population russe ? Le point avec Jean de Gliniasty, directeur de recherche à l’IRIS.
Vladimir Poutine s’est affiché aux côtés de nombreux chefs d’États et de gouvernements lors du défilé national du 9 mai. À la lumière du discours du président russe et des pays ayant participé à cette cérémonie, que peut-on déduire de la stratégie diplomatique de la Russie ?
La Russie n’a jamais été isolée sur la scène internationale. Ce que l’on appelle le « Sud global » a considéré dès le début du conflit que les responsabilités pour l’invasion de l’Ukraine (qu’il réprouve cependant) sont partagées. En réalité, le « Sud global », dont le noyau dur est constitué des BRICS, représente les pays qui refusent d’appliquer les sanctions occidentales et ne veulent pas subir les conséquences de l’affrontement entre l’Occident et la Russie sur l’Ukraine. À mesure que les forces armées russes affirmaient leur prédominance sur le terrain, le « Sud global » s’est exprimé de plus en plus ouvertement. Le défilé du 9 mai à Moscou en a été l’occasion avec la présence remarquée de Xi Jinping, du président égyptien Abdel Fattah Al-Sissi, et de tous les présidents d’Asie centrale ex-soviétique. Mais le succès de Moscou n’a pas été complet : il manquait deux membres fondateurs des BRICS, l’Inde et l’Afrique du Sud, représentés à un niveau inférieur. Par ailleurs, le relatif soutien des pays du Sud est l’aboutissement d’une longue politique de rapprochement menée avec un certain succès par la diplomatie russe.
Alors que les ressources humaines s’amenuisent des deux côtés de la frontière russo-ukrainienne, de nombreux soldats étrangers ont rejoint les rangs russes lors de la parade. À travers cette démonstration, quel message Moscou envoie-t-il quant à la résolution de la guerre en Ukraine, à quelques jours de sa rencontre avec Volodymyr Zelensky ?
La participation de contingents étrangers à la parade sur la place rouge le 9 mai n’est pas une nouveauté. Un détachement français y a ainsi participé en 2010, aux côtés d’autres pays occidentaux. Mais la guerre en Ukraine a donné un sens particulier au défilé de troupes étrangères, largement exploité par la communication du Kremlin. L’accord signé entre la Russie et la Corée du Nord permet de faire intervenir les troupes nord-coréennes pour la défense du territoire russe, par exemple lors de l’offensive ukrainienne dans l’oblast’ de Koursk. Mais en principe, les Nord-Coréens ne devraient pas être engagés en appui des opérations russes en territoires ukrainien. Ceci étant dit, toutes les contorsions sont possibles dès lors qu’il y a un grand besoin de troupes au sol supplémentaires et que la Russie souhaite marquer des points avant d’accepter quelques négociations que ce soit. Le régiment de la Garde du Kremlin a été, semble-t-il, partiellement engagé sur le front. Il reste que les besoins en effectifs sont moins criants du côté russe compte tenu du système de volontariat, grassement rémunéré, mis en place par le gouvernement russe et qui rencontre un certain succès.
Quel écho ce défilé du 9-mai a-t-il eu au sein de la population russe, notamment au regard du conflit russo-ukrainien ?
Le 9 mai est la véritable fête nationale russe et rares sont les Russes qui savent que la fête nationale officielle, le 12 juin, est l’anniversaire de la déclaration d’indépendance de la République Fédérative de Russie par rapport à l’URSS. Le 12 juin est perçu par certains Russes, en général plus âgés, comme l’anniversaire d’un jour néfaste symbolisant la chute de l’URSS… L’anniversaire de la victoire de 1945 est en revanche un moment d’unanimité, au-delà des clivages politiques, que le pouvoir utilise pour mobiliser les énergies et administrer des leçons de patriotisme, d’ailleurs très bien accueillies. En ce qui concerne le discours de Vladimir Poutine, il est toujours bref, appelant à l’unité et à la défense de la patrie. Cette année la référence à l’Opération militaire spéciale (en fait la guerre en Ukraine) a indiqué le sens que le Kremlin souhaitait donner à cette manifestation de puissance militaire, de rayonnement diplomatique et de cohésion nationale. Mais les derniers sondages avant le défilé organisé par le Centre Levada (classé comme « agent de l’étranger »), montrent bien que le pourcentage des russes qui souhaitent continuer la guerre a atteint son plus bas niveau depuis le début des hostilités, à savoir 30 %.