ANALYSES

Une campagne au bruit de fond identitaire

Presse
18 avril 2017
Au-delà du fracas des affaires, cette campagne présidentielle a été rythmée par un bruit de fond lancinant, à tonalité identitaire. Bien qu’inédite à plus d’un titre, la campagne 2017 s’est inscrite dans une certaine continuité avec celles de 2007 et de 2012, en confirmant l’ancrage de la question identitaire dans le débat politique, idéologique et culturel national. Loin de se préoccuper des difficultés conceptuelles et méthodologiques posées par la notion même d’identité, les principaux candidats se sont largement saisis d’une chose pourtant insaisissable. Dès lors, l’exercice imposé n’accouche pas forcément d’une offre et d’un discours politiques clairs et cohérents de la part de chacun. Reste que les positions exprimées interrogent les traditionnels clivages censés distinguer l’extrême droite, la droite et la gauche. La question identitaire contribue incontestablement à la recomposition idéologique du système politique français.

La thématique identitaire a surgi dès les primaires. A droite, l’«identité heureuse» d’Alain Juppé n’a pas résisté à la «déclaration de foi chrétienne» d’un François Fillon, héritier d’une France fille aînée de l’Eglise et porte-voix d’un catholicisme identitaire attaché aux valeurs traditionnelles de la famille. A gauche, le laïcisme de Manuel Valls (qui promeut une application extensive du principe de neutralité religieuse) n’a pas été plébiscité. Toutefois, sa conception qui ne correspond pas à la lettre et l’esprit libéral de la loi de 1905 trouve un écho de plus en plus fort parmi les sympathisants de gauche. Ainsi, lorsque l’ancien Premier ministre déclare en pleine «affaire du burkini» que Marianne «n’est pas voilée parce qu’elle est libre», Jean-Luc Mélenchon estime également que le voile est «un signe de soumission». Ce laïcisme de conviction tranche avec l’instrumentalisation de la laïcité par Marine Le Pen. Au sein du parti d’extrême droite, la République et (donc) la laïcité sont devenues des vecteurs de «normalisation-républicanisation», de légitimation du traditionnel discours xénophobe plus que jamais crispé sur l’extérieur (menace de l’immigration) et l’intérieur (menace des immigrés), deux sphères dont la jonction est réalisée via la thématique de l’islam.

« Faire nation »

Certes, la question de l’identité ne se confond pas forcément avec une velléité xénophobe ; elle peut répondre à un louable désir d’introspection collective et à une volonté de définir les conditions du «plébiscite de tous les jours» (Renan) qui permet de «faire nation». Or, de fait, le discours identitaire s’inscrit aujourd’hui dans une logique de division et d’exclusion. La volonté légitime de définir un «nous» bascule dans une entreprise idéologique d’exclusion d’un «eux» imaginaire : la centralité de la question identitaire en France est inhérente à la question obsessionnelle de l’islam en France. La figure du musulman est érigée en source d’insécurité identitaire. Or, le FN ne jouit d’aucun monopole en la matière : preuve qu’à défaut de victoire présidentielle, l’extrême droite peut s’enorgueillir d’une victoire culturelle attestée par la diffusion de ses représentations et de ses mots dans certains courants de droite comme de gauche.

En outre, le discours identitaire charrie souvent son lot de contradictions. Ainsi, si tous les candidats se déclarent contre le communautarisme, cette condamnation se révèle pour nombre d’entre eux différenciée ou à géométrie variable, c’est-à-dire en fonction de la communauté visée et supposée. La stratégie électoraliste de François Fillon en direction des catholiques, et l’annonce de l’entrée dans son gouvernement de membres de Sens commun détonnent pour un éventuel président de la République laïque, une et indivisible…
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