ANALYSES

Élections en Italie : Berlusconi, Grillo, symboles de l’implosion de la IIe République

Presse
26 février 2013
Propos de [Fabio Liberti->http://www.iris-france.org/cv.php?fichier=cv/cv&nom=liberti], directeur de recherche à l’IRIS, recueillis par Mélissa Bounoua

Des élections qui aboutissent à une impasse : la chambre des députés est à gauche, le Sénat n’a pas de majorité et aucun parti n’est en mesure de former un gouvernement. Ce scrutin aura permis à l’ancien comique Beppe Grillo de se distinguer comme une force politique incontournable. Et les scores de Silvio Berlusconi sont plutôt bons. Le révélateur de l’essoufflement du système politique italien, selon Fabio Liberti, directeur de recherches à l’IRIS


En analysant les résultats électoraux, on constate que le leader du mouvement 5 étoiles, Beppe Grillo, récupère beaucoup de voix à gauche et, dans une moindre mesure, parmi les déçus de la Ligue du Nord et de Berlusconi.


Son programme est un mélange de gauche libertaire, écologique, de positionnements anti grandes entreprises, anti-privatisation, tout en défendant des mesures populistes comme la semaine de travail de 20h. Sa rhétorique emprunte aussi à la droite sur les thèmes de la sécurité et de l’immigration.


La situation italienne actuelle rappelle celle de 1994 lorsque Silvio Berlusconi avait émergé grâce au discrédit des élites politiques. Alors que le pays a frôlé la faillite fin 2011, des affaires de corruption sont révélées presque tous les jours. À Rome, il y a un climat général de décadence et de corruption. L’opinion publique est plongée dans un climat de dépression en raison de la conjoncture économique, faite de récession, augmentation d’impôts, réduction des dépenses publiques.


Un vote contestataire

Dans ce contexte, les privilèges de ceux que l’on appelle la "caste" politique, sont beaucoup critiqués, d’autant qu’ils font tout pour les conserver au détriment des Italiens. Il n’est donc pas étonnant qu’un vote contestataire ait émergé.


Beppe Grillo n’a pas seulement obtenu 25% des voix grâce à cette contestation. Il y a un véritable projet politique derrière. Il défend la démocratie directe, veut utiliser les fonctionnalités du web pour remplacer les députés et les membres du parlement par ce qu’il appelle des "porte-paroles". Il veut ainsi que les personnes qui ont été élues avec lui au Parlement aient à rendre des comptes aux citoyens. Les députés ne seraient pas là pour guider et décider mais simplement pour exécuter et rendre des comptes à leur base. Chaque fois qu’un conseiller régional avait tenté de lui désobéir et de ne pas fonctionner de cette manière, il l’a viré. Ses pratiques ne sont pas celles d’un parti politique car son mouvement n’en est pas un.


Beppe Grillo était parti de rien et a recueilli 25% des suffrages. Etant donné son explosion, il n’a aucun intérêt à participer à une coalition. Sa dialectique – je suis un nouveau, vous êtes des anciens – fonctionne, il ne voudra pas briser son image avec des compromis. Les membres du parti de Beppe Grillo diront qu’ils ne veulent pas se salir les mains en travaillant avec le parti démocrate.


Le parti de Berlusconi, le parti du Peuple de la liberté est passé de 38% à 22%, c’est une débâcle mais il a réussi à compenser par une stratégie d’alliances et grâce à une loi électorale qui favorise énormément sa coalition. 10% des Italiens me semblent encore convaincus qu’il est un homme politique incontournable. Sans oublier la composante anti-gauche et anti-communiste encore très présente dans le pays depuis la Guerre froide. Enfin, et ce n’est pas négligeable, certains Italiens ont pratiquement un intérêt financier à voter pour Berlusconi car ils pensent qu’ils paieront moins d’impôts.


Tout cela se passe dans un contexte politique fragile : le mandat du président de la République se termine le 15 avril.


La transition se fera dans la douleur

Trois scénarios me semblent donc possibles :


– La formation d’une grande coalition entre le parti démocrate et le parti berlusconien, la même coalition qui a soutenu le gouvernement Monti depuis novembre 2011. Cela ouvrirait un boulevard à Beppe Grillo qui pourrait crier face à la "caste" qui cherche à se sauvegarder ;


– Si aucun accord n’était pas possible, il faudrait que les Italiens retournent aux urnes après l’élection du nouveau président de la République (dans ce cas, Giorgio Napolitano pourrait être confirmé). Le président de la République serait contraint de dissoudre le Parlement et d’organiser un nouveau vote fin juin ou en juillet. Il y aurait alors un risque de polarisation à la grecque, entre un bloc pro-système, et un autre prônant une rupture radicale, vis-à-vis de l’UE notamment ;


– La formation d’un gouvernement minoritaire, guidé par le Parti démocrate, qui chercherait l’adhésion des "grillini" – les partisants de Beppe Grillo – ou d’autres partis au coup par coup, pour effectuer les réformes les plus urgentes. Mais je ne pense pas que les "grillini" voudront coopérer, et un gouvernement minoritaire serait une garantie d’instabilité.


Le système politique est en pleine implosion, la IIe République arrive à ses limites comme la Ière République avait implosé dans les années 90 sous la pression des marchés financiers et les accusations de corruption au sein de la classe politique italienne.


La transition vers la IIIe République se fera dans la douleur.


Le grand perdant de ce scrutin reste l’Europe, et en partie Angela Merkel. Les Italiens sont fatigués, non pas tant des mesures d’austérité, et pourtant ils ont subi des mesures draconiennes, mais du manque de perspectives politiques. Il aurait fallu accompagner l’austérité d’une perspective politique. Une Italie à l’extérieur de la zone euro serait une catastrophe et pas seulement pour les Italiens. Pour la France et l’Allemagne aussi.

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