ANALYSES

Candidats « issus de la société civile » : renouvellement ou coup de communication ?

Presse
12 mai 2017
Emmanuel Macron et son mouvement La République en marche ont investi pour les législatives un grand nombre de candidats «issus de la société civile». Qu’est-ce que cela vous inspire ?

Premier message, négatif. En investissant 52% de candidats n’ayant pas exercé de mandat, La République en marche joue le contraste: rien à voir avec une classe politique usée, archaïque, peu représentative, doctrinaire, etc. C’est un clin d’œil au populisme qui conteste ceux d’en haut et ceux d’hier, un bon coup de communication mais c’est aussi la logique d’une prophétie auto-réalisatrice: de fait, le succès de Macron a fait exploser les deux principaux partis qui gouvernaient la France alternativement (et sans doute le troisième qui les contestait).
Second sens: se référer à la «société civile», c’est suggérer – clin d’œil au libéralisme – que les «problèmes» politiques peuvent être résolus par des «vrais» gens compétents, éprouvés dans la «vraie» vie, sans a priori, etc. Donc on postule que ce sont des questions de bonne gestion, moderne (comme dans l’entreprise) et de bonne volonté (comme dans l’espace public qu’animent des mouvements citoyens, de volontariat, de solidarité, de défense de «causes» morales et civiques, tous fonctionnant à l’influence et non à l’autorité …).

Troisième lecture: nous entrerions dans une ère postpolitique pour ne pas dire posthistorique où il n’y a pas d’autre choix qu’une gouvernance appuyée sur le Marché et exprimant des «valeurs» d’ouverture et modernité, correspondant aux demandes des individus et des communautés. Il y aurait donc un modèle international à appliquer, sans se déchirer, avec compétence et sans idéologie. Or il n’y a rien de plus idéologique que proclamer la fin des idéologies.

Dans l’histoire de la Vème République, a-t-on l’exemple de personnalités de ce genre ayant bien réussi ?

Il y a des cas de professeurs d’économie devenant premier ministre (Barre) ou d’hommes d’affaires propulsés au premier plan de l’action politique (Tapie). À vous de juger si ce sont des réussites. Mais des gouvernements entiers ou des assemblées exerçant durablement le pouvoir sans provoquer de clivages (hors des «extrémistes» exclus du consensus) ni rencontrer des mouvements sociaux hostiles, aucun exemple ne me vient à l’esprit.

Cette démarche peut-elle répondre au souhait de renouvellement d’une partie de la population? Peut-on évoluer en politique en venant d’un tout autre milieu ?

Nous avons tous été vierges autrefois et même les politiciens les plus chevronnés ont connu une vie ordinaire avant de prendre leur carte du parti. Tous ces CSP+ qui vont entrer en politique auront à apprendre les règles d’un jeu où ne compte pas que la performance mais aussi l’alliance et l’hostilité. Au risque de perdre ce pragmatisme inventif dont on leur fait crédit a priori.

Il est certainement possible d’être un bon gestionnaire de la chose publique sans avoir distribué un tract de sa vie et d’apprendre l’art de la stratégie après avoir connu la réussite sociale ou médiatique. Mais de là à faire durer des gouvernements technocratiques éclairés qui ne soient pas rattrapés par les contradictions du réel et fonctionnent perpétuellement au compromis… Car la vie politique est affaire de conflits et d’imaginaires, d’intérêts et de symboles.
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