06.12.2024
D’Assise au Caire. Un nouveau sommet des religions sur la paix, pour quoi faire ?
Tribune
28 avril 2017
L’importance du dialogue interreligieux après Assise
En 1986, le pape Jean-Paul II organisait à Assise la première réunion interreligieuse à l’échelle mondiale. Le conflit au Liban faisait alors rage. Depuis, « la journée mondiale de prière pour la paix » est devenue un rendez-vous annuel incontournable, à mesure que le fondamentalisme religieux s’imposait comme une source de violence sur la scène internationale. Les événements du 11 septembre 2001 avaient renforcé une nécessaire visibilité interreligieuse afin de déminer l’impression artificielle de guerre de religion. Les images deviennent rapidement des symboles. L’engagement pour la paix et contre l’inexorable affrontement des systèmes de croyances passe, par conséquent, par le dialogue de ses principaux responsables ; ce qui permet un changement dans les représentations de l’Autre et fait de la paix un objectif mutuel de coopération.
L’année dernière, c’était au pape François que revenait de présider le 30e anniversaire de ces Rencontres. L’appel lancé en septembre 2016 à l’issue de ce jubilé rappelait : « Nous reconnaissons la nécessité de prier constamment pour la paix, parce que la prière protège le monde et l’illumine. La paix est le nom de Dieu. Celui qui invoque le nom de Dieu pour justifier le terrorisme, la violence et la guerre ne marche pas sur sa route : la guerre au nom de la religion devient une guerre à la religion elle-même. Avec une ferme conviction, nous réaffirmons donc que la violence et le terrorisme s’opposent au véritable esprit religieux. »[1]
Une conférence pour la paix dans l’espace musulman
Quelques mois auparavant, en mai 2016, le grand imam de la mosquée d’al-Azhar au Caire, Ahmed al-Tayeb, se trouvait au Vatican. Cette figure centrale de l’islam sunnite avait alors accepté de faire le déplacement jusqu’à Rome en réponse aux nombreux gestes d’apaisement à l’égard du monde musulman multipliés par le souverain pontife ; jusqu’à l’accueil de trois familles musulmanes originaires de Syrie à son retour de l’île grecque de Lesbos, en avril de la même année. Elle est donc loin la polémique qu’avait suscitée, en 2006, le discours du pape Benoît à Ratisbonne, dans lequel il rapprochait islam et violence.
Ce serait au cours de la rencontre du mois de mai que l’idée d’un sommet pour la paix organisé par le grand iman d’al-Azhar aurait pris corps, le pape François lui ayant assuré sa participation et sa venue en Égypte pour l’occasion. Le pape Jean-Paul II s’était déjà rendu en février 2000 au Caire et avait alors rencontré son prédécesseur à al-Azhar, Mohammed Sayed Tantawi.
La conférence internationale sur la paix se déroulera sur deux jours au Caire, du 27 au 28 avril 2017. De nombreuses personnalités religieuses sont attendues, issues surtout de l’islam et du christianisme. Car, outre le pape François, le patriarche œcuménique Bartholomée pour l’Église orthodoxe sera aussi présent, le patriarche de l’Église copte Tawadros II y prendra la parole, ainsi qu’entre autres, Mohammad Bin Abdulkarim Al-Issa, secrétaire général de la Ligue islamique mondiale.
Le format est certes bien différent des Rencontres d’Assise. La dimension spirituelle est beaucoup moins prégnante, au profit d’un dialogue intellectuel marquant avant tout la réappropriation d’un discours sur la paix par le monde musulman et son opposition à l’extrémisme religieux. Un peu facilement, certaines voix ont pu se lever pour reprocher aux élites musulmanes du monde arabe, et notamment à ses cadres religieux, de ne pas suffisamment s’opposer aux crimes et attaques terroristes commis au nom de l’islam. Or, cette conférence est organisée par une institution centrale dans le paysage théologique musulman. L’université al-Azhar, qui est associée à la mosquée du même nom, accueille pas moins de vingt-cinq mille étudiants, sans compter son réseau d’écoles affiliées. Il s’agit donc d’un carrefour incontournable de l’islam.
Aussi, l’un des objectifs de cette conférence consistera à positionner clairement l’islam dans son opposition à la violence et aux conflits par le renouvellement du discours religieux. Au cours d’une précédente conférence au Caire deux mois plus tôt sur « Liberté, citoyenneté, diversité, intégration », le grand imam d’al-Azhar réfléchissait déjà à un tel renouvellement pour lutter contre l’extrémisme. Il déclarait notamment : « … innocenter les religions du terrorisme n’est plus suffisant. Nous devons prendre l’initiative et faire un pas supplémentaire, en amenant les principes et l’éthique des religions dans cette réalité tumultueuse. »[2] La présence du pape en Égypte servira sans aucun doute à relayer plus massivement un tel objectif, tant chaque voyage d’un souverain pontife sert de caisse de résonnance et permet de toucher plus largement l’opinion publique internationale.
Au programme de la visite du pape François
C’est dans une Égypte encore endeuillée par les récents attentats meurtriers du 7 avril 2017 qui ont touché les communautés coptes du Caire et de Tanta que le voyage du pape François intervient. Un climat de doute s’est installé, remettant en question la capacité des autorités égyptiennes à assurer la sécurité du souverain pontife et des nombreuses personnalités qui assisteront à la conférence. Au programme du pape, une « visite de courtoisie » au président égyptien Abdel Fattah al-Sissi, le 28 avril, est prévue. Par la suite, il se rendra à la conférence sur la paix pour y prononcer un discours de clôture, avant de rendre visite au patriarche copte Tawadros II.
Comme tous les déplacements du souverain pontife, il s’agira d’un exercice diplomatique particulièrement délicat ; entre approfondissement des relations avec le monde musulman afin d’infirmer l’impression de « guerre de religion » qui se dégage des conflits contemporains, et parallèlement, soutien inconditionnel aux chrétiens d’Orient. En effet, l’Église copte d’Égypte est la plus importante démographiquement dans la région et reste particulièrement exposée aux attaques terroristes dans le pays. Mais sans doute, ces deux phénomènes sont-ils interdépendants tant le dialogue avec l’islam, en ce qu’il s’oppose au fondamentalisme religieux, doit permettre une meilleure intégration des Coptes dans la société égyptien.
[1] Appel pour la paix d’Assise, 20 septembre 2016. http://www.news.va/fr/news/lappel-pour-la-paix-signe-a-assise (Dernière consultation : le 26 avril 2017)
[2] L’intégralité du discours est disponible sur le site suivant : http://www.oasiscenter.eu (dernière consultation le 26 avril 2017)