ANALYSES

Les associations professionnelles nationales militaires (APNM) en France modifient de manière « raisonnable » le dialogue au sein des forces armées

Tribune
24 mars 2016
Le 2 octobre 2014, le Monde.fr publiait un article sous le titre : « La France condamnée parce qu’elle interdit les syndicats dans l’armée ». Le Monde.fr faisait directement référence à l’arrêt du 2 octobre 2014 relatif à l’affaire Mattely (requête N°10609/10), rendu par la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH).

Contrairement au caractère saillant du titre du Monde.fr, le ministère de la défense affichait une certaine neutralité en prenant acte de l’arrêt de la Cour et en rappelant qu’une réflexion était en cours pour « rénover la concertation militaire ». Après la présentation, le 18 décembre 2014, du rapport Pêcheur au Président de la République sur le droit d’association professionnelle des militaires et après la loi N°2015-917 du 28 juillet 2015 actualisant la programmation militaire, deux décrets devraient prochainement venir modifier le code de la défense, y compris au sujet de la compétence élargie du Conseil supérieur de la fonction militaire. D’ores et déjà, des associations professionnelles ont vu le jour comme par exemple l’association GendXXI (Association professionnelle nationale des militaires de la gendarmerie du XXIème siècle) et l’APNM Marine (Association professionnelle nationale militaire pour la Marine nationale).

Après avoir brièvement rappelé les circonstances de l’affaire Matelly qui a conduit l’Etat à repenser le dialogue au sein des forces armées, cet article met l’accent sur des éléments constitutifs des APNM.

L’arrêt Mattely c. France censure une interdiction d’association trop large au sein des forces armées

Si la CEDH avait déjà été saisie du sujet de la liberté syndicale dans la police, l’affaire Matelly constitue pour elle une première dans la mesure où elle concerne les forces armées.

Dans cette affaire, la Cour a jugé à l’unanimité que la France avait violé l’article 11 de la Convention européenne des droits de l’homme, c’est-à-dire le droit dont dispose toute personne « à la liberté de réunion pacifique et à la liberté d’association, y compris le droit de fonder avec d’autres des syndicats et de s’affilier à des syndicats pour la défense de ses intérêts ». La France était opposée à un officier de gendarmerie, Jean-Hugues Matelly, qui était membre fondateur et vice-président de « Forum gendarmes et citoyens », une association qui se donne pour mission « la défense de la situation matérielle et morale des gendarmes ».

Si la France a été condamnée, la Cour a néanmoins rappelé que « la liberté d’association des militaires peut faire l’objet de restrictions légitimes ». Autrement dit, elle a censuré « l’interdiction pure et simple de constituer un syndicat ou d’y adhérer » dans la mesure où cette interdiction générale porte atteinte « à l’essence même de cette liberté ».

Partant, le Président de la République, qui est aussi le chef des armées, a demandé à M. Bernard Pêcheur, président de section au Conseil d’Etat, de faire des propositions notamment pour modifier le droit interne français.

Le rapport Pêcheur plaide pour une « interprétation raisonnable » des arrêts de la CEDH

Si Bernard Pêcheur a fait état de « motifs sérieux » pouvant conduire la France à demander le renvoi de l’affaire Matelly devant la Grande chambre de la Cour, il a estimé dans le même temps que les arguments de la France avaient peu de chance de prospérer. Il avait mis en avant le fait que la majorité des militaires ne revendiquent pas de syndicat et que la France a des « responsabilités spéciales » de membre permanent du Conseil de sécurité. Ces arguments, selon nous, sont effectivement à tempérer : au Royaume-Uni, également membre permanent du Conseil de sécurité, « les personnels militaires sont autorisés, et même encouragés, à adhérer à des syndicats civils ou à des organisations professionnelles, pour faciliter leur reclassement à la fin de leur contrat » (Voir la note de synthèse du Sénat sur les droits politiques et syndicaux des personnels militaires).

En outre, on peut comprendre que les règles de discipline et l’illégalité des syndicats et associations professionnelles au sein des forces armées aient pu jusqu’à présent limiter les revendications dans ce domaine. Le nombre d’adhésion aux associations professionnelles nouvellement créées pourraient à terme donner un nouvel éclairage aux propos de Bernard Pêcheur. D’ores et déjà, le site de l’APMN marine parle de 3 500 connexions par mois. Le site de GendXXI évoque une action de sensibilisation réalisée auprès de 2 000 gendarmes.

Fort de son analyse, Bernard Pêcheur a plaidé pour une réforme de fond « respectueuse de notre ordre constitutionnel et de la mission fondamentale confiée aux armées de la République ».

