Bénin : de quoi la tentative de coup d’État du 7 décembre est-elle le signe ?

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  • Frédéric Lejeal

    Frédéric Lejeal

    Journaliste et essayiste

Depuis plusieurs mois la scène politique s’est, en effet, fracturée à mesure que se profile la présidentielle du 12 avril 2026. Malgré la non-candidature du président sortant tout semble avoir été mis en œuvre pour garantir à son dauphin désigné, le ministre de l’Économie et des Finances, Romuald Wadagni, une course en solo sans adversaire sérieux ni obstacle de taille. Deux récentes actualités illustrent cette tentation absolutiste. Tout d’abord, le rejet par la Commission électorale, le 22 octobre dernier, de la candidature de l’avocat Renaud Agbodjo, candidat du parti Les Démocrates (LD), principale formation d’opposition fondée par Thomas Boni Yayi, prédécesseur et ennemi juré de Patrice Talon, au pouvoir de 2006 à 2016. Cette décision a provoqué une radicalisation progressive du paysage politique. Loin d’être une coïncidence, Chabi Yayi, le fils de l’ex-président encarté LD, a été arrêté dans la matinée du 14 décembre avant d’être libéré en attendant une convocation à la suite des investigations post-putsch. Grand argentier du pays depuis 2016, Romuald Wadagni devrait donc essentiellement affronter l’opposant modéré, et sans trop d’envergure,  Paul Hounkpè des Forces Cauris pour un Bénin émergent (FCBE).

L’adoption, le 15 novembre, d’une réforme constitutionnelle controversée portée par la majorité présidentielle n’a fait qu’accentuer cette crise. En autorisant l’allongement de la durée du mandat présidentiel de 5 à 7 ans tout en créant une seconde chambre, sorte de Conseil des Sages de membres désignés, cette réforme permettrait à Patrice Talon, selon l’opposition, de garder le contrôle du pouvoir, donc du pays. D’un côté, un camp présidentiel omniscient. De l’autre, une opposition volontairement affaiblie et empêchée de pousser ses figures-clefs pour l’échéance de 2026.

Ce climat est alourdi par la chasse aux sorcières qui s’est abattue sur de nombreuses personnalités sans distinction d’étiquettes ou de couleurs politiques, mais aux ambitions électorales clairement affichées. Modus operandi qui semble être la marque de fabrique du régime Talon. En septembre 2024, les espoirs présidentiels de l’homme d’affaires Olivier Boko, bras-droit du chef de l’État et numéro 2 du régime, ont été douchés par son arrestation pour « tentative d’atteinte à la sûreté de l’État » sur instruction de la puissante Cour de répression des infractions économiques et du terrorisme (CRIET). En mai 2023, l’influent ministre des Affaires étrangères, Aurélien Agbénonci, autre figure du premier cercle de Patrice Talon, avait été brutalement limogé du gouvernement. Peu avant la présidentielle du 11 avril 2021, une trop grande exposition avait valu à l’ex-ministre et candidate des Démocrates, Reckya Madougou, une arrestation et une condamnation à 20 ans d’emprisonnement pour « complot contre l’autorité de l’État ». Même sort pour le constitutionnaliste Joël Aïvo. En donnant le sentiment que seul le camp présidentiel dicte le tempo, ces dossiers « judiciaires » ont progressivement conforté une frange de l’opinion publique dans le sentiment d’une véritable dérive autoritaire du régime.

À ces tensions internes s’ajoute une situation sécuritaire critique face à l’activisme des groupes djihadistes (Jama’at Nusrat ul-Islam wa al-Muslimin (JNIM), affilié à Al-Qaïda au Maghreb islamique et État islamique au Grand Sahara) dans le septentrion[2] mais aussi, désormais, dans le centre du pays avec l’émergence du groupe nigérian Mahmuda, auteur d’incursions répétées dans le département du Borgou (centre-est). Malgré des dépenses militaires en hausse et des initiatives se voulant novatrices comme l’Opération Mirador, qui entend contenir l’avancée djihadiste par l’implication des populations locales, les Forces armées béninoises (FAB) peinent à freiner ces groupes violents dont l’objectif vise à rallier le front de mer[3]. Une poussée vers le littoral qualifiée de « stratégie délibérée » par l’ONN Acled, dans un récent rapport[4].

Après la région du Liptako-Gourma partagée entre le Mali, le Niger et le Burkina Faso, un nouvel espace de confrontation djihadiste se forme actuellement à la frontière entre le Bénin, le Niger et le Nigeria[5]. « Les répercussions de l’instabilité régionale s’observent dans les États voisins du Bénin et du Togo, où l’avancée des opérations du JNIM constitue une expansion stratégique plus qu’un simple débordement», précise Acled. Les amateurs-putschistes du 7 décembre souhaitaient-ils reprendre en main la défense du pays ? Il est trop tôt pour le dire. Mais nul doute que les tensions politiques, comme les menaces extérieures protéiformes, sont autant de casus belli ayant convaincu certains éléments séditieux de franchir le Rubicon.

