L’Italie est une république laïque. Sa Constitution est en vigueur depuis 1948. Néanmoins, la lecture de ses premiers articles indique un fait singulier. Ainsi, l’article 7 est dédié spécifiquement à l’Église catholique, tandis que l’article suivant est consacré à toutes les autres religions, tout simplement qualifiées de « confessions religieuses différentes de la religion catholique ». Cette prépondérance du christianisme catholique, déjà visible dans des lois laïques du gouvernement, est en effet assez forte en Italie qui, pour des raisons historiques, est un pays profondément marqué aux niveaux culturel, artistique et même politique, par l’Église de Rome. Si l’histoire nous enseigne que l’Italie a conquis les Etats pontificaux en 1870 seulement, avec les soldats qui sont entrés à Rome et ont mis fin au pouvoir temporel du Pape, c’est en 1929 cependant, avec le pacte du Latran signé par Benito Mussolini, que la paix entre les deux institutions a été signée. Une fois la deuxième Guerre mondiale terminée, l’Assemblée constituante adopta un article qui déclare l’État italien et l’Église catholique indépendants l’un de l’autre et souverains.
Une prégnance des injonctions morales puisant dans le religieux
La seconde partie du XXème siècle a cependant consacré une forte influence du Vatican sur le gouvernement. Pendant près de cinquante ans en effet, les hommes politiques les plus importants appartenaient à la Démocratie Chrétienne (DC), parti de tendance modérée et d’inspiration catholique. Mais du début du 21ème siècle à nos jours, il y eut alternance entre gouvernements de centre-gauche et de centre-droit. Les catholiques ont souvent eu un rôle déterminant dans les élections. Leur influence, à droite comme à gauche, est remarquable, et les campagnes électorales tournent souvent autour de questions éthiques et relatives au droit. Ce fut le cas pour les propositions de loi visant à réglementer la bioéthique (notamment à propos de problèmes comme la fécondation artificielle, l’euthanasie et le testament biologique) ou la société (bataille pour l’institution des Pacs, lois sur le divorce, etc.), à travers lesquelles les catholiques cherchaient à sensibiliser l’opinion publique à la morale chrétienne. On peut citer ici, à titre d’exemple, un épisode récent qui a mobilisé profondément le Front catholique italien. En juin 2005, un référendum sur la procréation médicalement assistée a poussé les Italiens à s’exprimer sur quatre questions relatives aux techniques scientifiques régies par la Loi 40/2005. Le cardinal Camillo Ruini, président de la Conférence épiscopale italienne (CEI), a explicitement invité les citoyens à ne pas voter, étant donné qu’à ses yeux, une abstention massive délégitimerait le référendum. Et beaucoup de gens suivront en effet son appel : seulement 25,9% des Italiens se rendront aux urnes, et le référendum échouera donc à atteindre le quorum requis (50% +1). La loi en vigueur reste donc inchangée.
Cependant, pour évaluer l’influence politique du Vatican à l’époque contemporaine, on ne dispose pas d’instruments précis, ni du recul nécessaire pour une analyse de type historique. On pourrait donc essayer de proposer des éléments de réflexion permettant de donner une vision qui, à défaut d’être exhaustive, exprimerait le « devenir » de la situation actuelle. Dans une société régie par les médias, l’Eglise a pu trouver en effet un canal lui permettant d’exprimer efficacement ses opinions. Une analyse des médias, rappelant les discours du Pape et des évêques sur des problèmes urgents de société, pourrait donc nous aider à décrypter l’influence politique du Vatican en Italie.
Le révélateur médiatique
Le premier constat est de type « quantitatif ». Par rapport aux médias français, les médias italiens donnent bien plus d’espace, d’importance et de notoriété aux messages du Pape et des principaux représentants de l’Eglise catholique. Les quotidiens catholiques les plus lus sont l’Osservatore Romano et Avvenire, et dans toutes les Eglises, on trouve des exemplaires de l’hebdomadaire Famiglia Cristiana. Mais si l’on passe en revue les principaux journaux généralistes français et italiens, on ne peut qu’être frappé par le nombre de discours, messages, chroniques en provenance du Vatican qui s’avèrent relayés par les journaux italiens mais totalement absents des pages françaises. L’espace que les médias donnent à une information donnée est proportionnel à l’intérêt de l’audience convoitée pour cette information. Ainsi, si l’on consacre beaucoup d’espace aux événements afférents à l’Église catholique, on peut en déduire que la population s’intéresse à l’opinion que donnent le Pape et sa hiérarchie.