Le caractère « raisonnable » de la réforme voulue par Bernard Pêcheur se retrouve dans la loi du 28 juillet 2015 qui modifie le code de la défense.

Bien entendu, la loi de juillet 2015 ne remet pas en cause l’interdiction du droit de grève. Elle introduit en droit interne les associations professionnelles tout en maintenant par ailleurs l’interdiction du fait syndical. En effet, l’article L4121-4 du code de la défense (CD) a été modifié comme suit (Le texte modifié est souligné) « L’existence de groupements professionnels militaires à caractère syndical ainsi que, sauf dans les conditions prévues au troisième alinéa, l’adhésion des militaires en activité (« de service » a été supprimé) à des groupements professionnels sont incompatibles avec les règles de la discipline militaire. Les militaires peuvent librement créer une association professionnelle nationale de militaires régie par le chapitre VI du présent titre, y adhérer et y exercer des responsabilités. »

L’article L4126-1 du code de la défense renforce le cadrage en assujettissant les dispositions de la loi du 1er juillet 1901 à la loi du 28 juillet 2015 : « Les associations professionnelles nationales de militaires sont régies par le présent chapitre et, en tant qu’elles n’y sont pas contraires, par les dispositions du titre Ier de la loi du 1er juillet 1901 (…)». Le législateur a prévu également à l’article L4126-5 que le siège des associations soit en France. Des possibilités et modalités de dissolution sont visées à l’article L4126-7 du CD.

Quant au respect des « valeurs républicaines », aux « principes de l’état militaire » et à la limitation du champ de l’activité des associations, ils sont clairement édictés aux articles L4126-2 et suivants du code de la défense. Les textes, qui soulignent l’obligation d’indépendance des associations professionnelles au regard du commandement militaire, des partis politiques, des syndicats et des organisations religieuses, précisent l’interdiction faite aux associations « d’interférer avec la préparation et la conduite des opérations », de « contester la légalité des mesures d’organisation des forces armées » et limitent l’objet des associations à la préservation et à la promotion « des intérêts des militaires en ce qui concerne la condition militaire ». Les associations peuvent néanmoins agir en justice contre « tout acte réglementaire relatif à la condition militaire et contre les décisions individuelles portant atteinte aux intérêts collectifs de la profession. »

S’agissant des adhésions aux APNM, elles se limitent aux militaires en activité, de carrière ou sous contrat et aux réservistes opérationnels (article L4111-2 du CD). Compte tenu de toutes ces nouveautés au sein des forces armées, le législateur a cru bon de rajouter à l’article L4626-4 du CD qu’ « aucune discrimination ne peut être faite entre les militaires en raison de leur appartenance ou de leur non-appartenance à une association professionnelle nationale de militaires. (…) et que « les membres des associations professionnelles nationales de militaires jouissent des garanties indispensables à leur liberté d’expression pour les questions relevant de la condition militaire ».

Les associations professionnelles ne sont donc pas ouvertes aux retraités qui ont pourtant été des facilitateurs lors de leur création. L’APNM marine sur son site indique clairement le soutien de la FNOM (Fédération nationale des officiers mariniers et veuves) et de l’AEN (Association des anciens élèves de l’Ecole navale).

Ces références à des soutiens sans unions effectives s’expliquent par le fait qu’en vertu du principe d’indépendance, les associations professionnelles « ne peuvent constituer d’unions ou de fédérations qu’entre elles ».

Les associations de retraités militaires ont pu craindre que la création des APNM signifie leur mise à l’écart du Conseil supérieur de la fonction militaire. Elles ont été rassurées dès le début 2015 par le ministre de la défense qui a souligné son attachement « au maintien d’un dialogue de qualité avec la communauté des retraités militaires ».

C’est ainsi qu’au sein du Conseil supérieur de la fonction militaire, là où l’on examine « les éléments constitutifs de la condition de l’ensemble des militaires », on retrouvera côte à côte les retraités militaires et les associations professionnelles et leurs unions ou fédération (article L4124-1 du CD).

Des associations professionnelles déjà en action

Quelques mois après la création des APNM, à lire leurs sites, les campagnes d’information et d’évaluation vont bon train. Les sites des associations sont d’ailleurs assez semblables à ceux de leurs grandes sœurs, les ONG : charte de valeurs, informations et collecte de dons sur le fondement notamment de l’article 199 quater C du Code général des impôts (CGI) qui, désormais, offre aux cotisants des APNM le même crédit d’impôt (taux de 60%) que celui octroyé aux cotisants…syndicaux.
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