Logiquement, et parce qu’il en va de sa survie face à l’épidémie de coups d’État en Afrique de l’Ouest, la réaction de la Cédéao (Communauté économique des États d’Afrique de l’Ouest) n’en a été que plus rapide. Devant le risque d’une « contamination » incontrôlée de putschs après celui du 23 novembre dernier, en Guinée Bissau, mais aussi ceux au Mali, au Burkina Faso, au Niger et en Guinée, l’organisation sous-régionale était acculée à intervenir militairement sous peine de perdre encore un peu plus de crédibilité.

Le risque d’un basculement du Bénin était d’autant plus patent que le régime prorusse et antioccidental du Niger a également joué sa partition en multipliant les attaques et la délégitimation de Patrice Talon au cours des derniers mois. Le chef de la junte, Abdourahamane Tiani, accusant même son voisin d’accueillir des bases françaises pour le renverser[6]. En cas de réussite, la tentative de putsch du 7 décembre aurait non seulement permis à Niamey de s’attirer un allié avec un accès plus simple au Port de Cotonou, son hub naturel, mais aussi permis à l’Alliance des États du Sahel (AES), dont les trois pays membres ont claqué la porte de la Cédéao, d’étendre leur sphère d’influence par le ralliement d’un nouveau pays à leur cause.  

Si la collusion des mutins avec le Niger n’est pas encore définitivement établie, l’émission d’un mandat d’arrêt, le 14 décembre, contre « l’influenceur » prorusse d’origine béninoise, Stellio Gilles Robert Capo Chichi alias Kami Seba, confirmerait cependant le jeu trouble de Niamey. Nommé conseiller « spécial » d’Abdourahamane Tiani en 2024, ce fer de lance d’une vendetta anti-Talon s’est empressé de saluer le putsch sur ses comptes/réseaux sociaux. En outre, Niamey aurait été informée de cette opération en amont, allant même jusqu’à apporter son aide aux mutins, selon le média Jeune Afrique.

Péril djihadiste, crise politique et scénarios manœuvriers de juntes abreuvées de ressentiments antifrançais ont convaincu Paris de s’impliquer rapidement sur ce dossier et de mobiliser ses partenaires. Emmanuel Macron, qui recevait le président Bola Tilubu en visite officielle à Paris, en novembre 2024, a pressé le leader nigérian de voler au secours des autorités béninoises. De son côté, la France a fourni du renseignement et déployé des éléments des forces spéciales pour sécuriser la capitale économique et tracker les mutins en fuite.

Cet empressement dépasse le Bénin lui-même. Après avoir été chassé du Sahel, Cotonou reste pour l’Élysée un point d’ancrage solide dans la région alors que le Togo vient, à son tour, de céder aux sirènes moscovites en signant un accord militaire historique, mi-novembre. Un accord offrant notamment aux navires russes la possibilité de mouiller comme bon leur semble dans le port de Lomé. D’où la volonté d’Emmanuel Macron de s’immiscer dans cette actualité pour mieux contenir l’extension de régimes proches du Kremlin, quitte à brouiller définitivement la politique de la France en Afrique et la doctrine de Paris sur ce continent.

Cette célérité à sauver la démocratie imparfaite du Bénin tranche, en effet, assez nettement avec l’offre de services faite par la France à Mickaël Randrianirina, nouvel homme fort de Madagascar après le renversement du président Andry Rajoelina, afin d’« accompagner la transition » après ce coup d’État sur la Grande Île.


[1] Fiacre Vidjigniniou. « Bénin : le coup d’État qui dit tout haut ce que la région murmure », Conflit/Revue de Géopolitique. 13 décembre 2025.

[2] Kars de Bruijne. « Loi de l’attraction. Le Nord du Bénin et le risque de propagation de l’extrémisme violent. Clingendael ». Institut néerlandais de Relations Internationales. Juin 2021.

[3] Hadrien Degiorgi. « Bénin : une nouvelle attaque révèle l’extension du péril djihadiste ». Le Point Afrique. 30 avril 2025.

[4] Voir aussi Kars de Bruijne. « Le conflit s’intensifie et l’instabilité s’étend au-delà du Burkina Faso, du Mali et du Niger ». Acled. 12 décembre 2024.

[5] Héni Nsaibia. Nouvelles lignes de front : l’expansion djihadiste redessine les contours de la frontière entre le Bénin, le Niger et le Nigeria. Acled et Institut Clingeldaen. 27 mars 2025.

[6] Mathieu Millecamps et Mawunyo Hermann Boko. « Cinq questions pour comprendre pourquoi la crise s’enlise entre Talon et Tiani », Jeune Afrique, 17 juin 2025.