Mais ce même phénomène s’avère également circulaire, car dans le même temps, les consommateurs de médias semblent souvent fortement influencés par leurs titres de presse, de télévision et de radio. Le résultat est donc que l’on arrive à l’existence d’un cercle fermé qui s’auto-alimente.
Le positionnement de l’Eglise
Cela étant dit, on peut se demander quelles sont les actualités les plus susceptibles de susciter l’intervention de l’Eglise. Ainsi, si l’on prend en compte les sujets traités au début de l’année 2010, et qui ont précédé les élections régionales italiennes des 28 et 29 mars, on constate la présence d’une grande mobilisation en faveur de sujets de nature économique et sociale, et non seulement éthique. Ainsi, la révolte des immigrés de Rosarno, un petit village de la Calabre, au début du mois de janvier, a alimenté les polémiques relatives aux lois de l’immigration et aux provisions sécuritaires favorisées par le gouvernement. D’où un sentiment de peur entretenu par les citoyens italiens vis-à-vis des immigrés, qui aura sa responsabilité dans la provocation d’une vague de racisme et d’intolérance encore plus importante. Le monde catholique, du Vatican à la Conférence épiscopale, des bénévoles au Pape, a condamné ces épisodes de violence, tout en accentuant encore plus la dénonciation de la politique du gouvernement en matière d’immigration. Plusieurs représentants du Vatican n’ont par ailleurs pas hésité à dénoncer la Camorra, la mafia calabraise, en la considérant comme une base de corruption des administrations locales et un facteur de dérive de la politique d’accueil aux immigrants. Tandis que, en parallèle, le pape Benoit XVI va lui-même jusqu’à rappeler la valeur de la dignité de tout individu ainsi que le devoir d’accueil envers les étrangers. Soit autant de dénonciations qui aspirent aussi à s’inscrire en faux contre la politique promue par la Ligue du Nord, qui fait partie du gouvernement, et qui stigmatise les étrangers en les considérant comme un facteur de danger pour la sécurité des Italiens.
En parallèle, il est intéressant de noter que, lors d’une leçon magistrale prononcée le 11 février sous le titre « La doctrine de l’Église interpelle les nouvelles générations de politiques catholiques », le Secrétaire du Vatican, Tarcisio Bertone, a affirmé que « les catholiques ne distinguent pas éthiques personnelle et publique ». A un moment où la politique italienne est confrontée à plusieurs scandales, comme les nombreuses accusations de corruption et affaires liées au proxénétisme qui touche des membres importants de la classe politique italienne, ces mots du cardinal avaient valeur de rappel à la vertu. Selon lui en effet, pour ceux qui se disent catholiques, la vertu devient « un impératif qui correspond à la mission qui lui est propre dans l’histoire, c’est-à-dire orienter la société vers des valeurs supérieures ». Ces paroles qui, dans un État officiellement laïque, peuvent paraître déplacées, sont pourtant tout ce qu’il y a de plus normal et répandu chez les Italiens.
Mais le Vatican intervient également dans tout débat public, comme cela a été le cas par exemple concernant la proposition d’installer des scanners corporels à l’embarquement, au nom de la nécessité d’en venir à se préoccuper de mesures « justes » de sécurité dans les aéroports. C’est ainsi que, le 20 février 2010, le pape Benoît XVI reçut dans la salle Nervi du Vatican le président de l’Ente Nazionale per l’Aviazione Civile (l’Autorité nationale de l’aviation civile) Vito Reggio, le ministre des Transports Altero Matteoli, et le sous-secrétaire à la présidence du Conseil Gianni Letta. Face à la menace constante du terrorisme, le pape av tenu en effet à rappeler que « dans chaque projet ou activité, le premier capital à sauvegarder et à valoriser est l’individu, dans son intégrité ».
On comprend dès lors, dans ce contexte, combien il est difficile de dissocier l’intégrité laïque de la République italienne de l’influence du Vatican.